tromperie aggravee et escroquerie la suite du volet penal de l affaire des protheses mammaires pip cour d appel d aix en provence 2 mai 2016

TROMPERIE AGGRAVEE ET ESCROQUERIE : LA SUITE DU VOLET PENAL DE L’AFFAIRE DES PROTHESES MAMMAIRES PIP  Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 2 mai 2016

 

Marie-France STEINLE-FEUERBACH

Professeur émérite à l’UHA

CERDACC

 

Le scandale sanitaire des prothèses mammaires produites par la SA Poly Implant Prothèse (PIP), pré remplies d’un gel non conforme, continue à alimenter le contentieux. L’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, confirmant la décision rendue par le tribunal correctionnel de Marseille, n’est qu’une des nombreuses péripéties judiciaires de ce sinistre sanitaire sériel.

 

Mots-clefs : escroquerie – indemnisation prothèses – mammaires PIP – responsabilité pénale – sinistre sériel – tromperie aggravée

 

Dès le mois d’avril 2001, la société PIP met sur le marché des implants mammaires pré-remplis d’un gel de silicone « maison », différent du gel NUSIL certifié par l’organisme habilité TUV et sept fois moins onéreux que ce dernier. Jusqu’à fin 2005 toutes les prothèses sont remplies du gel non conforme, à partir de janvier 2006 il est remplacé par le gel NUSIL pour seulement une faible part de la production (les prothèses micro texturées et asymétriques). Il faut attendre le 29 mars 2010 pour que l’AFSSAPS interdise la mise sur le marché des prothèses PIP après une inspection diligentée suite à des signalements de matériovigilance quant à un taux de rupture des enveloppes des implants significativement plus élevé que celui d’autres implants présents sur le marché. Entre ces deux dates, plus de 300 000 femmes, résidant dans plus de 65 pays, ont été implantées par ces prothèses devenues tristement célèbres.

Amplement médiatisée, la condamnation pénale de Jean-Claude M., fondateur de la société PIP et de quatre anciens cadres ou dirigeants pour escroquerie et tromperie aggravée, le 10 décembre 2013, par le tribunal correctionnel de Marseille a été confirmée par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence. Cet arrêt sans surprise (II) mérite d’être replacé dans le contexte général des multiples procédures engagées dans cette affaire hors normes, ces derniers mois étant riches en décisions (I).

I.              L’affaire PIP : le vertige procédural 

Afin de rendre compte de la complexité de l’affaire, il convient de tenter de clarifier l’entrelacs des procédures engagées devant des juridictions non répressives (A) et répressives (B).

A. La prolifération des procédures devant les juridictions non répressives

En se restreignant aux juridictions françaises[1], l’affaire a été portée devant les juridictions judiciaires et devant la juridiction administrative.

S’agissant des contentieux que les juridictions commerciales ont eu à connaître, il convient de distinguer le volet assurantiel du procès impliquant les organismes certificateurs. Le contrat d’assurance souscrit par PIP auprès de l’assureur Allianz a fait l’objet de deux décisions, l’une rendue le 14 juin 2012 par le tribunal de commerce de Toulon, l’autre le 18 juin 2012 par le tribunal de grande instance de Lyon ; les deux juridictions ont retenu la validité de ce contrat, rejetant l’argument de la fausse déclaration intentionnelle avancé par l’assureur[2]. Cette validité a été confirmée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, le 22 janvier 2015, cependant le plafond de garantie n’était que de 3 000 000 euros, insuffisant pour faire face à toutes les demandes. En mars 2015, Allianz annonçait qu’il allait verser une compensation financière à 4 489 porteuses françaises, le montant moyen étant aux alentours de 650 euros. Cette somme peut sembler dérisoire, par ailleurs le contrat ne couvrait pas les dommages subis par les produits PIP vendus à l’étranger. La société PIP ayant été mise en liquidation judicaire le 30 mars 2010, l’indemnisation des porteuses d’implants PIP a été recherchée au travers d’actions en responsabilité à l’encontre d’autres défendeurs.

Ainsi, le tribunal de commerce de Toulon a eu à connaître de l’action l’encontre des sociétés certificatrices (sociétés TUV Allemagne et TUV France) par trois distributeurs étrangers (GF Electromedics, EMI Importaçao e Distruibuiçao Lida et J&D Medicals) à l’encontre des sociétés certificatrices, à fins de dommages-intérêts pour la baisse de leur chiffre d’affaires et l’atteinte à leur image. Trois autres distributeurs étrangers ainsi que 1559 patientes, dont 1471 domiciliées à l’étranger sont intervenues volontairement dans la procédure. Le 14 novembre 2013, le tribunal a reconnu la responsabilité de TUV[3] condamnant la société allemande et sa filiale française à verser 3400 euros à titre de provision à chacune des victimes, mais la cour d’appel d’Aix-en-Provence a infirmé cette décision le 2 juillet 2015[4], ce qui impliquait le remboursement par les victimes des provisions perçues[5].

Les deux sociétés ont à nouveau été assignées en responsabilité devant le même tribunal par d’autres sociétés ainsi que d’autres personnes porteuses d’implants mammaires. Invoquant l’article L. 111-6 du code de l’organisation judicaire, les sociétés TUV ont demandé la récusation du président de la formation chargée du jugement lequel avait déjà présidé la formation alors que le contexte factuel, les moyens juridiques, la nature des parties et les questions en litige étaient rigoureusement identiques à ceux qui étaient en cause dans l’instance ayant donné lieu au jugement du 14 novembre 2013. Elles n’ont pas obtenu gain de cause, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation leur opposant, dans un arrêt du 7 avril 2016 « le fait qu’un juge se soit déjà prononcé dans un litige procédant d’un contentieux sériel n’est pas en soi de nature à porter atteinte à son impartialité pour connaître des autres litiges de ce même contentieux »[6].

Une patiente a également recherché la responsabilité du médecin ayant procédé à la pose des implants. La cour d’appel de Paris, le 8 janvier 2016, considère que le praticien n’a pas méconnu son obligation contractuelle de délivrance en posant à sa patiente des implants PIP mais qu’il a manqué à son obligation d’information en ne l’avisant pas de la marque des prothèses qui allaient lui être implantées. Le montant de l’indemnité est fixé à 1000 euros[7]

Un autre responsable potentiel était l’AFSSAPS, mais dans une décision du 22 octobre 2015, le tribunal administratif de Toulon, saisi par une patiente qui estimait que la réaction de l’AFSSAPS avait été trop tardive, a débouté la requérante, considérant que cet organisme ne disposait pas, à la date de la pose des implants, d’informations propres à éveiller le soupçon que les prothèses n’étaient pas conformes aux spécifications techniques[8].

A ces diverses procédures, il convient d’ajouter le parcours pénal démultiplié de l’affaire PIP.

B. Les procédures devant le juge pénal

Le volet pénal qui se joue devant le tribunal correctionnel de Marseille est aussi diversifié, d’une part une instruction judiciaire pour des infractions de nature économiques et financières, banqueroute frauduleuse et blanchiment, sans relation avec la défectuosité des prothèses et donc sans lien direct avec les préjudices subis par les patientes, et d’autre part des procédures qui sont bien en relation avec cette défectuosité.

En décembre 2011 une information judiciaire sous les qualifications de blessures involontaires et homicide involontaire était ouverte, conduisant à des mises en examen, alors qu’ultérieurement, sur la base d’une enquête préliminaire, les prévenus étaient cités devant le tribunal correctionnel pour y répondre des préventions de tromperie aggravée et d’escroquerie. Ces procédures disjointes devant la même juridiction sont révélatrices des difficultés soulevées par la qualification des infractions pénales en matière de sinistre sanitaire sériel[9]. Le cumul des procédures et l’absence d’information judiciaire pour les délits de tromperie et d’escroquerie ont fait l’objet de deux QPC mettant en cause les choix du parquet dans le mode de poursuites et que le tribunal correctionnel de Marseille a rejetées 18 avril 2013 ainsi que de demandes en nullité de procédure, également rejetées.

 

II.            L’arrêt « fleuve » de la cour d’appel d’Aix-en-Provence

L’arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence est remarquable par sa longueur : 8762 pages !!!! Cette démesure s’explique par le nombre de parties civiles, plus de 5100, mais – et avec une pensée pour les magistrats et le greffe – elle indique bien que pour un tel contentieux de masse il conviendrait, au moins, d’adapter la rédaction des décisions. Les développements relatifs à l’action publique sont restreints à une vingtaine de pages (A) alors que ceux sur l’action civile en occupent presque 6000 (B).

 

A. La confirmation des culpabilités pour tromperie aggravée et escroquerie

En première instance, la juridiction marseillaise avait condamné pour tromperie sur une marchandise entraînant un danger pour la santé de l’homme ou de l’animal et escroquerie Jean-Claude M., président du conseil d’administration, puis président du conseil de surveillance de PIP et Claude C., directeur administratif et financier, puis directeur général, le premier à 4 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, le second à 3 ans d’emprisonnement dont 2 ans avec sursis et 30 000 euros d’amende. Poursuivis pour complicité, Loïc G. directeur de production, Hannelore F., directeur qualité et Thierry B., directeur technique, les deux premiers à 2 ans d’emprisonnement dont un an avec sursis, le dernier à 18 mois d’emprisonnement avec sursis.

La qualification de tromperie fut également celle retenue dans le cadre du sang contaminé ou de l’hormone de croissance. Ce délit, qui a pu être qualifié de « délit d’épicier »[10] connaît deux circonstances aggravantes, prévues au code de la consommation, dont l’une est relative au danger que le produit fait courir pour la santé de l’homme ou de l’animal, la valeur protégée par cette incrimination n’est cependant pas la protection de la personne humaine, de sa vie ou de son intégrité, mais seulement la loyauté dans le cadre des rapports contractuels[11]. En attendant de trouver une qualification pénale adaptée aux sinistres sériels de masse, l’intérêt réside dans ce que les faits permettent très facilement d’établir le délit de tromperie.

L’escroquerie est relative aux agissements des prévenus à l’égard de la société TUV qui apparaît ici comme une victime.

La cour rejette au préalable les exceptions de nullité soulevées par quatre des prévenus quant au choix du ministère public de les renvoyer directement devant la juridiction de jugement alors que la complexité de l’affaire nécessitait l’ouverture d’une information judiciaire, les privant d’un procès équitable, alors qu’une information judicaire est en cours pour les mêmes faits mais sous une autre qualification. La cour d’Aix-en-Provence, après avoir rappelé le pouvoir discrétionnaire du procureur de la République dans le choix de la procédure qu’il estime la plus opportune, signale que les poursuites initiées du chef de tromperie aggravée sont beaucoup plus vastes, en ce qu’elles concernent l’ensemble des porteuses de prothèse ainsi que des distributeurs et établissements de santé, que celles pour blessures involontaires qui ne concernent que 190 victimes potentielles. De plus, « aucune disposition légale n’impose la tenue d’un seul procès dans le cas où une même activité délictuelle peut être retenue simultanément sous plusieurs qualifications dès lors que, comme en l’espèce, elles sanctionnent la violation d’intérêts distincts et comportent des éléments constitutifs différents tels que la faute non intentionnelle ayant entraîné un dommage dans un cas, le caractère intentionnel de la tromperie dans l’autre ».

Les périodes visées par la prévention varient en fonction des prévenus et c’est uniquement pour des questions de dates que la condamnation de Thierry B. est en partie réformée par la cour d’appel, celle-ci confirmant le jugement sur l’ensemble des peines prononcées. Cette confirmation n’a rien d’étonnant à la lecture des faits reprochés aux prévenus. Sur la fraude, il est établi que, dès que la société PIP a été autorisée à fabriquer des prothèses mammaires en avril 2001, M. Jean-Claude M. a remplacé le gel certifié par son gel « maison » qu’il prétendait être de meilleure qualité alors même que ces collaborateurs observaient des difficultés de cohésivité du produit. Ce dernier n’avait d’ailleurs fait l’objet d’aucun test de biocompatibilité. La tromperie sur les qualités substantielles est patente dès lors que les prothèses étaient mises sur le marché revêtues indument du marquage CE qui n’avait été attribué par TUV qu’au gel NUSIL « officiel ». A son arrivée dans l’entreprise, M. Claude C. avait bien tenté de réduire progressivement la fraude mais a toutefois permis que celle-ci se perpétue.

Du côté des complices, Mme Hannelore F. signait les procès-verbaux des lots, attestant de la qualité de la matière première employée alors qu’elle savait pertinemment que le gel utilisé n’était pas le gel déclaré. M. Loïc G. soutient qu’il a tenté de mettre fin à la fraude mais il a bel et bien fait fabriquer les fameuses prothèses et participé à la dissimulation des matières premières litigieuses lors des contrôles. Quant à M. Thierry B., arrivé dans l’entreprise bien après la mise en place et l’institutionnalisation de la fraude, il a réellement tenté d’y mettre fin notamment par l’envoi, en octobre 2009, d’une lettre recommandée à M. Claude C. ; il lui est cependant reproché d’avoir signé en 2008 un rapport de validation du process et d’avoir participé, en 2009, aux audits de TUV ainsi qu’à une réunion avec des membres de l’AFSSAPS sans attirer leur attention sur la substitution des gels.

Visiblement, la devise « motus et bouche cousue » était l’un des axiomes du fonctionnement de cette entreprise dominée par la personnalité de M. Jean-Claude M. ; malgré la taille de l’entreprise – 97 personnes – son secret était bien gardé.

Les cinq prévenus contestent l’existence de la circonstance aggravante du délit de tromperie en soutenant que les prothèses frauduleuses ne présentaient pas davantage de danger que les prothèses certifiées. Il ressort de différents rapports, expertises et études, y compris à l’étranger, qu’il n’y avait pas significativement plus de rupture qu’avec d’autres prothèses, et que le gel ne présentait pas un potentiel génotoxique. Le potentiel irritant du gel fait l’objet de controverses scientifiques. En revanche, le phénomène de transsudation du gel PIP était un phénomène avéré et connu au sein de la société qui avait tenté d’y remédier au moyen d’une couche supplémentaire. Le gel frauduleux avait un effet néfaste qui était de traverser plus rapidement et en plus grande quantité par rapport au gel certifié. De nombreux cas cliniques viennent attester de ce phénomène de transsudation excessive.

Au final, il est avéré que les implants PIP présentent un taux de rupture et de fuite plus élevé que les autres implants ainsi que des signes cliniques locaux ce qui qualifie bien la circonstance aggravante de tromperie. La cour souligne que « confrontées à la révélation de la fraude et à la dangerosité potentielle de leurs implants, les porteuses pouvaient fort légitimement prendre la décision de faire retirer leurs prothèses frauduleuses, même en dehors de toute anomalie constatée, afin de parer à leur nocivité qu’elles pouvaient craindre », ce qui permet de ne pas limiter les préjudices consécutifs à la fraude aux seules patientes ayant été médicalement obligées de procéder à l’explantation.

Quant aux éléments constitutifs des délits d’escroquerie et de complicité d’escroquerie, ils ressortent d’une situation tellement rocambolesque qu’elle pourrait prêter à sourire si la santé des porteuses d’implants PIP n’avait pas été mise en jeu. Lorsque la venue de TUV pour son contrôle annuel était annoncée, le branle-bas de combat était décrété : matières premières non autorisées cachées dans des camions ou sur un autre site, effacement des données de la base d’achat informatique, dossiers falsifiés… le ménage était fait ce qui permettait à l’entreprise d’obtenir à nouveau le marquage CE indispensable pour la commercialisation de ses prothèses. TUV ayant l’amabilité de prévenir de sa visite dix jours à l’avance, PIP avait largement le temps d’organiser cette mascarade à laquelle ont participé tous les prévenus, soit comme auteurs, soit comme complices.

B. Le prononcé des dommages-intérêts

En ce qui concerne les victimes étrangères, leurs demandes sont recevables dès lors que ce sont des « ventes conclues en France qui ont permis la diffusion des prothèses frauduleuses auprès des porteuses étrangères, même si ces dernières ne les ont pas directement acquises de la société qui les fabriquait (…) Ces porteuses ont bien été victimes d’une tromperie dont l’un des éléments constitutifs a été commis sur le territoire français. »

La cour n’est en revanche pas ouverte aux demandes des associations de victimes qui n’ont été créées qu’en réaction aux infractions commises et ne justifient pas d’un préjudice propre distinct de celui souffert à titre personnel par ses membres. Ne sont donc recevables que les demandes d’associations préexistantes (Ligue nationale contre le cancer, Vivre comme avant, UFC Que choisir, Le syndicat National de chirurgie plastique, de reconstruction et esthétique). Le cas de la société TUV était particulier, sa constitution de partie civile avait été contestée par certaines porteuses au motif qu’elle avait participé au scandale par son inaction et sa négligence dans ses opérations de contrôle. Mais la cour approuve le tribunal d’avoir retenu qu’elle « ne faisait l’objet d’aucune poursuite dans le cadre de cette instance et que d’éventuelles fautes ou négligences commises dans l’exécution de la mission dont elle était chargée étaient sans incidence sur le délit d’escroquerie dont elle a été victime et qui lui a causé un préjudice, notamment par l’atteinte portée à sa réputation, ainsi que sur son droit à réparation » . Toutefois, TUV n’intervient en appel qu’au soutien de l’action publique, seule la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale lui est donc accordée.

S’agissant des porteuses d’implants, la cour fixe clairement les règles des indemnités qui devront être versées par les prévenus. Pour les porteuses ayant subi une opération d’explantation, la cour estime, contrairement au tribunal, que la date de cette opération, par rapport à la découverte de la fraude, n’est pas à prendre en considération car c’est le délit de tromperie et non seulement la connaissance de celui-ci qui est à l’origine des explantations.

Par conséquent « l’opération d’explantation qu’elle soit postérieure ou antérieure à mars 2010, doit donner lieu à dommages-intérêts, dès lors que, pour les interventions antérieures à mars 2010, la demande d’indemnisation s’accompagne de documents médicaux concernant l’exudation ».

La cour envisage différentes situations que nous reproduisons ici en partie :

Pour les porteuses ayant subi une opération d’explantation :

« la Cour accordera à la victime :

– le coût de l’intervention resté à charge après déduction des sommes prises en compte par les organismes de sécurité sociale ;

– les frais divers (frais de transport notamment) dès lors qu’ils sont justifiés et nécessités par l’opération en cause ;

– la perte de gains actuels s‘il en est justifié ;


– les souffrances endurées, justement évaluées par les premiers juges à la somme de 1 000 euros ;

– le déficit fonctionnel temporaire justement fixé à 250 euros ;


– le préjudice esthétique temporaire justement fixé à 100 euros.

La Cour ajoutera à ces préjudices la prise en charge du préjudice esthétique définitif lié aux cicatrices consolidées de l’explantation. »

Si l’exérèse et la réimplantation de nouvelles prothèses n’ont pas eu lieu :

« le coût de l’opération d’implantation de la ou des prothèses frauduleuses doit être indemnisé, lorsque la demande en est faite, la victime subissant un préjudice lié à la mise en place d’un dispositif médical ne correspondant pas à celui qui lui était promis. Dans ce cas, c’est à juste titre que les premiers juges ont décidé que le déficit fonctionnel, le préjudice esthétique et les souffrances endurées ne seraient pas pris en compte, ces chefs de préjudice n’étant alors pas liés à la tromperie, mais inhérents à une intervention librement décidée par les victimes, pour des problèmes médicaux ou esthétiques. »

Dans toutes les situations, la cour accorde « le préjudice moral justement évalué à 1 000 euros qui trouve sa source pour toutes les victimes, dans le fait d’avoir été trompées sur la nature et la qualité du produit implanté ».

Il convient de souligner qu’un préjudice d’angoisse, évalué à 4000 euros est accordé à toutes les porteuses parties civiles car « laissées dans l’incertitude quant aux effets potentiellement nocifs des matières non homologuées, non clairement identifiées et non testées, au moyen desquelles les prothèses mammaires implantées dans leur corps étaient fabriquées, (elle) se sont trouvées placées dans une situation d’inquiétude permanente et ont, de plus, été amenées à subir des contrôles et examens réguliers préconisés par les autorités sanitaires propres à réactiver leur angoisse ; qu’elles ont dû, en outre, effectuer un choix entre deux situations également perturbatrices, à savoir, soit subir une nouvelle intervention destinée à retirer les implants, nécessairement génératrice de risques médicaux, de douleurs et d’inconvénients divers, soit conserver dans leur corps un produit dont elles pouvaient craindre, à défaut de tests complets et fiables réalisés, qu’il n’engendre des maladies ou des troubles et accidents de santé. »

Enfin, pour les parties civiles n’ayant sollicité que l’indemnisation d’un préjudice moral et se trouvant dans une situation où le préjudice d’anxiété[12] pourrait être accordé, la somme allouée est forfaitairement fixées fixée à 6 000 euros. S’ensuit l’interminable liste des victimes et des indemnités à verser par les cinq auteurs en application des règles fixées.

Cette appréciation forfaitaire du préjudice d’anxiété est certes contraire au principe de la réparation intégrale qui invite à tenir compte de la situation individuelle de chacune des victimes, mais face au nombre de victimes les magistrats ne pouvaient matériellement procéder autrement.

Se pose encore une fois la question d’une adaptation des règles classiques de l’indemnisation aux situations collectives. Pour les sinistres sanitaires, des fonds d’indemnisation ont été créés pour faire face aux demandes, ce n’est pas le cas en l’espèce. En matière d’accident collectif, le choix des comités de suivi a prouvé son efficacité, de tels comités seraient-ils envisageables en cas de sinistres sanitaires sériels ?

Une autre piste est constituée par l’extension de l’action de groupe opérée par la loi du 26 janvier 2016 au profit des usagers du système de santé, victimes d’un manquement d’un producteur, d’un fournisseur ou d’un prestataire[13].

Au-delà du modèle procédural, l’efficacité d’un système d’indemnisation adapté est tributaire de la solvabilité des responsables et de leur assureur. Dans l’affaire PIP, la société a disparu, le plafond de garantie de l’assureur a été atteint et il est difficile d’imaginer que les cinq personnes condamnées soient en mesure de débourser les sommes allouées dans la longue litanie énumérée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Au moins, grâce aux condamnations pénales, les victimes pourront-elles saisir le Service d’Aide au Recouvrement des Victimes d’Infractions.

[1] Des actions en justice ont lieu dans d’autres pays notamment en Allemagne et au Venezuela. V. Clotilde Jourdain-Fortier « L’affaire PIP ou la difficile réparation en Europe des dommages corporels de masse causés par un dispositif médical défectueux » : RID éco. 2015/1, t. XXIX, p. 2 ; Peter Rott et Carola Glinski, « Le scandale PIP devant les juridictions allemandes » : RID éco. 2015/1, t. XXIX, p. 87 

[2] M.-F. Steinlé-Feuerbach, « Assurance de responsabilité civile des entreprises : portée du questionnaire » : D. 2012, 2022 ; « Prothèses mammaires : l’assureur en responsabilité civile du fabricant doit sa garantie » : Riseo 2012-3, p. 6

[3] M.-F. Steinlé-Feuerbach, « Prothèses mammaires PIP : la responsabilité des sociétés certificatrices reconnue (trib. com. Toulon, 14 novembre 2013) » : JAC n° 139, déc. 2013

[4] Barend von LeeuWen, « La responsabilité des organismes notifiés du fait d’implants mammaires défectueux : TUV Rheinland devant les tribunaux français et allemands » : RID éco. 215/1, t. XXIX, p. 69

[5] L. Bloch, « Prothèses PIP : le long chemin de croix des victimes » : RCA 2015 alerte 24

[6] François Mélin, « Contentieux sériel et exigence d’impartialité » : D. Actualité 6 mai 2016

[7] Jean-Christophe Bonneau, « Affaire PIP : la marque des prothèse n’était pas celle annoncée ! » : JCP G, 206

[8] Vincent Vioujas, « L’affaire PIP devant le juge administratif » : JCP A 2015, 2353

[9] Sur cette question, V. not. Caroline Lacroix, La réparation des dommages en cas de catastrophes, préf. M.F. Steinlé-Feuerbach, avant-propos, D. Houtcieff, LGDJ, 2008, tome 490, n° 291 et s. ; Gilles Mathieu, « Sida et droit pénal » : Rev. sc. crim 1996, p. 81 ; François Rousseau « Essai d’une reconfiguration des infractions pénales contre les personnes à l’aune des scandales sanitaires » : Dr. pénal mai 2013, étude 11

[10] V. not. Jacques-Henri Robert, obs. sous TGI Paris, 23 oct. 1992 : Dr. pén. 1994, 1, comm. 12

[11] Caroline Lacroix, La réparation des dommages en cas de catastrophes, op. cit. n° 664

[12] M. F. Steinlé-Feuerbach, « Victimes de violences et d’accidents collectifs. Situations exceptionnelles, préjudices exceptionnels : réflexions et interrogations » : Médecine et Droit, éd. Elsevier novembre-décembre 2000, n° 45, p. 1 ; « La réparation des préjudices : aspects juridiques » : Médecine & Droit, éd. Elsevier avril 2010, p. 49 ; « Evaluer et réparer les préjudices du point de vue juridique », in Victimes : du traumatisme à la réparation, Œuvre de justice et victimes, vol. 2, sous la direction de Robert Cario, Ecole Nationale de la Magistrature, éd. L’Harmattan, décembre 2002, pp.143-164 ; « Distilbène : reconnaissance d’un préjudice d’anxiété (Civ. 1ère, 2 juillet 2014) » : JAC n° 148, nov. 2014 ; Claude Lienhard et Jean-Claude Archambault, « Angoisse et anxiété : nouveaux préjudices, nouveaux enjeux expertaux » : Expert n° 110, oct. 2013

[13] Loi n° 2016-41 du 26 janv. 2016 de modernisation de notre système de santé. V. not. Soraya Amrani-Mekki, «  Action de groupe santé.- Un nouveau modèle pour de nouveaux préjudices » : JCP G 2016, 146

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