Toute la musique que j’aime

Pratiqués, acceptés, admirés et enviés, reconnus comme les miroirs profonds et subtils de l’âme d’un peuple, au delà de toutes les catégories musicales (et, par cele même, à portée de coeur de toutes les catégories sociales), les Negro Spirituals, lorsqu’on les examine de près et, chose difficle, à froid, déroutent par leurs contradictions apparentes et l’étrangeté de leurs origines.

Pas un cri de haine, pas un sursaut de révolte, pas une expression d’amertume dans ces chants jaillis du tréfonds de la misère, seuls exutoires à l’esclavage d’êtres déracinés, arrachés à leur milieu, à leur famille, à leurs habitudes mentales, à leur pays natal, l’Afrique, et qui, même s’ils étaient convenablement traités par certains de leurs maîtres soucieux, à tout le moins, de protéger leur investissement en matériel humain, n’avaient aucun espoir de s’évader de leur condition et peut être n’imaginaient pas qu’ils pouvaientavoir de l’espoir, tant l’état des choses apparaissait comme déterminé de toute éternité et pour toute l’ éternité.

En fait, ceci explique sans doute (partiellement) cela. L’espoir incite à la révolte, ou, au minimum, à l’impatience. Son manque absolu, au contraire, conduit à la résignation ou à une évasion, un refuge, dans un ailleurs lointain. Et quel meilleur refuge que celui d’une foi naïve et sincère en des valeurs religieuses dont les promesses dorées contrebalancent avantageusement la noirceur de la vie quotidienne ? Le malheur ici-bas étatnt désormais subi, ressenti, comme la garantie d’un bonheur futur dans un autre monde, pourquoi se débattre contre lui ?

Racontons nos souffrances, certes, chantons-les, mais n’en cherchons et n’en dénonçons pas les auteurs. Attitude sûrement encouragée, sciemment ou inconsciemment, par les planteurs et autres esclavagistes, puisqu’elle perpétuait l’existence d’un rapport de force qui leur était favorable et qui parfois, ô ironie, les rapprochait humainement de leurs esclaves;

Il y a une autre raison, pratique celle-là, à l’absence de haine dans les Negro Spirituals. Le déracinement des Noirs importés d’Afrique, avait été, non seulement physique mais spirituel. Tout ce qu’ils avient pu apporter de leurs modes de pensée, les Noirs l’avaient rapidement perdu dans le Nouveau Monde. Une tradition essentiellement orale résiste mal à des conditions de vie entièrement nouvelle et à une intégration qui assurait au « bon » Noir manifestant de « bons » sentiments (religieux surtout) d’être considéré comme autre chose qu’un « sauvage » ou qu’un animal. Dès l’instant où cette intégration est devenue un fait, la voix du Noir a pu non pas se faire entendre mais du moins s’élever, en s’aidant de structures blanches, puisque rien ne subsistait , dans la mémoire collective, du chant africain. Mais quelles structures blanches ? Celles, évidemment , qui arrivaient jusqu’aux esclaves, et particulièrement les hymnes et cantiques des pasteurs-chanteurs baptistes itinérants, et les chants de masse religieux ou para-religieux, que l’on a appellé, après les avoir longtemps ignorés, les White Spirituals; les Folk hymns et les Gospels Songs, dont on retrouve souvent les origines lointaines en Europe’, parmi les nations protestantes. Ces Spirituals blancs étant la musique d’individus ou de groupes de « nantis » (c’est à dire de ceux qui avaient une place admise et non-contestée dans la société), ils ne contenaient ni imprécations, ni sentiments de rancoeur ou de révolte mais abondaient en revanche en professions d’humilité et d’amour pour le seigneur. Les Negro Spirituals, tout naturellement, reprendront les mêmes thèmes.

Les Negro Spirituals ne sont-ils donc, en fin de compte, que des dérivés, des variations, des cousins des White Spirituals ? Autant Dire que l’or n’est qu’un dérivé du plomb, que « le jugement dernier « de Michel-Ange est cousin de telle pâtisserie saint-sulpicienne, et que l’Opus 120 de Beethoven est de la même étoffe que la médiocre valse de Diabelli qui en constitue la cellule première. Il s’agit au contraire de la métamorphose totale (la chrysalide devenant papillon) de morceaux conventionnels abstraits à force d’être mécanisés par l’habitude, en oeuvre « habitées » , auxquelles le génie noir a apporté une âme, un chant profond, né d’une impérieuse nostalgie, d’un puissant « manque » de ce qui,en fin de compte, distingue l’homme de la bête : le souvenir d’un passé, la constatation d’un seul présent, l’espérance d’un avenir. Chant profond qui, au cours des années mais dès le départ, va s’écarter considérablement et définitivement de ses sources blanches, pour maintes raisons, dont les deux principales sont : 1°) la quasi-impossibilité pour les Noirs de retenir strictement et intégralement les paroles et les mélodies des Whites Spirituals sans le secours de l’écriture et de la notation, et 2°) la nécessité de relier les lambeaux restés en mémoire par des improvisations (dues aux « solistes », aux meilleurs chanteurs des groupes ou des familles ou par des répétitions fréquentes, permettant aux « choeurs« , aux moins doués, de ne pas se perdre en chemin. Quand en 1868, trois ans après l’abolition de l’esclavage aux Etats-Unis, sera publié le premier recueil de Negro Spiritual, « Slave Songs of the United States« , les origines blanches de ces chants seront si radicalement enfouies sous l’exubérante et poignante invention noire que les premiers exégètes du genre lui donneront pour lieu de naissance une Afrique aussi mystérieuse que mythique.

Depuis 1868, la publication de Negro Spirituals n’a pratiquement pas cessé, et les chanteurs professionnels ont largement puisés dans ce fond réservé primitivement à des amateurs (les « jubilee Singers » musiciens de métier, firent leurs premières tournées en europe vers 1875). Mais la forme ne s’est jamais figée ni désséchée, et ses grands interprètes (ainsi que ses adaptateurs ou « transcripteurs ») ont toujours su lui conserver un caractère ouvert, favorable à l’improvisation, et souligner ses trois signes distinctifs et hors du temps : la foi, la pitié, et la joie du chant.

Le Negro Spiritual donnera naissance au Gospel qui prendra son essor en même temps que le Jazz. Le Gospel contrairement auNegro spiritual est une musique de révolte contre une Amérique raciste. Autre différence entre le Negro Spiritual et le Gospel c’est que le premier fait référence à des personnages et le second aux textes des Evangiles.

En ces temps de fête c’est toute la musique que j’aime. On peut l’écouter sans la comprendre, mais si on la comprend, on arrive à la décrypter et elle n’en est alors que plus agréable à écouter. Si à cela vous ajoutez le Jazz et le Blues vous connaissez maintenant mes goûts musicaux.

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