test de sauvegarde du jacNuméro 36
juillet 2003
Sommaire
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– Jacques Calmettes – président de l’Inavem
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– Crashes d’avions: Brit’Air et Sudanair – Les accidents et catastrophes du mois
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– Aucun pays n’a l’exclusivité des accidents ou des catatsrophes – Catastrophe d’Eschede: des incohérences de la voie judiciaire allemande pour obtenir justice
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– Les catastrophes naturelles du mois
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– Sang contaminé: chronique d’un non lieu annoncé – Indemnisation des victimes d’infractions: un rappel important – Risque pénal de mal baliser une piste de ski – Journée d’études à la Faculté de droit de Metz: « Les incertitudes juridiques affectant la gestion des sites contaminés… »
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– Brèves de palais – Crash du Mont Sainte Odile: encore quatre mois d’enquête!
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Les XIXèmes Assises de l’Inavem du 25 au 27 juin à Paris
« Humanité et compétence, l’ambition associative… » – 1) L’ouverture officielle avec le Garde des Sceaux – 2) Assemblée générale ordinaire: les moyens, toujours les moyens… – 3) Les quatre présidents « toujours au front » – 4) Les interventions et la conclusion – 5) Ateliers et synthèses – 6) Réceptions et diner – 7) Anne Ovaere: « De la serpillère à la charrue… » – 8) Jacques Gaillard « couturier des mots « – 9) Vu et entendu
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– La lettre de Jean Belotti de juin 2003 – La lettre de Jean Belotti de juillet 2003
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– L’édito de mai 2003 de SOS- Attentats
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– 22 et 23 janvier 2004 à Niort « Risque et société: évolutions et nouvelles approches » – 25 et 26 septembre à Paris » Comment faire face aux risques majeurs »
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– Le sommaire du N° de juillet du « Journal international de victimologie «
LE PREMIER QUI DIRA LA VERITE… Au moment où la France s’apprête comme chaque année à ralentir le rythme et à profiter de vacances méritées, il ne faut pas oublier le sort judiciaire et politique réservé à Youri Bandajevski, éminent savant biélorusse, dont le seul crime est d’avoir mis en doute scientifiquement la vérité sur la catastrophe sanitaire et humaine de Tchnernobyl. Nous nous associons fortement au mouvement de nombreux scientifiques et juristes qui ont décidé de soutenir ce savant.
(http://www.comite-bandajevsky.org)
En France, c’est José Bové, certes multi-récidiviste de la destruction des semences transgéniques et d’un célèbre chantier Mac Donald’s, qui est derrière les barreaux au même moment où le droit de l’environnement et le précieux principe de précaution vont être constitutionnellement consacrés. Il y a des collisions d’images et de concepts qui interpellent. En surimprimé, la juste colère des victimes des familles de l’affaire du sang contaminé, les évidentes craintes des victimes de l’hormone de croissance, suite à la décision motivée de la chambre criminelle de la Cour de Cassation. Le tout au même moment où le pôle santé de la justice est rattaché géographiquement au pôle économique. Espérons bientôt un signe politique fort en France et en Europe pour donner lisibilité et assise à une politique sanitaire de sécurité. Le JAC de juillet 2003 s’ouvre sur l’Europe, sur celle de la justice des catastrophes, en mettant à disposition des lecteurs trois décisions inédites. Enfin ce numéro du JAC vous rend compte des Assises de l’INAVEM organisées à Paris grâce à un accueil particulièrement convivial et chaleureux, dans le cadre magnifique de l’Hôtel de Ville de Paris, de son maire, M. Bertrand Delanoë, et de M. Caresche maire adjoint et député, chargé de la sécurité. La ville de Paris qui a d’ailleurs fait récemment Youri Bandajevski citoyen d’honneur de Paris. Bonne lecture, bonne réflexion, bonnes vacances…. Claude Lienhard Directeur du Cerdacc
XIX EMES ASSISES DE L’INAVEM A PARIS L’INTERVIEW DU MOIS : Jacques Calmettes président de l’Inavem Réélu pour la quatrième fois à la tête de l’Inavem, Jacques Calmettes, ancien juge d’instruction, vice-président du Tribunal de grande instance de Marseille, délégué du Conseil départemental de l’aide juridique des Bouches-du-Rhône, président de l’Association d’aide aux victimes d’actes de délinquance (AVAD -Marseille) et depuis 2001 membre du Conseil national de l’aide aux victimes (CNAV) n’en fait pas mystère, il aime. Le discret accent marseillais qu’il cultive naturellement, la rondeur tout aussi naturelle des propos ne masquent cependant pas la rigueur. Jacques Calmettes est un acteur de poids de l’aide aux victimes. Q: Vous voilà réélu pour un quatrième mandat. Pas fatigué? R: (Grand éclat de rire). Oh que non. Il y a des choses en cours. Des dossiers que j’ai initiés et qu’il m’est agréable de pouvoir poursuivre avant de passer le relais. C’est pour cette raison qu’il me paraissait évident de prolonger mon mandat. Q: Par exemple? R: Après 20 ans d’aide aux victimes en France, le constat est que les associations sont de capacités encore bien différentes. Nous n’avons pas réussi à garantir à chacune d’elle un cadre minimum indispensable pour offrir le même service aux victimes qu’elles soient dans une ville ou une autre et qu’il y a encore un chantier important qui évolue d’ailleurs et qui est voulu par le ministre de la Justice pour renforcer le réseau d’aide aux victimes. Il faut encore aider les associations qui n’ont pas les capacités que tout le monde souhaite, qui n’ont pas les moyens de concrétiser, en terme notamment de couverture de psychologues, sur l’ensemble du territoire. Q: A deux reprises au moins il a été question de « fédération » lors des XIXèmes Assises. Quel est votre sentiment à ce sujet? R: Je n’ai pas de position arrêtée là-dessus. Pas de position tranchée bien entendu. Ce n’est qu’un débat en terme de structuration juridique de l’un ou de l’autre ( Institut ou Fédération ndlr). J’avoue que je suis un peu ennuyé. Mais ce n’est pas cela qui me préoccupe. On remplit de fait les attributions d’une fédération mais nous n’en a pas la capacité juridique. Il y a d’autres sujets sur lesquels il faut travailler. Q: Il a été dit que la régionalisation n’est pas encore arrivée à maturité. Que faut-il entendre par là? R: L’Inavem a suivi un peu l’évolution de certaines associations qui pour des raisons géographiques ont souhaité s’unir pour réfléchir ensemble, pour éviter l’isolement, pour faire avancer des problématiques qui pouvaient leur être communes parce qu’on appartient à la même région et qu’on peut être confrontés aux mêmes particularités. Donc l’Inavem a pris acte de cette volonté de certaines régions qui trouvent des avantages en termes de communication, d’échanges d’information. C’est une bonne chose. Certaines régions sont très avancées sur ce plan-là. D’autres ne sont même pas constituées. Il n’est pas question d’imposer une régionalisation. Par contre, au regard des avantages qu’on trouve à cette régionalisation, il est clair que l’Inavem aidera cette régionalisation notamment par la prise en charge des regroupements de délégués régionaux. Nous les aideront financièrement pour leur permettre de faire vivre cette vie régionale et le conseil d’administration a décidé de donner aux régions la capacité d’interpeller l’Inavem sur les problèmes qui les préoccupent et pour lesquelles elles estiment ne pas avoir les réponses suffisantes. L’Inavem accompagne ce mouvement. Nous ne sommes pas encore en l’état de constater que la régionalisation est la forme de structuration évidente du réseau Inavem. Il y a des gens qui ont imaginé qu’on pourrait avoir des représentations régionales au Conseil d’administration. Je ne suis pas opposé dans l’absolu à une telle éventualité mais encore faut-il que le terrain s’y prête. Mais ce n’est pas encore à l’ordre du jour. On aide. On n’impose pas. Q: Beaucoup d’interventions au cours de ces Assises ont fait état de préoccupations financières. Qu’en est-il au juste? R: Nous sommes toujours devant cette réalité récurrente à savoir que les associations ne bénéficient pas de conventions pluriannuelles d’objectif et attendent donc très tardivement dans leur exercice annuel le versement des subventions. Ca vaut pour la participation de l’Etat comme pour celle des collectivités locales. On a donc tous les ans la situation suivante: les associations doivent faire appel à leur banquier, elles paient des agios ce qui est toujours regrettable et préjudiciable à la vie des associations et les pénalise. Ceci est un point technique qu’il serait temps de surmonter. Ma seconde préoccupation est aussi d’ordre financière. Du fait de la multplication des sollicitations de par la loi, la pratique judiciaire, les missions qui se diversifient, les associations connaissent une activité qui va croissante. Ce qui veut dire moyens adéquats. A ce jour nous sommes dans la crainte de voir ces moyens ne pas suivre la demande manifestée par les pouvoirs publics. Cela se place dans un contexte budgétaire qui n’est pas favorable. Pour exemple le dispositif emploi-jeunes – il y en a 120 dans le réseau-. Donc nous craignons que les associations ne soient en difficulté pour faire face à l’accroissement des missions et pour conserver leurs professionnels salariés dans les temps à venir. Là il y a une vraie interpellation de notre part du ministre et des autorités publiques. Tout le monde est conscient qu’il faut faire plus pour les victimes, qu’il faut apporter plus de réponses, tout le monde s’accorde à dire que le réseau Inavem apporte des réponses de qualité. Il faut aider ce réseau et ne pas le mettre en difficultés… Q: Il a aussi été question de la reconnaissance d’utilité publique du réseau. Avez vous des assurances? R:Oh quand un ministre s’exprime favorablement (Dominique Perben, Garde de Sceaux – ndlr) et que nous avons un avis favorable de son ministère, les choses sont bien engagées. Encore que ce soit du domaine du ministère de l’Intérieur. On peut espérer que dans des temps proches on y arrivera. Q: Et cela apportera quoi? R: Il y a déjà le sens de la formule: utilité publique. Pour nous Inavem, ce n’est pas un contre-sens! C’est aussi un avantage fiscal pour les donateurs qui voudraient éventuellement faire des dons. Cela peut inciter des entreprises ou des personnes privées à aider les associations…
Marie-France Steinlé-Feuerbach, maitre de conférences, co-directeur du Cerdacc
SANG CONTAMINE : CHRONIQUE D’UN NON LIEU ANNONCE Nul ne peut l’ignorer, la Chambre criminelle a confirmé, le 18 juin 2003, les non-lieux prononcés par la chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris, le 4 juillet 2002 (Voir C. Lienhard, « Sang contaminé : un cas exemplaire de maltraitance et d’indignité judiciaire », J.A.C. n° 26, juillet 2002). Cet arrêt met fin aux poursuites engagées à l’encontre de trente et une personnes. Il s’agit tout d’abord de responsables administratifs présents en 1985 dans divers cabinets ministériels concernés par la diffusion de sang contaminé : les directeurs de cabinet ou conseillers techniques du Premier Ministre, du ministre des Affaires sociales et de la solidarité, du secrétaire d’Etat à la Santé. Parmi les responsables de haut rang figurent également le directeur général, le sous-directeur et le chef de bureau à la direction générale de la Santé du Secrétariat d’Etat à la Santé, le directeur général du Laboratoire national de la santé, un médecin inspecteur de la santé publique à la DDASS du Haut-Rhin. Des directeurs de centres de transfusion, qu’il s’agisse du centre national ou de centres régionaux ou départementaux sont également au rang des personnes poursuivies, ainsi que quelques médecins, spécialistes de l’hémophilie, prescripteurs ou anesthésistes. Le « casting » est impressionnant bien que moins brillant que celui du procès qui a déjà eu lieu devant la Cour de Justice de la République laquelle eut à se prononcer sur la culpabilité de trois ministres poursuivis pour homicide et blessures involontaires, deux d’entre eux furent renvoyés des fins de la poursuite et le troisième dispensé de peine. Au-delà de l’émotion légitime soulevée par l’arrêt du 18 juin 2003, il convient d’analyser cette décision de la Chambre criminelle avec le regard du juriste, tout en gardant en l’esprit sa portée politique et sociale. La brièveté de l’arrêt, avec seulement quelques lignes, voire quelques mots, pour chaque moyen rejeté, peut surprendre au regard de l’enjeu mais il convient mettre la décision en perspective avec l’Avis de Mme Dominique Commaret, Avocat général et le Rapport de M Roman, Conseiller rapporteur. L’arrêt, l’Avis et le Rapport ont été publiés dès le 19 juin sur le site Internet de la Cour de cassation ce qui démontre l’importance que la plus haute juridiction française attache à cette affaire. Cet arrêt est disponible à l’adresse suivante : http://www.courdecassation.fr/agenda/arrets/arrets/02-85199arr.htm Conformément à la règle de l’anonymat impérative en matière pénale, les mis en examen ne sont désignés que par leur prénom et des initiales. L’arrêt de la Chambre criminelle est peu lisible du fait que la listes des personnes concernées y est donnée sans indication de leurs professions. Celles-ci figurent en revanche dans le rapport de M. Roman et nous les reproduisons pour des raisons de commodité de lecture de l’arrêt : – Louis FF…, directeur de cabinet du Premier ministre ; – François SS…, conseiller technique à ce même cabinet ; – Charles-Henri NN…, directeur de cabinet du ministre des Affaires sociales et de la solidarité; – Patrick BB…, conseiller technique à ce même cabinet ; – Claude LL…, conseiller technique au cabinet du secrétaire d’État à la Santé ; – Jacques EE…, directeur général de la Santé ; – Marie-Thérèse ZZ… veuve TT…, aujourd’hui épouse AA…, sous-directeur de l’organisation des soins et des programmes médicaux à la direction générale de la Santé (DGS) ; – Jean-Baptiste FF…, chef du bureau des maladies transmissibles à la sous-direction de la prévention générale et de l’environnement de la DGS ; – Robert BB…, directeur général du Laboratoire national de la santé (LNS) ; – Danièle II…, médecin inspecteur de la santé publique à la direction départementale des affaires sanitaires et sociales du Haut-Rhin ; – Jean KK…, président de la société Diagnostics Pasteur ; – Michel RR…, directeur général du Centre national de transfusion sanguine (CNTS) ; – Bahman TT…, directeur du département des applications cliniques du CNTS et responsable des centres de distribution Saint-Antoine et Cabanel à Paris ; – Gérard VV…, directeur bio-industriel du CNTS ; – Jean-Pierre ZZ…, directeur du département de recherche et développement du CNTS ; – Bernard CC…, professeur d’hématologie, responsable du laboratoire d’hémostase du Centre régional de transfusion sanguine de Toulouse ; – Jean JJ…, directeur du Centre de transfusion sanguine de Toulouse, président du Comité consultatif de la transfusion sanguine et de la Société nationale de transfusion sanguine ; – Mohamed KK…, directeur du Centre départemental de transfusion sanguine (CDTS) du Val de Marne ; – Jacques AA…, directeur du CDTS de Seine-Saint-Denis ; – Denys UU…, directeur du CDTS de la Haute-Savoie ; – Daniel HH…, chef du laboratoire d’hémostase et de cryologie de l’hôpital Saint-Antoine à Paris ; – Françoise LL… épouse MM…, médecin au laboratoire d’hémostase et de cryologie de l’hôpital Saint-Antoine à Paris ; – Jean-Jacques OO…, directeur du centre d’hémobiologie transfusionnelle de la Pitié-Salpétrière à Paris ; – Claire PP…, épouse QQ…, responsable de l’unité d’hémostase du laboratoire central d’hématologie de l’hôpital Necker à Paris ; – Marie-Françoise GG…, praticien hospitalier à l’hôpital Necker à Paris ; – Yvette GG… épouse HH…, directeur du centre de traitement des hémophiles de l’hôpital Cochin à Paris ; – Marie-Josette DD… épouse EE…, professeur de médecine, directeur du centre de traitement de l’hémophilie de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre, coordinateur du Comité de l’hémophilie ; – Yves WW…, assistant au laboratoire d’hématologie de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre ; – Geneviève XX… épouse YY…, assistant au service d’hématologie de l’hôpital Avicenne à Bobigny ; – Françoise CC… épouse DD…, directeur du centre Air et soleil de la Croix-rouge à la Queue-Les-Yvelines ; – Angèle II… épouse JJ…, chef du service d’anesthésie de la clinique Sainte-Thérèse à Colmar. Le scandale du sang contaminé réside dans la diffusion de produits dont certains hauts responsables n’ignoraient pas le danger. M Roman rappelle fort justement que la transmission par voie sanguine du VIH avait été mise en évidence depuis 1983 par les travaux du professeur Montagnier, qu’une circulaire de Jacques EE, directeur général de la Santé, en date du 20 juin 1983 avait recommandé la sélection des donneurs, qu’une nouvelle circulaire avait été diffusée le 6 janvier 1985. Par ailleurs, une technique d’inactivation du virus par chauffage avait été homologuée dès 1983 aux Etats-Unis. Le 22 novembre 1984, le docteur Jean-Baptiste FF, chef de bureau à la DGS, indiquait dans un rapport qu’au moins 10% des personnes séropositives devaient être atteintes du Sida dans les cinq années suivant leur contamination et que l’issue de la maladie risquait d’être fatale dans 70% des cas. Michel RR, directeur général du CNTS, signalait lui-même dans deux notes des 7 et 9 mai 1985 que la distribution de produits non chauffés entraînerait la contamination de 50 à 100 hémophiles par trimestre avec un risque de mort pour 5 à 10 d’entre eux, il a néanmoins, le 29 mai 1985, pris la décision de poursuivre la distribution jusqu’à l’écoulement des stocks. M Roman souligne que « dans le même temps, les mesures de dépistage des donneurs contaminés ont été retardées pour des raisons essentiellement mercantiles de protection de l’industrie nationale », il s’agissait en effet d’attendre que la société française Diagnostics Pasteur soit en mesure de produire en quantité suffisante son réactif Elavia. Par ailleurs, ce n’est qu’au premier octobre 1985 qu’avait été fixée la date du non remboursement des produits non chauffés, le rappel de ceux-ci étant prescrit par Jacques EE le 2 octobre 1985. Michel RR, son adjoint Jean-Pierre ZZ ainsi que Jacques EE et Robert BB, directeur du Laboratoire national de la santé ont déjà été condamnés, dans une procédure antérieure, les deux premiers pour tromperie sur la qualité des produits, les autres pour abstention volontaire d’empêcher la commission des délits de tromperie, Michel RR étant relaxé du chef d’homicide involontaire (CA Paris, 3 mai 1993, D. , 1994, 118, note Prothais) ; les pourvois de Michel RR et de Jean-Paul ZZ ont été rejetés par un arrêt de la Chambre criminelle du 22 juin 1994 (Bull. crim., n° 248) lequel avait laissé entendre que des poursuites du chef d’empoisonnement seraient possibles. Ils sont à nouveau mis en examen, en compagnie de 27 autres personnes pour empoisonnement, complicité d’empoisonnement et non-assistance à personne en danger dans la procédure qui vient de trouver son épilogue le 18 juin 2003. La froide confirmation des non-lieux prononcés (I) montre que la Justice est peu armée pour répondre au besoin de vérité des victimes (II). I. La confirmation des non-lieux L’arrêt du 18 juin rejette les pourvois introduits par le procureur général près la Cour d’appel de Paris et les parties civiles. Pour la Chambre criminelle, il n’y a pas lieu de poursuivre des chefs de crime d’empoisonnement et complicité (A), de délit d’homicides et blessures involontaires (B) ou de non-assistance à personne en danger (B). A. Empoisonnement et complicité La première question qui se pose est celle de savoir, si l’infraction d’empoisonnement était retenue, quels en seraient les auteurs : les médecins prescripteurs ou les « décideurs » publics ou privés ? Pour la chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris, les auteurs ne peuvent être que les médecins prescripteurs, les décideurs ne pouvant être complices que si le crime principal est punissable. Or, des parties civiles soutenaient que « la décision prise par le directeur général du CNTS le 29 mai 1985 de poursuivre la distribution de tous les lots de produits antihémophiliques contaminés, en connaissance de leur caractère mortifère, consomme le crime d’empoisonnement ». La Chambre criminelle ne répond pas à cet argument et se contente de se réfugier derrière l’appréciation souveraine de la chambre d’instruction. Quant aux médecins prescripteurs, la Chambre approuve l’arrêt attaqué d’avoir considéré « la preuve n’est pas rapportée qu’ils aient eu connaissance du caractère nécessairement mortifère des lots du CNTS, l’information n’ayant été communiquée par Michel RR…, de façon partielle et confidentielle, que dans le cadre du CNTS et de la direction générale de la Santé, et des incertitudes régnant encore, à l’époque, dans les milieux médicaux, quant aux conséquences mortelles du sida ». Donc les médecins prescripteurs n’ayant pas de certitude quant au caractère mortifère des lots contaminés, ne sauraient être poursuivis pour empoisonnement et donc Michel RR ne peut être poursuivi pour complicité. La logique juridique heurte ici le bon sens. La Chambre ajoute que « le crime d’empoisonnement ne peut être caractérisé que si l’auteur a agi avec l’intention de donner la mort, élément moral commun à l’empoisonnement et aux autres crimes d’atteinte volontaire à la vie de la personne ». L’élément moral de l’infraction fait défaut. B. Homicides et blessures involontaires Dès le prononcé de l’arrêt du 18 juin les médias ont stigmatisé les effets de la loi du 10 juillet 2000, loi dont le but était la protection des élus devant le risque pénal mais dont un des effets aurait été l’absence de condamnation possible dans l’affaire du sang contaminé et d’autres affaires en attente d’être jugées. Le propos doit être nuancé au regard de la décision rendue. Certes, la loi nouvelle ne permet pas la condamnation des décideurs, auteurs indirects, sur le fondement de la première alternative de la faute qualifiée puisqu’il n’y avait pas eu violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement dès lors qu’une telle obligation n’était nullement prévue. Certes, la démonstration d’une faute caractérisée et qui expose autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorait est difficile, mais seule l’absence de la possibilité d’une telle démonstration aurait permis d’affirmer un effet déresponsabilisant de la loi du 10 juillet 2000. En réalité, la Chambre criminelle s’est bien gardée de se hasarder sur le terrain mouvant de la faute caractérisée, elle s’est contentée d’approuver le raisonnement de la Cour d’appel à propos de l’absence de lien de causalité. Dès lors que le lien de causalité entre la faute et le dommage, qu’il soit direct ou indirect, n’est pas établi, il ne saurait y avoir de responsabilité que ce soit pour faute simple ou pour faute qualifiée. Ainsi, le non-lieu est confirmé sans qu’il y ait de débat au fond et sans que la loi du 10 juillet 2000 soit mise en cause. L’établissement du lien de causalité entre une transfusion et une contamination a subi des fluctuations en jurisprudence tant administrative que civile. Si pour le juge administratif ou le juge civil il est concevable d’établir des présomptions de causalité dans le but d’indemniser les victimes de telles présomptions ne sauraient être invoquées en matière pénale, la présomption d’innocence devant bien entendu prévaloir. Quelle que soit la jurisprudence, l’importance des dates est primordiale : date de la transfusion ou des transfusions, date d’apparition des symptômes de la contamination. Dans cette affaire, il ne s’est pourtant pas agi d’établir un lien de causalité entre des transfusions et des contaminations mais bien entre des transfusions et des surcontaminations. En effet, la plupart des victimes avaient déjà été contaminées avant le dépôt du test de la société Abbott et la décision du CNTS de poursuivre la distribution des lots infectés. Les fautes reprochées aux responsables administratifs étant limitées dans le temps elles ne peuvent être à l’origine de la contamination initiale, elles ne sauraient donc qu’être la cause d’une aggravation d’un état antérieur, provoqué par des transfusions précédentes. Le raisonnement est d’une logique juridique imparable ! Pourtant les dates prises en compte par l’arrêt d’appel sont discutables. Quant à la surcontamination, « en l’état des données actuelles de la science, le caractère aggravant de la surcontamination des patients déjà infectés n’est pas établi », tout aussi imparable ! C. Non-assistance à personne en danger Deux médecins sont mis en examen pour n’avoir pas pris les mesures nécessaires pour prévenir la contamination par voie sexuelle de personnes proches de patients déjà contaminés. La Chambre criminelle relève que c’est à tort que la chambre d’instruction n’a pas recherché si les faits reprochés aux autres défendeurs aux pourvois pouvaient caractériser le même délit, néanmoins elle considère que l’arrêt attaqué « n’encourt pas la censure dès lors qu’il résulte des constatations des juges que les intéressés n’avaient pu avoir conscience, en raison des incertitudes régnant alors dans les milieux médicaux, de l’existence d’un péril d’une imminente gravité qu’ils auraient pu écarter par leur intervention immédiate ». Ici encore, l’absence de certitude sur les effets de la contamination permet aux mis en examen de ne plus être inquiétés. S’agissant des moyens ayant trait à l’état de nécessité ; ils sont écartés en quelques mots la Cour les considérant comme inopérants. L’arrêt est donc lapidaire, on attendait davantage de précision pour une affaire aussi grave. II. La négation du besoin de vérité Cet arrêt met fin à la procédure devant les juridictions françaises. Les médias ont immédiatement invoqué « la catastrophe judiciaire après la catastrophe sanitaire ». Il est vrai que ce jugement en droit de la Cour de cassation empêche tout examen au fond de l’affaire (A), alors que l’insuffisance des motifs de la Cour d’appel de Paris aurait pu permettre la cassation (B) ? A. L’impossible examen du fond de l’affaire En rejetant les pourvois, la Chambre criminelle a clos définitivement l’affaire, laissant bien des questions sans réponse. La Chambre criminelle a jugé en droit et non en faits, ce qui est son rôle. Cependant son arrêt, fort peu explicite, pourrait fort bien être interprété comme une volonté de mettre fin au débat judiciaire sur le sang contaminé plutôt que comme un arrêt digne de notre Cour suprême. Il surprend par la brièveté des réponses, l’argument, certes exact mais ici mal venu de l’appréciation souveraine des premiers juges. La Chambre criminelle esquive les problèmes par des raisonnements juridiques qui ne peuvent satisfaire l’opinion publique et encore moins les victimes. Ainsi, le débat sur le décideur, possible auteur du crime d’empoisonnement, est totalement occulté au profit de l’impossibilité de le poursuivre pour complicité en raison d’absence d’auteur principal. Il est piquant de constater que c’est précisément parce qu’il a été mal informé par le décideur que le médecin prescripteur ne peut être poursuivi pour empoisonnement et que donc le décideur échappe également à toutes poursuites. De même, le refus de la Chambre de s’engager sur le terrain de la loi du 10 juillet 2000 en s’abritant derrière l’absence de causalité n’est pas convaincant. Ici, les décideurs échappent aux poursuites car les malades étaient déjà contaminés… Les victimes sont donc définitivement privées de tout débat au fond, de toute recherche de vérité. En donnant son Avis, Mme Commaret suggérait la cassation avec ou sans renvoi, on ne peut que regretter que la première voie n’ait pas été suivie. B. La légèreté des motifs Les premières lignes de la conclusion de l’Avis de Mme Dominique Commaret sont claires : « Juridiquement, j’estime que doivent être censurées les défaillances de motivation de l’arrêt soumis au contrôle de la chambre criminelle, qui ne peut paraître cautionner un arrêt de cette facture. » Nous saluons cette courageuse prise de position, qui n’a hélas pas été suivie. L’attente des victimes, au-delà d’éventuelles condamnations, était de comprendre le déroulement des faits, l’enchaînement des dysfonctionnements, involontaires et souvent volontaires, qui avait conduit au drame du Sida post-transfusionnel. L’Avocat général pointe la légèreté de l’arrêt d’appel. S’agissant de l’état de nécessité, l’arrêt passe sous silence le contexte dans lequel agissaient les médecins responsables de transfusions chirurgicales ; par ailleurs « La cause d’irresponsabilité dont bénéficient (ou pourraient bénéficier) les médecins soignants des hémophiles mis en examen dans cette procédure (ainsi que les médecins transfuseurs) ne saurait profiter à ceux dont il est ou serait établi qu’ils n’ont été préoccupés que par l’écoulement de leurs stocks ou par la volonté de favoriser l’industrie française, alors qu’ils disposaient « d’autres solutions que la commission d’un délit… pour pallier de simples difficultés commerciales » ». S’agissant des atteintes involontaires à l’intégrité physique, l’analyse des fautes retenues est parcellaire et se contente d’examiner le lien causal entre les actions tendant à freiner la mise sur le marché du test américain, elle ne porte pas sur les conséquences d’autres fautes dommageables comme la poursuite des collectes à risque, les retards dans la procédure de chauffage des produits. Surtout, le choix des dates pour refuser le lien de causalité est imprécis et illogique. L’Avocat général indique une piste à la Chambre criminelle : « Là encore, il appartiendra à la chambre criminelle d’apprécier si ce manque de clarté de la motivation est de nature à gêner son contrôle de légalité, étant observé que la motivation est un principe d’ordre public dont le défaut peut être relevé d’office ». Mme Commaret considère fondés les griefs relatifs à l’omission de la Cour d’appel de se prononcer sur la situation spécifique, au regard du lien de causalité d’un certain nombre de victimes : « L’arrêt a incontestablement omis de prononcer sur la situation spécifique, au regard du lien de causalité, d’un certain nombre des victimes constituées parties civiles par elles-même ou par leurs ayant-droits. Cette omission concerne neuf adultes et deux enfants décédés du SIDA, ainsi que quatre personnes transfusées non décédées dont un enfant. Elle ne peut être considérée comme mineure. » Il est relevé également que la chambre d’instruction n’a pas satisfait à ses obligations quant à la vérification de l’existence du lien de causalité. De même est soulignée qu’est trop réductrice la délimitation du champ d’application du refus d’assistance à personne en danger. L’Avocat général rappelle l’importance de la motivation : « La motivation, c’est tout à la fois le devoir, le métier, la rigueur intellectuelle, voire même le courage du juge face à une opinion publique toujours prête à douter de son impartialité. C’est le prolongement du débat contradictoire, c’est la trace de l’écoute et de l’influence des arguments échangés, qu’ils soient accueillis ou récusés. Seule une décision motivée permet la compréhension, et parfois même l’acceptation du jugement par ses destinataires. »
La cassation avec renvoi aurait permis la saisine d’une troisième chambre d’instruction, mais aurait allongé encore la durée de la procédure. La cassation sans renvoi aurait été une décision symbolique mettant fin à la procédure tout en stigmatisant les insuffisances de l’arrêt d’appel. La Chambre criminelle a choisi la solution la moins opportune. Après dix années de procédures, d’hésitations quant à la qualification des infractions et quant à l’opportunité des poursuites, l’arrêt rendu par la Chambre criminelle n’est satisfaisant ni pour les victimes, ni pour les personnes mises en examen. La justice ne sort pas grandie de ce parcours chaotique.
Mohamed Jarraya,ATER à l’Université de Haute Alsace, membre du Cerdacc
VICTIMES D’INFRACTIONS: RAPPEL DU SYSTEME D’INDEMNISATION
Pour comprendre la signification de l’arrêt de la deuxième chambre civile en date du 13 mars 2003, il est nécessaire de rappeler sommairement le système d’indemnisation des victimes d’infractions dans notre droit positif, peut-être ignoré des non-juristes.
Schématiquement, ce système est constitué de deux modes de réparation autonomes répondant à des règles qui leurs sont propres. Le premier est attaché au procès répressif de recherche et de condamnation de l’auteur. Il se traduit par l’action en réparation d’un dommage intentée contre ceux qui en sont pénalement ou civilement responsables. Le second est détaché du système pénal. Il implique le recours en indemnité pour un dommage corporel ou matériel contre le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGVAT), par celui qui en a été la victime.
Classiquement en effet, tous ceux qui ont personnellement souffert d’un dommage directement causé par une infraction pénale peuvent demander réparation soit devant une juridiction civile, soit devant une juridiction répressive par le biais de l’action civile (art. 2 du Code de procédure pénale), action qui doit être exercée contre les auteurs, les complices et les tiers civilement responsables à la suite de l’engagement de l’action publique (art. 1er du Code de procédure pénale).
Seulement, face à une délinquance devenue massive et à des dommages d’une ampleur inédite, le législateur de 1977 est intervenu en faveur des victimes d’infractions dont les auteurs ne sont pas connus ou ne sont pas solvables. Ce fut la loi n° 77-5 du 3 janvier 1977 (JO 1977, p. 77 ; Rect. JO 6 janv. 1977, p. 155) garantissant l’indemnisation de certaines victimes de dommages corporels résultant d’une infraction (J. C. Maestre, D. 1977. Chr. XVIII). La nouveauté de cette loi est la prise en charge par l’Etat, sur le fondement que ce dernier doit prendre le relais du délinquant défaillant, d’une indemnisation si certaines conditions, énumérées par l’article 706-3 du Code de procédure pénale, sont réunies.
Insérée dans le livre IV du Code de procédure pénale (art.706-3 à 706-14 et R. 50-1 à R. 50-28) et modifiée à plusieurs reprises, notamment par les lois n° 83- 608 du 8 juillet 1983 renforçant la protection des victimes d’infractions (J. Pradel, Un nouveau stade dans la protection des victimes d’infractions, D. 1983. Chr. XLIII) et n° 90-589 du 6 juillet 1990 modifiant ledit code et le Code des assurances et relative aux victimes d’infractions (J. Favard et J. M. Guth, La marche vers l’uniformisation ? : La quatrième réforme du droit à indemnisation des victimes d’infractions, JCP. G. 1990. Doc. 3466), la loi de 1977 a crée dans le ressort de chaque tribunal de grande instance une commission juridictionnelle à caractère civil (la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions – CIVI -), composée de deux magistrats de siège et d’une personne s’étant signalée par l’intérêt qu’elle porte aux problèmes des victimes. Elle a pour mission d’accueillir les demandes d’indemnisation et de se prononcer sur leur bien-fondé.
Ainsi donc, toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d’une infraction et n’a pu obtenir, à un titre quelconque, la réparation ou une indemnisation effective et suffisante, peut exercer un recours en indemnité devant ladite commission (signalons que depuis la loi du 6 juillet 1990, ce recours n’a plus un caractère subsidiaire et par voie de conséquence, la victime n’est plus tenue d’établir qu’elle ne pouvait être indemnisée à un titre quelconque) contre le FGVAT (avant la loi du 6 juillet 1990, la charge financière de l’indemnisation, autre que celle des victimes d’actes de terrorisme, était supportée par le Trésor public).
Alimenté par un prélèvement sur les contrats d’assurance de biens, ce fonds est représenté par l’alinéa 3 de l’article L. 422-1 du Code des assurances comme un subrogé dans les droits que possède la victime contre la personne responsable du dommage (étant précisé que ledit fonds pourra exercer un recours en remboursement des sommes versées à l’encontre de cette dernière). Les ayants droit, en cas de décès de la victime directe, peuvent demander l’indemnisation de leur préjudice personnel (Cass. civ. 4 janv. 1989, Bull. civ. II n° 3 ; Cass.civ. 5 nov.1998, Bull. civ. II n° 260). Mais il arrive, dans certains cas, que leurs demandes soient déclarées irrecevables par la CIVI.
Cette irrecevabilité, qui se trouve illustrée par l’arrêt commenté, se développe, en l’espèce, sur le terrain de l’application dans le temps de la loi du 6 juillet 1990. Sous cet aspect, la jurisprudence des Cours d’appel est fondamentalement opposée à celle de la Cour de cassation, opposition qui souligne l’importance d’une problématique dont les données juridiques méritent d’être rappelées.
Venons-en aux faits de l’espèce : à la suite de la condamnation de Maurice Papon par la Cour d’assises de la Gironde pour complicité de crime contre l’humanité (art. 212-1 et s. du Code pénal), Madame B. dont une partie de la famille avait été déportée et exterminée par les nazis entre 1942 et 1944, a saisi une CIVI pour obtenir l’indemnisation de son préjudice moral. Néanmoins, sa requête a été déclarée irrecevable.
Ensuite de quoi l’intéressée interjetait appel devant la Cour de Bordeaux qui, par arrêt rendu le 10 décembre 2001, a infirmé la décision de la CIVI en jugeant recevable la demande de Madame B. et fixant à 120. 000 F. l’indemnisation de son préjudice moral.
Les magistrats du second degré avaient ainsi justifié et expliqué cette solution :
« Attendu qu’il résulte des dispositions de l’article 18 alinéa 2 de la loi du 6 juillet 1990 modifiant les dispositions antérieures des lois des 3 janvier 1977 et 8 juillet 1983 que – les dispositions relatives à l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions, s’appliquent aux faits commis antérieurement au 1er janvier 1991 qui n’ont pas donné lieu à une décision d’indemnisation irrévocablement passée en force de chose jugée -, que ces dispositions figurent dans le Titre IV de la loi intitulé – Dispositions diverses et finales -qu’elles n’ont pas un caractère transitoire et ne comportent pas une mention de la loi susceptible de l’établir, que si, conformément aux dispositions de l’article 2 du Code civil, – la loi ne dispose que pour l’avenir et n’a point d’effet rétroactif -, ce principe ne s’impose pas au législateur qui, lorsqu’il entend donner à un texte une application rétroactive doit, cependant, manifester son attention sans équivoque, que tel est le cas en l’espèce, le législateur, en adoptant les dispositions de l’article 18, alinéa 2, dans les termes susvisés, ayant exprimé clairement son intention de ne soumettre à aucune condition de date l’indemnisation des victimes des faits visés à l’article 706-3 du Code de procédure pénale, qui n’ont pas donné lieu à une décision irrévocablement passée en force de chose jugée, sauf à répondre aux conditions de recevabilité de la requête devant la Commission ; que la requête déposée le 28 mars par Madame B. après que Maurice Papon a été condamné répond aux conditions exigées par l’article 18 alinéa 2 de la loi du 6 juillet 1990 ».
Sur pourvoi formé par le FGVAT, la deuxième chambre civile censure cette interprétation par un raisonnement en deux temps :
« Attendu que l’article 18 alinéa 2 de la loi du 6 juillet 1990, en prévoyant que les dispositions de cette loi s’appliquent aux faits qui n’ont pas donné lieu à une décision irrévocablement passée en force de chose jugée, limite ainsi son champ d’application aux faits qui étaient déjà susceptibles d’être indemnisés sur le fondement des articles 706-3 et suivants du Code de procédure pénale à d’autres conditions sous le régime antérieur ; que ce régime n’est pas applicable à des faits commis avant le 1er janvier 1976 ».
« Attendu que le régime d’indemnisation des victimes d’infractions ne comportant aucune dérogation pour des faits constitutifs de crimes contre l’humanité, les dommages subis, découlant d’infractions commises de 1942 à 1944, n’étaient pas susceptibles d’être indemnisés par une CIVI ».
Malgré sa démonstration subtile, la formule draconienne de la censure énoncée par la deuxième chambre civile à l’encontre de la solution retenue par les juges du fonds, met en question la volonté présumée du législateur. En effet, le commentateur avisé peut légitimement s’interroger sur cette interprétation extensive de l’article 18 alinéa 2 de la loi du 6 juillet 1990 (I) en vue de savoir si elle ne contribue pas à en méconnaître l’esprit (II) ou si, au contraire, elle se trouve parfaitement justifiée.
I) Une interprétation extensive de l’article 18 alinéa 2 de la loi du 6 juillet 1990
Aux termes de l’article 2 du Code civil : « La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ». Cela veut dire que la loi nouvelle ne peut pas être appliquée à des situations juridiques antérieures à sa promulgation. Cette règle d’ordre public s’impose au juge. Il est tenu, dans ses fonctions de dire le droit, de la respecter scrupuleusement, et doit l’invoquer même si les parties au procès ne l’on pas fait elles-mêmes. Le pouvoir exécutif doit également la respecter.
En revanche, le législateur peut y déroger en matière civile, car il ne s’agit pas d’une règle de valeur constitutionnelle (cependant en matière pénale, le législateur ne peut déroger au principe de non-rétroactivité, puisqu’il est mentionné à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, déclaration de valeur constitutionnelle). Ainsi, en prévoyant que la loi du 6 juillet 1990 est applicable aux faits commis avant le 1er janvier 1991, à condition toutefois qu’ils n’aient pas donné lieu à une décision d’indemnisation devenue définitive, le législateur de 1990 a donc adopté une loi civile rétroactive dont l’application stricte doit être assurée par l’autorité judiciaire, et c’est d’ailleurs ce qu’a fait la Cour de Bordeaux.
En jugeant recevable la demande de Madame B., les juges du fond semblent avoir appliqué strictement et littéralement l’article 18 alinéa 2 de la loi de 1990 dans la mesure où le préjudice de la victime résulte d’une infraction antérieure au 1er janvier 1991, et n’a pas été indemnisé par une décision définitive.
Quant à la Cour de cassation elle apparaît, au contraire, bien peu soucieuse de la lettre du texte considéré. La position qu’elle adopte est en réalité le résultat d’une interprétation extensive. La clé de voûte du raisonnement de la deuxième chambre civile est le principe de la jonction de l’ancien et du nouveau régime d’indemnisation.
En effet, ce principe s’inspire directement de l’idée selon laquelle la loi nouvelle n’est qu’une suite des lois anciennes. A suivre cette théorie, toutes les dispositions anciennes non explicitement abrogées par la loi nouvelle continuent de produire leurs effets sous l’empire de cette dernière. Dès lors il est impossible, de ce point de vue, d’appliquer la loi de 1990 sans l’articuler avec les différents textes antérieurs qui se sont succédés en la matière.
La conséquence pratique qui résulte de la mise en œuvre de ce principe consiste, en l’espèce, à supprimer du champ d’application de la loi du 6 juillet 1990, tous les faits qui n’étaient pas susceptibles d’indemnisation en application de l’article 706-3 du Code de procédure pénale dans sa rédaction antérieure, issue de la loi du 3 janvier 1977 (la dernière rédaction de l’article 706-3 du Code de procédure pénale est ainsi conçue : « Toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d’une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, lorsque sont réunies les conditions suivantes : 1° Ces atteintes n’entrent pas dans le champ d’application de l’art. 53 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, ni de l’art. L. 126-1 du Code des assurances, ni du chapitre 1er de la loi n° 85-677 du 5 juill. 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation et n’ont pas pour origine un acte de chasse ou de destruction des animaux nuisibles ; 2° Ces faits : – soit ont entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois ; – soit sont prévus et réprimés par les art. 222-22 à 222-30 et 227-25 à 227-27 du Code pénal ; 3° La personne lésée est de nationalité française. Dans le cas contraire, les faits ont été commis sur le territoire national et la personne lésée est : – soit ressortissant d’un Etat membre de la Communauté économique européenne ; – soit, sous réserve des traités et accords internationaux, en séjour régulier au jour des faits ou de la demande. La réparation peut être refusée ou son montant réduit à raison de la faute de la victime »).
Or, l’article 2 de cette loi exclut précisément de son champ d’application les dommages résultant de faits antérieurs au 1er janvier 1976. La deuxième chambre civile n’a d’ailleurs pas manqué de viser ce texte dans un arrêt en date du 10 décembre 1981 ainsi que d’en rappeler la teneur par un attendu de principe : « Doit être cassée la décision rendue par une CIVI qui a alloué une indemnité à la victime d’une infraction commise en 1975, alors qu’il résulte de l’article 2 de la loi du 3 janvier 1977 que les articles 706-3 à 706-13 du Code de procédure pénale ne sont applicables qu’aux préjudices résultant de faits survenus depuis le 1er janvier 1976 » (Gaz. Pal. 1982. I. Panorama. 161).
C’est ainsi qu’en articulant l’article 18 alinéa 2 de la loi du 6 juillet 1990 avec l’article 2 de la loi du 3 janvier 1977, les dommages indemnisables, à l’exception bien sûr de ceux découlant d’une infraction postérieure à l’entrée en vigueur de la loi de 1990, se limitent à ceux qui résultent de faits incriminés qui ont été commis entre 1976 et 1991 et n’ayant pas été indemnisés par une décision devenue définitive.
Dans l’espèce qui fait l’objet de l’arrêt commenté, l’infraction avait été commise entre 1942 et 1944. Le préjudice qui en résulte n’entre donc pas, suivant le raisonnement susvisé, dans le champ d’application de l’article 706-3 du Code de procédure pénale. En conséquence de quoi, la deuxième chambre civile casse sans renvoi l’arrêt de la Cour d’appel en déclarant irrecevable la requête de Madame B.
Cette décision n’est pas sans précédent. Une situation voisine avait déjà été examinée par ladite chambre le 27 septembre 2001 (Bull. civ. II, n° 146) à propos de laquelle le même raisonnement avait été suivi. Il s’agissait de coups et blessures commis en 1975 dont la victime, alors âgée de onze ans, était indemnisée par une décision du juge des enfants en date du 24 juin 1978. Mais en 1994, en raison d’une aggravation de son préjudice, ladite victime saisit une CIVI d’une demande d’indemnisation.
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence décide que les faits ayant donné lieu à une décision devenue définitive ne peuvent permettre une indemnité du préjudice initial, mais la cour accueille la demande de la requérante quant à l’aggravation de son préjudice en la relevant de la forclusion en application de l’article 706-5 du Code de procédure pénale.
La deuxième chambre civile approuve les juges du second degré sur le premier point mais en opérant une modification de motif fondée sur le « fameux » principe de la jonction de l’ancien et du nouveau régime d’indemnisation. Aux termes de l’arrêt : « Attendu que l’article 18 alinéa 2 de la loi du 6 juillet 1990, en prévoyant que les dispositions de cette loi s’appliquent aux faits qui n’ont pas donné lieu à une décision irrévocablement passée en force de chose jugée, limite ainsi son champ d’application aux faits qui étaient déjà susceptibles d’être indemnisés sur le fondement des articles 706-3 et suivants du Code de procédure pénale à d’autres conditions sous le régime antérieur ; il en résulte qu’en l’absence de régime d’indemnisation antérieur à la loi du 3 janvier 1977 pour des faits commis avant le 1er janvier 1976 la Cour d’appel justifie légalement sa décision en ce qu’elle dit que les faits survenus en 1975 n’étaient pas susceptibles d’être indemnisés ».
Sur le second point, la juridiction suprême casse l’arrêt d’appel pour violation de l’article 18 de la loi du 6 juillet 1990 au motif que la Cour d’Aix-en-Provence « se borne à énoncer que le demandeur ne peut revenir sur l’indemnisation du préjudice corporel qui lui a été accordée par un jugement du 24 janvier 1978 mais que l’aggravation de son état survenue le 21 janvier 1993 justifie qu’il soit relevé de la forclusion, alors que cette aggravation est indissociable du préjudice initial qui n’est pas susceptible d’être indemnisé ».
Avec cet arrêt confirmé par la décision commentée, on peut considérer aujourd’hui que la Cour de cassation a posé une règle générale suivant laquelle : pour bénéficier des dispositions de l’article 706-3 du Code de procédure pénale, il est nécessaire que le préjudice subi entre dans le champ d’application des dispositions antérieures à la loi du 6 janvier 1990 non expressément abrogées. L’arrêt du 13 mars 2003 vient donc s’ajouter à une jurisprudence qui nous paraît désormais devoir limiter considérablement le champ d’indemnisation des victimes d’infractions. Reste à savoir si cette jurisprudence est conforme à l’esprit de l’article 18 alinéa 2 de la loi du 6 juillet 1990 ou si, au contraire, elle malmène la lettre de ce texte ainsi que sa pensée. De la réponse à cette question dépend la valeur du raisonnement mené dans l’arrêt.
II) L’esprit de l’article 18 alinéa 2 de la loi du 6 juillet 1990
L’interprétation extensive donnée à l’article 18 alinéa 2 de la loi du 6 juillet 1990 nous semble appeler de sérieuses réserves.
Tout d’abord, une incertitude subsiste sur la pertinence de la jonction du texte considéré avec les dispositions de l’article 2 de la loi du 3 janvier 1977. En effet, s’il est probable que le régime d’indemnisation des victimes consiste dans l’articulation des différents textes dans le temps, il est, en revanche, peu probable que les outils du droit donnent la clé de cette articulation. Les rapports conflictuels entre les différents textes de loi intervenant successivement sur un même point de droit sont assujettis à des règles strictes. Ce sont ces règles qui doivent gouverner l’interprétation de l’article 18 alinéa 2 afin d’empêcher sa déformation. Certes, l’interprète doit donner à la loi sa capacité maximale d’extension, il n’en reste pas moins que cette extension doit être dans les limites de ce qu’a voulu le législateur (R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, t. 1, 7è éd., p. 250).
En conséquence, juger que toutes les dispositions non expressément abrogées par la loi nouvelle continuent de s’appliquer (point de vue soutenu par V. Mikalef-Toudic, cf. D. 2002, Comm. p. 1173), reviendrait à méconnaître la méthode de l’abrogation tacite consacrée par le droit positif afin de régler le problème de l’application de la loi dans le temps. Rappelons-nous que les dispositions de la nouvelle loi qui sont inconciliables avec celles de la loi antérieure et qui ne sont pas expressément abrogées, sont implicitement abrogées dans la mesure où la volonté la plus récente du législateur doit l’emporter.
Tel semble le cas des dispositions de l’article 18 alinéa 2 de la loi du 6 juillet 1990 qui contredisent manifestement celles de l’article 2 de la loi du 3 janvier 1977. Ainsi apparaît-il que ces dernières sont implicitement abrogées puisqu’elles ne correspondent plus à la volonté actuelle du législateur. C’est donc à tort, selon nous, que la deuxième chambre civile a articulé des dispositions abrogées avec celles qui les abrogent tacitement.
Cette observation technique, et pour ainsi dire théorique, est secondaire par rapport à celle qu’on peut faire à la lecture de « l’esprit de la loi du 6 juillet 1990 relative aux victimes d’infractions » (RSC, 1991, p.149), article d’une grande portée, où le Professeur A. d’Hauteville explique admirablement l’esprit qui a présidé à la naissance de la quatrième réforme en matière d’indemnisation des victimes d’infractions, réforme qui correspond à la politique criminelle du mouvement de Défense sociale nouvelle créé par Marc Ancel (La Défense sociale nouvelle : un mouvement de politique criminelle humaniste, Ed. Cujas, 1er éd. 1954, 2è éd. 1966, 3è éd. 1981).
Par cette réflexion, le Professeur A. d’Hauteville, met en relief les volets essentiels de la loi du 6 juillet 1990, qui se résument dans deux idées majeures :
« – la réparation intégrale des préjudices subis est un droit fondamental à caractère public de la personne lésée,
et, – la réparation doit être assurée par l’Etat ou la société quant elle ne peut l’être par l’auteur ». L’article 18 alinéa 2 est, à cet égard, tout à fait représentatif de ces deux idées puisqu’il permet, en effet, à toutes les victimes d’infraction grave, y compris celles qui ont subi un préjudice résultant de faits commis antérieurement à son entrée en vigueur et qui n’ont pas été indemnisées par une décision définitive, de demander réparation de leur préjudice. Car le droit au dédommagement est devenu, par la réforme de 1990, fondamental, au même titre que le droit de tout un chacun au respect et à la dignité, c’est pour cette raison qu’il ne peut être limité dans le temps. « Bien sûr, remarque le Professeur A. d’Hauteville, l’indemnisation financière, malgré sa nature juridique compensatrice, n’efface pas les souffrances, les détresses mais elle constitue une reconnaissance officielle par l’Etat, par la justice, par la société de la victime et en ce sens elle est un droit fondamental ». C’est précisément ce droit fondamental qu’a bafoué la Cour de cassation par deux fois.
En supprimant, par ailleurs, toute condition temporelle pour l’attribution de l’indemnité, l’article 18 alinéa 2 a établi, par souci de cohérence et de justice sociale, l’égalité entre victimes de faits graves, quelle que soit la date de la survenance de ces faits. Il est en effet contraire à l’esprit de la loi du 6 juillet 1990 de constater que la victime d’une infraction commise en janvier 1976 ou ses ayants droit, peut obtenir l’indemnisation intégrale de tous ses préjudices, tandis que la victime d’une infraction identique commise un mois auparavant voit son préjudice exclu de toute réparation. C’est dire combien l’inégalité finalement consacrée par l’arrêt commenté rend la décision exceptionnelle. C’est dire aussi comment cette inégalité peut être péniblement ressentie par la victime, en l’occurrence Madame B. dont les séquelles psychologiques de la déportation et l’extermination par les nazis de sa famille vont assurément l’accompagner durant toute sa vie.
En somme, l’arrêt commenté mérite de s’inscrire dans l’esprit de la dérive jurisprudentielle dénoncée. Il n’est conforme, ni à la lettre, ni à l’esprit de l’article 18 alinéa 2 de la loi de 1990. Pis, il va à contre-courant non seulement des politiques criminelles des différents gouvernements qui prêtaient de plus en plus attention aux victimes, mais manifestement aussi et surtout à l’évolution sociale, législative et judiciaire qui a permis en France aux victimes de voir leur demande d’indemnisation satisfaite.
En présence de ces contradictions et de ces incertitudes apparentes, il est donc souhaitable que la Cour de cassation révise sa position dans le sens la plus conforme à la pensée du législateur. Mais si elle persiste dans sa jurisprudence, peut-on au moins espérer une chance de corriger cette interprétation extensive par une intervention législative.
Patrice Battistini, enseignant chercheur à l’UHA, membre du Cerdacc
LE RISQUE PENAL DE MAL BALISER UNE PISTE DE SKI Les pratiques sportives et notamment de skie donnent l’occasion de nombreux contentieux tant au plan civil que pénal sur le terrain de la responsabilité par imprudence ou négligence, comme l’illustre le jugement rendu par le Tribunal correctionnel d’Albertville qui retient la qualification de faute caractérisée prévue par l’article 121-3 alinéa 4 du Code pénal en matière de délits non intentionnels. Le jugement rendu par le Tribunal correctionnel d’Albertville le 24 mars 2003 est une illustration, pour les délits d’imprudence causant indirectement un dommage, de la faute caractérisée exigée par l’alinéa 4 de l’article 121-3 du Code pénal issue de sa rédaction de la loi du 10 juillet 2000 (sur la loi cf. par exemple STEINLE-FEUERBACH Marie-France, « La portée de la loi n°2000-647 du 10 juillet 2000 : à propos de la catastrophe du Drac », in Petites Affiches n°45, janvier 2001 p13-21). En effet, il résulte de l’alinéa trois de l’article 121-3 que les délits d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement ne seront constitués que si l’auteur des faits n’aura pas accompli les diligences normales. Mais lorsque le dommage n’est qu’indirectement causé, encore faut-il pour retenir la responsabilité pénale des personnes physiques, précise l’alinéa 4, qu’elles aient créé ou contribuer à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou n’aient pas pris les mesures permettant de l’éviter en violant de manière manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ou encore en commettant une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer. C’est cette dernière qualification qu’à retenu le jugement présenté. En l’espèce, les faits sont relativement simples. Une skieuse heurte une corde de balisage qui avait été placée en début de saison en travers de la piste pour canaliser les skieurs afin de limiter les risques de collisions au croisement avec une autre piste bleue. Grièvement blessée, elle décède des suites de ses blessures, après avoir subi plusieurs opérations. Sont donc poursuivis du chef d’homicide involontaire celui qui avait installé le dispositif de balisage, mais aussi le directeur et le directeur adjoint du Service des Pistes ainsi que la Société d’Aménagement dont dépend le Service des Pistes. Bien que sollicitant la relaxe pour n’avoir commis aucune faute dès lors que le balisage avait été effectué en conformité avec les normes prescrites, tous les prévenus ont été condamnés. Il résulte en effet de divers témoignages que la corde jaune et noire, d’une faible épaisseur, placée en travers de la piste n’était pas visible par beau temps, comme c’était le cas le jour de l’accident, qu’un autre accident s’était produit la veille et que d’autres ont failli survenir. Dès lors, si le dispositif mis en place pouvait être légitime pour éviter des accidents, il n’en reste pas moins qu’il était inadapté et constituait en réalité un danger extrême même pour des skieurs normalement prudents et attentifs. La dangerosité découlant de l’absence de visibilité par beau temps, de l’absence d’élasticité de la corde, de sa fixation à un poteau fixe, de sa position en travers par rapport à la piste, de sa position par rapport au sol d’une hauteur d’environ 1, 10 mètres. Dès lors que le caractère dangereux du dispositif était relevé, les risques qu’ils pouvaient engendrer ne pouvaient être ignorés par les prévenus en raison de leur prévisibilité élevée. De plus, aucune diligence ne pouvait être retenue de la part des prévenus, car si la norme NP tolère des cordes jaunes et noires comme dispositifs de liaison, il est toutefois préconisé de les équiper de fanions de couleurs très visibles et très rapprochés, ce qui n’était pas le cas ici. En tout état de cause, il fallait éviter de barrer une piste par ce type de balisage plus destiné à être placé le long d’une piste qu’en travers. Constitue donc une faute caractérisée ayant exposé autrui à un risque d’une particulière gravité qui ne pouvait être ignoré le fait pour l’un des prévenus d’avoir procédé à l’installation d’un dispositif aussi dangereux, pour l’autre de l’avoir vérifié sans avoir jugé nécessaire de le faire modifier et pour le dernier d’avoir omis de contrôler l’absence de dangerosité des balisages mis en place sur les pistes.
Blandine Rolland, maitre de conférences en droit privé, membre du Cerdacc
JOURNEE D’ ETUDES DU 25 JUIN A LA FACULTE DE DROIT DE METZ
» LES INCERTITUDES JURIDIQUES AFFECTANT LA GESTION DES SITES CONTAMINES… »
La journée d’étude organisée sous la direction du Professeur Philippe BILLET, par l’Institut Droit et Économie des dynamiques en Europe (ID2), de la Faculté de Droit, Économie et Administration de Metz, en collaboration avec la Société française pour le Droit de l’environnement, s’est déroulée le mercredi 25 juin 2003 à la Faculté de Droit de Metz. Elle a reçu en outre le soutien de l’Université de Metz, de la Région Lorraine, et des Éditions du Jurisclasseur.
Après les allocutions d’usage, le Professeur Billet (Université de Metz) procède à une présentation de la problématique de la journée, relative à la gestion de l’incertain. L’incertitude est le mot-clé de journée, il s’avère qu’elle est inhérente au Droit.
Les incertitudes sont d’abord initiales : elles portent sur l’identification des lieux, des sites contaminés. Le Professeur Billet relève qu’en l’occurrence, l’incertitude marque l’opération de qualification juridique d’un site, et cette question reviendra à plusieurs reprises. Comment distinguer un site pollué d’un site contaminé ? Quel est le niveau de pollution qui doit être considéré comme inacceptable ? Les incertitudes affectent aussi la valeur à attribuer économiquement à de tels sites contaminés, dans le cadre d’une cession envisagée, point présenté par Élisabeth Deschanet (Univ. de Metz). Ayant remarqué que l’absence de marché est un obstacle à la fixation d’une valeur, elle tente de proposer plusieurs méthodes d’évaluation monétaire de ces actifs.
Puis sont abordées les incertitudes incidentes qui tiennent aux diverses responsabilités encourues. Véronique Jaworski (Univ. de Strasbourg III) présente les incertitudes ayant trait à la détermination de la responsabilité pénale. Elle montre la difficulté de cerner le fait générateur de cette responsabilité, qui connaît peu de cas d’infractions autonomes, mais aussi de déterminer les personnes qui seront considérées comme responsables, personnes physiques ou morales, auteurs directs et indirects. Marie-Pierre Duffrêne-Camproux (Univ. de Strasbourg III) tente ensuite de rechercher comment mettre en cause la responsabilité civile des personnes qui sont intervenues dans la pollution. La mise en jeu de la responsabilité classique est d’une utilité incertaine au regard de la gestion du site contaminé, en revanche, les obligations d’information sont davantage de nature à favoriser la remise en état effective des sites. Quant à David Deharbe (Univ. d’Artois), il lui reste à présenter les incertitudes liées à la mise en oeuvre des pouvoirs de police administrative. Ce domaine est marqué par la difficulté de déterminer le débiteur de l’obligation de remise en état, exploitant de l’activité, dernier exploitant, détenteur de l’installation, propriétaire ? Le niveau de remise en état n’est pas non plus fixé avec certitude dans les textes actuels.
Une table-ronde réunit alors, autour de Daniel Giltard (Président de la Cour administrative d’appel de Nancy), plusieurs personnes impliquées dans la gestion des sites contaminés, qui donnent des exemples pratiques tirés de leurs expériences. Ce retour d’expérience est tout à fait intéressant pour prendre conscience des difficultés effectives rencontrées dans la détermination des sites concernés, et au cours de l’élaboration des outils de gestion destinés à leur remise en état.
Il apparaît alors que les incertitudes juridiques sont entretenues de telle manière qu’elles entraînent l’irresponsabilité des personnes qui pourraient devoir les supporter. En effet, les entreprises peuvent entretenir l’incertitude pour échapper à leurs responsabilités, comme le montre Blandine Rolland (Univ. de Mulhouse). Elle met en évidence les possibilités de montages tendant au transfert des responsabilités sur la tête d’une tierce personne, par le recours à la distinction patrimoniale entre société mère et filiale. Mais le risque de voir disparaître purement et simplement le débiteur de l’obligation de la remise en état n’est jamais loin, même s’il est concevable que la procédure collective soit étendue à d’autres sociétés du groupe, ce à quoi le droit français ne semble guère favorable.
Les assurances constituent aussi un relais pour prendre en charge la réparation des dommages, comme le Professeur Gilles Martin (Univ. de Nice) le souligne. Mais cette technique est marquée par des incertitudes préalables à la conclusion du contrat, et au contraire par des certitudes découlant des termes même du contrat d’assurance, et de ses clauses particulières.
En dernière partie, le public est invité à partager ces incertitudes avec les pays voisins, et le système communautaire. Caroline London (Avocate au Barreau de Paris, et Univ. d’Artois) expose les hésitations du droit communautaire, en particulier au fil de ses nombreux textes. Juliane Eismann (Juriste suisse) brosse les grandes lignes du système fédéral suisse. Une véritable obligation d’assainissement existe en matière des sites contaminés, notamment par des déchets. Susanne Kurschat (Juriste allemande) montre, avec un exemple parlant à l’appui, le système adopté par le droit fédéral allemand qui passe d’un soupçon de pollution à une obligation de mise en sécurité incombant au responsable de l’assainissement.
La journée d’étude se conclut par un rapport de synthèse présenté par le Professeur Louis Job (Univ. de Nice), qui donne son point de vue d’économiste sur les positions énoncées tout au long de la journée notamment par les juristes. Il salue leur pragmatisme dans la résolution des difficultés telles que celle relative à la gestion de ces sites contaminés, même si l’incertitude initiale sur la détermination d’un site contaminé n’est pas levée.
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