SUITES DE LA TEMPETE XYNTHIA : UNE PISCINE EN CONSTRUCTION ENDOMMAGEE
Commentaire de Cass. 3ème civ., 16 septembre 2015
Isabelle Corpart
Maître de conférences à l’Université de Haute Alsace
CERDACC
Dans un arrêt rendu le 16 septembre 2015 (n° 14-20.392, T. Coustet, « La tempête Xynthia n’a pas tout ruiné sur son passage », D. Actualité 30 sept. 2015), la troisième chambre civile de la Cour de cassation se prononce sur les dégâts occasionnés par la tempête Xynthia qui a ravagé une partie du littoral en février 2010. Elle écarte la mise en œuvre de l’article 1788 du Code civil réservé aux cas où la chose a péri alors que l’entrepreneur a fourni la matière.
Pour se repérer
La tempête Xynthia a occasionné de nombreux dommages lors de son passage en France. Elle ne présentait pas un caractère exceptionnel mais elle a été très meurtrière en raison d’une conjonction avec de fortes marées. Une submersion marine a entraîné d’importantes inondations et, le 28 février 2010 elle a occasionné des dégâts dans le camping exploité par la Société Espace Loisir.
Cette dernière avait fait appel à la société André Norée pour assurer le gros œuvre de la construction d’une piscine à installer sur le terrain du camping et à la société Concept piscine équipement (CPE) pour en réaliser l’équipement. Balayant tout sur son passage, la tempête Xynthia a causé de nombreux désordres à la piscine en cours de construction, aussi l’exploitant du camping avait-il demandé une indemnisation à son assureur, la société Allianz. Celle-ci avait refusé de faire droit à la demande en soutenant que la piscine en construction se trouvait encore sous la responsabilité des entrepreneurs, à savoir la société André Norée et la société Concept piscine équipement. Au premier degré, les juges avaient condamné ces sociétés à rembourser à la société Espace Loisir les versements effectués en vertu des marchés de travaux. Un arrêt infirmatif avait toutefois été rendu le 25 avril 2014 par la cour d’appel de Poitiers, cette dernière déboutant la société Espace Loisir sur le fondement de l’article 1877 du Code civil.
Pour aller à l’essentiel
Selon l’article 1877 du Code civil, dans un contrat d’entreprise, lorsque l’ouvrier fournit la matière, si « la chose vient à périr, de quelque manière que ce soit, avant d’être livrée, la perte en est pour l’ouvrier, à moins que le maître ne fût en demeure de recevoir la chose ». Ce texte ayant pour objet de déterminer à qui incombent les risques en cas de perte de la chose était invoqué en l’espèce par le demandeur. Pour la Cour de cassation, si l’entrepreneur qui fournit les matériaux (en l’occurrence la piscine et son équipement) répond du risque de perte, même en cas de force majeure, encore faut-il que la perte de l’ouvrage soit caractérisée.
Dans la mesure où le maître d’ouvrage n’avait pas rapporté en l’espèce la preuve que la chose avait péri, faire état de désordres ne suffisant pas, « l’article 1788 du code civil n’avait pas vocation à s’appliquer » pour la Cour de cassation et, partant, les ouvriers n’avaient pas à assumer les risques. La cour d’appel de Poitiers a donc à bon droit considéré que les deux sociétés défenderesses ne devaient pas être condamnées à rembourser les versements effectués par l’exploitant du camping.
Pour aller plus loin
La tempête Xynthia a endommagé une piscine en construction dans un camping ainsi que ses équipements. Le propriétaire s’était dans un premier temps retourné contre son assureur, invoquant la garantie « multirisque hôtellerie » souscrite, mais sa demande avait été rejetée car la piscine non achevée se trouvait au moment de la tempête « sous la responsabilité » de deux entrepreneurs dans le cadre d’un contrat d’entreprise. Dans un second temps, l’exploitant du camping avait tenté de se retourner contre les deux maîtres d’œuvre sur le fondement de l’article 1788 du Code civil, lequel permet de déterminer à qui incombent les risques en cas de perte de la chose.
Lorsque la matière est fournie par l’entrepreneur, ce dernier est en effet responsable de la perte – fortuite ou fautive – survenue en cours d’exécution d’un marché de travaux, tant que la chose n’a pas été livrée et l’ouvrage réceptionné, or les travaux n’étaient pas achevés dans le camping.
Sur le fondement de ce texte, les entrepreneurs auraient dû supporter les suites financières des dommages occasionnés. Le maître de l’ouvrage a en effet une option : obtenir de l’entrepreneur qu’il refasse les travaux (pour la condamnation d’un entrepreneur à reconstruire des appartements après une explosion criminelle : Cass. 3ème civ., 19 févr. 1996, Bull. civ. III, n° 10) ou demander la résolution du contrat avec remboursement des acomptes (pour la condamnation d’un entrepreneur à restituer les acomptes bien que l’inexécution ne soit pas fautive mais soit due à un incendie, fortuit : Cass. 3ème civ., 27 janv. 1976, Bull. civ. III, 34). Le fait que ce soit la tempête qui ait causé les désordres ne devait donc pas conduire au rejet de la demande formulée par le maître de l’ouvrage.
Néanmoins, le texte n’a vocation à s’appliquer qu’en cas de perte de la chose. Il fallait dès lors – et c’est tout l’intérêt de l’arrêt rendu – parvenir à démontrer que la tempête avait été d’une telle force que la chose avait péri.
En l’espèce, l’exploitant du camping se trouve dans une situation délicate car, depuis un arrêté préfectoral d’interdiction d’exploitation faisant suite à la tempête, le site est devenu inexploitable. Pour autant, la chose n’a pas péri réellement. En effet, la piscine a été nettoyée après le passage de la tempête et des travaux peuvent être programmés pour la remettre en état et la cour d’appel a pu relever qu’ « il n’est pas établi, au vu du constat d’huissier, que la chose a péri ». L’exploitant ne relève d’ailleurs aucun élément permettant d’exclure la reprise des travaux et le cas échéant la remise en état.
S’il est vrai que la chose a subi les conséquences de la tempête, de tels désordres ne caractérisent pas pour autant la perte de la chose qui seule aurait conduit à mettre les entrepreneurs en demeure de rembourser. L’arrêt rendu le 16 septembre 2015 apporte d’utiles précisions quant à la notion de perte de la chose au centre d’un régime des risques dérogatoire au droit commun s’agissant des contrats d’entreprise.
Finalement le fait que la tempête Xynthia soit à l’origine des dommages qui n’auraient pas été occasionnés sans cet événement météorologique d’une particulière gravité n’est pas pris en considération.
* * *
Cass. 3ème civ., 16 septembre 2015, n° 14-20392
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Poitiers, 25 avril 2014), que la société Espace loisir, exploitant un camping, a confié à la société André Norée les travaux de gros œuvre de construction d’une piscine et la création et l’équipement de la piscine à la société Concept piscine équipement (société CPE) ; que les travaux ont commencé au début de l’année 2010 ; que la tempête Xynthia est survenue le 28 février 2010 ; que la société Allianz, assureur au titre d’une police « multirisque hôtellerie de plein air », ayant refusé d’indemniser les désordres affectant la piscine en construction en soutenant qu’elle était toujours sous la responsabilité des entrepreneurs, la société Espace loisir l’a assignée, ainsi que la société André Norée et la société CPE, en paiement de sommes ;
Attendu que la société Espace loisir fait grief à l’arrêt de rejeter ces demandes, alors, selon le moyen :
1°/ que la perte en est pour l’ouvrier, si avant d’être livrée, la chose vient à périr de quelque manière que ce soit ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a débouté la société Espace loisir de ses demandes formées contre les constructeurs aux motifs qu’ « il est constaté que suite à la survenance de la tempête Xynthia, le camping a fait l’objet d’un arrêté d’interdiction d’exploitation seule cause de l’arrêt des travaux » et que « les entreprises Norée et CPE n’ont pas à supporter les conséquences de cette interdiction d’exploiter » ; qu’il n’est pas sérieusement contestable que la chose a péri à la suite de la tempête et de l’arrêté d’interdiction d’exploiter ; qu’en décidant que les entreprises André Norée et CPE n’ont pas à supporter les conséquences de cette perte bien que l’article 1788 du code civil met la perte à la charge de l’ouvrier dès lors que la chose vient à périr de quelque manière que ce soit, la cour d’appel a violé l’article 1788 du code civil ;
2°/ que si, dans le cas où l’ouvrier fournit la matière, la chose vient à périr, de quelque manière que ce soit, avant d’être livrée, la perte en est pour l’ouvrier, à moins que le maître ne fût en demeure de recevoir la chose ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a décidé qu’ « il n’est pas contesté que l’ouvrage n’était pas en l’état d’être réceptionné » et que « les risques pesaient sur les entrepreneurs » ; que la cour d’appel a néanmoins débouté la société Espace loisir de sa demande tendant à la condamnation des sociétés André Norée et CPE sur le fondement de l’article 1788 du code civil en disant qu’ « il n’est pas établi, au vu du constat d’huissier, que la chose a péri » dès lors que « la piscine a été nettoyée après la tempête et aucun élément ne permet de dire que la reprise des travaux ne pouvait être envisagée, avec au besoin d’éventuelles remises en état préalables » ; que la cour d’appel a néanmoins également constaté que la reprise des travaux ne pouvait être envisagée, dès lors que « suite à la tempête Xynthia, le camping a fait l’objet d’un arrêté d’interdiction d’exploitation, seule cause de l’arrêt des travaux » ; qu’en rejetant ainsi la demande de la société Espace loisir au motif que la chose n’a pas péri dès lors qu’il n’est pas établi que la reprise des travaux ne pouvait être envisagée, pour décider quelques lignes plus loin que la reprise des travaux était impossible dans la mesure où, à la suite de la tempête, le camping a fait l’objet d’un arrêté d’interdiction d’exploitation, la cour d’appel a statué par une contradiction de motifs en violation de l’article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que l’article 1788 du code civil met la perte de la chose à la charge de l’entrepreneur qui fournit la matière ; que la charge des risques n’est pas supprimée ni modifiée si la perte est due à un événement qui présente les caractères de la force majeure ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté qu’ « il n’est pas contesté que l’ouvrage n’était pas en l’état d’être réceptionné » ; que pour néanmoins dire que les termes de l’article 1788 du code civil n’avaient pas vocation à s’appliquer aux faits de l’espèce et que les ouvriers n’avaient pas à assumer les risques qui pesaient sur eux aux termes de ce texte, la cour d’appel a dit que l’interdiction d’exploiter, seule cause de l’arrêt des travaux, « revêt les caractéristiques de la force majeure » ; qu’en statuant ainsi bien que la charge des risques n’est pas supprimée ni modifiée si la perte est due à un événement qui présente les caractères de la force majeure, la cour d’appel a violé l’article 1788 du code civil ;
Mais attendu qu’ayant relevé qu’il n’était pas établi, au vu d’un constat d’huissier de justice, que la chose eût péri, qu’en effet aucune expertise n’avait été réalisée par les assureurs aux fins d’évaluer les dommages subis, que la piscine avait été nettoyée après la tempête et qu’aucun élément ne permettait de dire que la reprise des travaux ne pouvait être envisagée, après, le cas échéant, remise en état, la cour d’appel en a exactement déduit, sans se contredire et abstraction faite d’un motif erroné mais surabondant, qu’à défaut d’établir la perte de l’ouvrage, l’article 1788 du code civil n’avait pas vocation à s’appliquer ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Espace loisir aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes (…)
Poster un Commentaire