suicide d un policier en service et responsabilite de l etat reconnaissance du caractere professionnel de l accident

Suicide d’un policier en service et responsabilité de l’Etat : reconnaissance du caractère professionnel de l’accident

TA Nice, 10 octobre 2014, M. Franck M., req. 12-03808

Florence Nicoud

Maître de conférences à l’UHA

CERDACC

 

Ce jugement confirme la tendance récente des juridictions administratives à considérer le suicide ou la tentative de suicide au travail comme étant un accident de service, permettant aux familles de victimes d’obtenir réparation sur le fondement notamment d’un certain nombre d’avantages statutaires.

Il s’inscrit donc dans le droit fil d’une politique jurisprudentielle administrative désormais vérifiée et constante de meilleure indemnisation des victimes, que les victimes soient elles-mêmes des agents de l’administration de police ou victimes des actions des forces de l’ordre elles-mêmes.

 

 

Mots-clefs : Responsabilité administrative pour faute – fonctionnaire de police – suicide d’un agent – accident de service.

 

Pour se repérer

Les faits sont tragiques, comme souvent en matière d’accident et méritent qu’on s’y attarde. Le 4 juillet 2011, Mme Nelly B., fonctionnaire de police affectée au commissariat de Cagnes sur Mer se suicide avec son arme de service. Mme B., toujours bien notée par ses supérieurs hiérarchiques, était initialement affectée au service de l’identité judiciaire ; service dans lequel elle espérait faire carrière. Elle avait néanmoins été mutée en mars 2011 -et alors qu’elle se trouvait en congés- à la cellule anti cambriolage ; affectation qu’elle ressentait comme une véritable punition et rétrogradation. Reçue plusieurs fois en entretien par son supérieur, celui-ci lui avait promis sa réintégration dans son service initial d’abord pour septembre 2011, puis sans en préciser la date. La jeune femme choisissait alors de mettre fin à ses jours avec son arme de service, de surcroît à l’intérieur d’un véhicule de police ; elle laissait les quelques mots suivants : « Marre de ce monde à la con qui marche à l’envers où les autres sont assistés pour être sûrs d’être relaxés, où les flics sont fliqués !! Marre de ce monde qui ne fonctionne plus qu’aux stats alors même que ceux qui les demandent ne savent pas à quoi elles correspondent !! Encore merci à M. G. pour cette promotion-punition. Eh oui moi c’est comme ça que je le ressens ».

Par la suite, la famille de la défunte n’aura de cesse de réclamer la mise en jeu de la responsabilité de  l’Etat pour cet immense préjudice, qu’ils estiment consécutif à une faute de service, le lien entre le suicide de la victime et le fonctionnement du service devant être regardé comme étant fermement établi. Les requérants (M. Franck M. son concubin, M. Pierre B. son père, Mme Michèle B. sa mère et son frère, M. Christophe B.) déposèrent une demande d’indemnité auprès du secrétaire général de l’administration de la police de Marseille afin de faire reconnaitre cet acte comme accident de service et demander à l’autorité administrative compétente réparation de leur préjudice moral. Détenteurs d’une décision implicite de refus en date du 28 juin 2012, les requérants saisirent alors la juridiction administrative par requête en date du 26 octobre 2012, aux fins d’annulation de cette décision administrative de refus et réparation de leur préjudice. Prenant appui sur les termes de l’article 34 de la loi du 11 janvier 1984 (Loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat) mais surtout sur un arrêt du Conseil d’Etat rendu au cours de l’été 2014 pour des faits similaires (CE, 16 juil. 2014, Mme A., req. n° 361.820), le tribunal administratif de Nice reconnaît l’accident de Mme Nelly B. comme accident de service et condamne alors l’Etat à verser en réparation du préjudice moral subi par la famille, la somme de 80.000 €, ainsi que 1.500 € au titre des frais et dépens.

Pour aller à l’essentiel 

Dans un considérant de principe déjà énoncé par le Conseil d’Etat pour une affaire similaire, la Haute Juridiction avait estimé qu’ « un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d’une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l’absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet événement du service, le caractère d’un accident de service » (V., « L’imputabilité au service du suicide d’un fonctionnaire », AJDA, 2014, pp. 1706-1709, chron. Bretonneau et Lessi, à propos de CE, 16 juil. 2014, préc.). Les magistrats azuréens appliquent à la lettre ce considérant, en estimant « eu égard notamment à la chronologie des faits, à leur enchaînement sur une courte période de trois mois et à la teneur du dernier message laissé par Mme B., le lien direct et certain entre le suicide de cette dernière et le service doit être regardé comme établi ». Aucune faute personnelle ou détachable du service ne pouvant par ailleurs être mise à la charge du fonctionnaire de police. Egalement, pour le Conseil d’Etat comme ici pour le tribunal administratif, si ces actes interviennent en un autre lieu ou à un autre moment, la qualification d’accident de service peut également être retenue à la condition que le suicide ou la tentative présentent un lien direct avec le service.

L’appréciation souveraine des faits et donc du lien entre les conditions de travail et l’accident, tant par l’administration que par le juge administratif aura donc dans ces différents cas de figure, une importance non négligeable voire fondamentale pour l’issue du litige. C’est désormais une véritable grille d’analyse des accidents de service que met en place cette jurisprudence de principe du Conseil d’Etat et qu’applique en l’espèce la juridiction niçoise.

Au demeurant, il convient néanmoins de noter qu’un jugement semblable du Tribunal administratif de Poitiers en mai 2014 avait ouvert le débat en ce domaine puisqu’il avait également, pour la première fois dans les annales juridiques, reconnu un l’existence d’un lien vérifié entre le suicide d’un policier en 2004 et son travail. Le jugement indiquait alors « bien que le suicide soit un acte volontaire, il peut ouvrir droit à la rente si la veuve établit que cet acte a eu pour cause déterminante un état maladif se rattachant au service », le rapport d’expertise ayant alors considéré que le suicide n’avait « pu intervenir qu’à raison des fonctions qu’il exerçait » (TA Poitiers, 21 mai 2014).

Pour aller plus loin

Plus largement, ce jugement, en assimilant le suicide à un accident de service, traduit nettement la volonté des juridictions administratives de se rapprocher de la logique présente dans l’ordre judiciaire en termes d’indemnisation des victimes d’accident du travail. Trop longtemps, dans ce domaine particulier, la jurisprudence administrative a semblé frileuse en matière de couverture d’indemnisation des victimes d’accident, comme le relevait les commentateurs à l’AJDA, à propos de l’arrêt du Conseil d’Etat susmentionné (op. cit., AJDA, 2014, p. 1707), « la section a pu être sensible au décalage existant entre cette jurisprudence rigoureuse et une jurisprudence judiciaire à certains égards plus favorable aux victimes ».

Dans le même sens, cette nouvelle décision témoigne également de la faculté pour le juge administratif à ne pas juger dans sa tour d’ivoire mais bien au contraire, à s’affirmer une fois de plus comme juge de l’actualité la plus prégnante. Il se saisit donc, à travers la consécration du suicide du fonctionnaire de police comme accident de service, de la thématique désormais très actuelle de la prise en charge de risques psycho-sociaux dans l’entreprise, ici transposée au cœur de l’administration d’Etat. Le rapporteur public dans l’affaire de cet été, relative à la tentative de suicide d’un policier illustrait d’ailleurs très bien cette tendance désormais acquise par le juge administratif de vouloir considérer le suicide comme un risque psycho-social à part entière. Ainsi, selon ce dernier, reconnaitre le suicide en tant qu’accident de service « ce n’est pas tellement affirmer qu’il trouve sa cause dans le service ; c’est seulement reconnaître qu’il constitue la réalisation d’un risque qui est au nombre de ceux que l’employeur doit prendre à sa charge » (op. cit., AJDA, 2014, p. 1708).

Au final, il est évident qu’à travers ce jugement du Tribunal de Nice et par l’octroi d’indemnités à la famille de la victime sur ce fondement juridique nouveau et plus souple, cela revient in fine à toucher d’une façon ou d’une autre au portefeuille de l’Etat et donc à celui des contribuables. Au-delà, cette affaire révèle une fois encore le malaise et les dysfonctionnements divers affectant les services de police français ; services encore récemment lourdement endeuillés par l’action terroriste sanglante de ce début d’année 2015. En effet, en matière de suicides liés au travail, les chiffres semblent ainsi parler d’eux-mêmes : il y aurait en effet de 300 à 400 suicides au travail par an et parmi ceux-ci plus de 10% parmi les 150.000 agents des services de police (selon une réponse du Ministre de l’intérieur à une question posée, « au sein de la police nationale, la moyenne des suicides déplorés au cours des cinq dernières années est de 42 par an. Le suicide par arme de service est le plus fréquent (55 % de l’ensemble des suicides) », JO Sénat, 29 août 2013, p. 2514 ; v. aussi Louis Martin du Gard, « La prévention du suicide chez les policiers », www.laurent-mucchielli.org/index.php?post/2013/11/03/La-prevention-du-suicide-chez-les-policiers).

Aussi, l’heure ne serait-elle alors pas venue de reconsidérer avec minutie les conditions de travail des agents de ce service public, personnels administratifs incontournables pour la défense de notre territoire, au lieu et place de la réduction continue des effectifs de police et de gendarmerie réalisés au nom de la RGPP ?

 

 

 

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