Table des matières
STATUT DES EXPERTS JUDICIAIRES : CHRONIQUE ANNUELLE
Philippe Schultz, maître de conférences à l’UHA, membre du CERDACC
Cette chronique couvre les décisions rendues par la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation de juin 2012 à septembre 2013 en application de la loi n° 71-498 du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires et du décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004 pris pour son application. On signalera aussi une décision de la première Chambre civile rendue en octobre 2013 en matière disciplinaire.
I. Conditions communes
1. – La nomenclature des listes d’experts est stricte. La loi du 71-498 du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires impose l’établissement, chaque année d’une liste nationale, dressée par le bureau de la Cour de cassation, et une liste, dressée par l’assemblée générale de chaque Cour d’appel, des experts en matière civile. Cette liste est établie suivant une nomenclature résultant d’un arrêté du 10 juin 2005 qui divise les domaines d’expertise enbranches (ex. : A), rubriques (ex. : A.1) et spécialités (ex. : A.1.1). Cette nomenclature est impérative. L’expert qui demande son inscription sur une liste doit nécessairement identifier dans sa demande la branche, la rubrique et la spécialité à laquelle il demande son rattachement. Une demande portant sur une spécialité non mentionnée dans la nomenclature n’a pas à être examinée (Cass 2eciv., 6 juin 2013, n° 13-60083, au sujet d’une demande d’inscription dans les domaines « gestion technique des parcs immobiliers et/ou industrielles » et « gestion de la sûreté et sécurité de manifestation publique (activité et/ou manifestation en plein air de première catégorie) » qui ne sont pas mentionnés dans la nomenclature).
La Cour d’appel qui refuserait d’inscrire un masseur-kinésithérapeute dans une spécialité non prévue par la nomenclature (spécialité « ostéopathie ou orientation thérapies manuelles ») ne commettrait aucune erreur manifeste d’appréciation (Cass 2eciv., 7 juin 2012 , n° 12-60045 – Dans le même sens : Cass 2e civ., 12 sept. 2013, n° 13-60096).
Le carcan que constitue cette nomenclature a également permis de sauver une décision de refus d’inscription atteinte d’une erreur matérielle commise par une Cour d’appel. Au sujet d’une demande d’inscription initiale formulée pour les rubriques d’interprétariat et de traductionen langue biélorusse, la Cour d’appel avait adressé au demandeur une notification de refus motivée par une absence de besoin en langue russe. Le recours formé par l’expert écarté est rejeté au motif qu’il n’y a aucune erreur manifeste d’appréciation dans la mesure où la demande portait sur les spécialités n° H-01.06.06 et n° H-02.06.06, qui, en application de l’arrêté du 10 juin 2005 relatif à la nomenclature des domaines d’expertise regroupent toutes les langues slaves (Cass. 2eciv., 16 mai 2013, n° 12-60631).
2. – Un expert âgé de 70 ans peut-il être inscrit à titre exceptionnel sur une liste d’expert ? L’inscription ou la réinscription sur une liste établie par une Cour d’appel est subordonnée à une condition d’âge. L’expert ne doit pas être âgé de plus de 70 ans (D. n°2004-1463, 23 déc. 2004, art. 2, 7°). Cette condition est spécifique aux listes établies par les Cours d’appel. En effet, à titre exceptionnel, le bureau de la Cour de cassation peut inscrire sur la liste nationale un candidat qui ne remplit pas la condition d’âge (D. n°2004-1463, 23 déc. 2004, art. 18, al. 2). Le caractère exceptionnel de cette dérogation conduit à l’interpréter strictement : il n’est donc pas possible d’inscrire exceptionnellement un expert âgé de 70 ans sur une liste locale. C’est ce que rappelle la 2e chambre civile dans un arrêt du 11 juillet 2013 (n° 13-60063 : Bull. civ., II, n° 159). « Aucune disposition ne prévoit la possibilité de déroger à titre exceptionnel à la condition d’âge prévue par l’article 2, 7°, du décret du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires pour l’inscription ou la réinscription sur les listes d’experts judiciaires dressées par les cours d’appel ». La première chambre civile de la Cour de cassation avait déjà antérieurement jugé qu’une demande d’un expert âgé 70 ans était irrecevable (Cass. 1reciv., 11 juill. 1978, n° 77-15988 : Bull. civ., I, n° 267).
La dérogation dont bénéficie l’expert inscrit sur la liste nationale reste cependant limitée. En effet, pour demander son inscription sur la liste nationale, il faut être inscrit sur une liste établie par une Cour d’appel (L. 71-498 du 29 juin 1971, art. 2, III). Si l’expert ne peut plus être inscrit localement parce qu’il est atteint par la limite d’âge, il ne peut plus solliciter d’inscription sur la liste nationale. La dérogation prévue à l’article 18 du décret du 23 décembre 2004 concerne l’expert qui atteint 70 ans en cours d’inscription sur une liste locale. Celui-ci ne doit pas être retiré de la liste : il reste inscrit pour un quinquennat (Cass. 2eciv., 23 sept. 2010, n° 10-60094 : Bull. civ. II, n° 159). Le décalage existant entre le quinquennat local et le septennat de la liste nationale peut conduire un expert âgé de plus de 70 ans à solliciter une réinscription sur la liste nationale alors que sa durée d’inscription au niveau local n’est pas arrivée à son terme. Dans ce cas, le demandeur âgé peut être exceptionnellement être inscrit ou réinscrit sur la liste nationale pour une durée de sept ans.
3. – À quel moment la condition d’âge doit-elle être appréciée ? Si l’inscription ou la réinscription est soumise à une condition d’âge, il reste à déterminer à quel moment celle-ci doit s’apprécier. Par deux décisions de 2012, la deuxième chambre civile a rappelé que la condition d’âge devait s’apprécier à la date d’inscription ou de réinscription (Cass. 2eciv., 28 juin 2012 : n° 12-60042 ; 27 sept. 2012 : n° 12-60180). La solution n’est pas nouvelle : elle avait déjà été affirmée en 2010,ce qui avait permis de censurer la décision d’une Cour d’appel qui avait procédé au retrait de la liste d’un expert âgé de 70 alors qu’il n’avait pas atteint cet âge au moment de la décision de réinscription pour une durée de cinq ans (Cass. 2e civ., 23 sept. 2010, n° 10-60094 : Bull. civ. II, n° 159 – Cass. 2e civ., 23 sept. 2010, n° 10-60091. – Adde, JAC n° 109, Statuts des experts judiciaires, spéc. n° 10).
La décision en date du 27 septembre 2012 vient compléter les solutions connues depuis 2010. Dans la mesure où la date la condition d’âge s’apprécie au jour de l’inscription, la Cour d’appel de Dijon ne peut refuser à la date du 28 novembre 2011 une inscription au motif que l’expert atteindra l’âge limite en 2012, c’est-à-dire l’année pour laquelle la liste est établie.
La décision du 28 juin 2012 est la plus instructive en raison des circonstances qui l’entourent. En l’occurrence, le requérant avait déposé une demande d’inscription en juillet 2010, alors qu’il était âgé de 68 ans et 11 mois. Conformément à la procédure d’inscription, celle-ci avait bien été déposée avant le 1er mars 2011 en vue d’une inscription sur la liste des experts de la Cour d’appel de Lyon établie pour 2012. Le 15 août 2011, l’impétrant fêtait son soixante-dixième anniversaire. Or l’assemblée générale de la Cour d’appel de Lyon qui statuait sur les inscriptions n’était réunie que le 14 novembre 2011. Si au moment du dépôt de dossier, le demandeur remplissait la condition d’âge, il ne la remplissait plus au jour de l’inscription, qu’il faut comprendre comme le jour où l’assemblée générale de la Cour d’appel – ou du bureau de la Cour de cassation – se réunit pour arrêter la liste des experts. La solution n’est pas heureuse puisqu’elle fait dépendre une condition d’inscription de la date à laquelle l’organe procédant à l’inscription statue, date qui n’est pas forcément connue au moment du dépôt de la demande et, de surcroît, qui est variable en fonction des ressorts. Les deux décisions rapportées le montrent bien : en 2011, l’assemblée générale de la Cour d’appel de Lyon s’est réunie le 14 novembre alors que celle de Dijon s’est réunie le 28 novembre. En somme, un expert né le 20 novembre 1941 pouvait être inscrit à Lyon et non pas à Dijon car il ne remplissait plus la condition d’âge. L’inégalité de traitement des demandeurs est patente. Il serait préférable de retenir une date identique pour tous : être âgé de moins de 70 ans au 1er mars, date de clôturedes demandes d’inscription ou de réinscription, ou au 31 décembre de l’année précédant celle pour laquelle la liste est établie.
4. – Comment la condition d’indépendance est-elle appréciée ? Parmi les conditions requises pour demander une inscription ou une réinscription figure une condition d’indépendance du demandeur. Aux termes de l’article 2, 6° du décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004 le demandeur, personne physique, ne doit « exercer aucune activité incompatible avec l’indépendance nécessaire à l’exercice de missions judiciaires d’expertise ». Un avocat en exercice ne remplirait pas cette condition et sa demande d’inscription serait rejetée (CA Paris ,ass. gén. 5 nov. 2012). Mais dès lors qu’il a quitté le barreau, il peut demander une inscription sur la liste d’expert judiciaire. Est par conséquent censurée pour erreur manifeste d’appréciation la décision de l’assemblée générale de la Cour d’appel de Paris qui fonde sa décision de refus d’inscription sur l’indépendance insuffisante d’un avocat en exercice alors que le requérant indiquait dans son dossier qu’il n’exerçait plus la profession d’avocat (Cass. 2e civ. 16 mai 2013 n° 12-60591).
La question de l’indépendance est souvent posée au sujet des experts d’assurances. La Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler que « le fait qu’un candidat à l’inscription sur la liste des experts judiciaires d’une cour d’appel ait réalisé des missions d’expertise pour des sociétés d’assurances ne constitue pas, en soi, l’exercice d’une activité incompatible avec l’indépendance nécessaire à l’exercice de missions judiciaires d’expertise » (Cass. 2e civ. 27 juin 2013 n° 12-60608 : Bull. civ. II, n° 144. – 16 mai 2013 : n° 12-60611. – V. déjà : Cass. 2eciv., 22 mai 2008, n° 08-10314 : Bull. civ., II, n° 122. – Adde : JAC n° 85, Statut des experts judiciaires, spéc. n° 4).
En revanche, l’expert qui exerce 80 % de son activité au profit d’une même société d’assurance déploie une activité professionnelle importante et régulière d’expert privé pour le compte de cet assureur et cette relation d’affaires est susceptible d’interférer avec son activité d’expert judiciaire. C’est pourquoi, l’assemblée générale d’une Cour d’appel peut, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, refuser sa réinscription en fondant sa décision sur cette activité incompatible avec l’indépendance nécessaire à l’accomplissement de missions judiciaires d’expertise (Cass. 2e civ., 27 juin 2013, n° 3-60025 : Bull. civ., II, n° 146).
II. Procédure d’inscription
5. – La décision du refus d’inscription doit être précisément motivée. Sous l’impulsion de la jurisprudence européenne (CJUE, 17 mars 2011C-372/09 et C-373/09, Josep Peñarroja Fa : Revue procédures 2011, comm., 170, ob. C. Nourissat ; Rev. Europe 2011, comm., 167, obs. F. Kauff-Gazin), le législateur français a été conduit à modifier la loi du 29 juin 1971 qui ne prévoyait pas que le refus d’inscription dût être motivé. La loi n°2012-409 du 27 mars 2012 a ainsi revu la rédaction de l’article 2 de la loi de 1971 en mentionnant que « La décision de refus d’inscription ou de réinscription sur l’une des listes prévues au I est motivée. » (V. JAC n° 125, Statut des experts judiciaires, spéc. n° 5). Cette exigence s’applique immédiatement si bien que les premières décisions d’assemblée générale – ou du bureau de la Cour de cassation – devant motiver leur refus d’inscription sont celles rendues en novembre 2012. On ne s’étonnera pas que cette innovation a pu se heurter à des habitudes anciennes et que, pour cette première vague, des refus d’inscription ne soient pas motivés. La sanction est alors la même que celle d’une absence de motivation d’une réinscription. Si l’expert exerce un recours contre une décision non motivée, la Cour de cassation n’a pas d’autre choix que d’annuler la décision de refus d’inscription (Cass. 2e civ. 6 juin 2013, n° 12-60585 et n° 13-60024).
On pouvait craindre que cette exigence de motivation n’apportât qu’une faible garantie au demandeur dans la mesure où il était traditionnellement jugé que l’appréciation tant des qualités professionnelles du candidat à l’inscription sur la liste des experts judiciaires que de l’opportunité d’inscrire un technicien sur cette liste, eu égard au besoin des juridictions du ressort de la Cour d’appel, échappe au contrôle de la Cour de cassation (Cass. 2e civ., 17 avr. 2008, n° 07-21334, 08-10839, 08-10094 et 08-11361 : non publiés au Bull. civ. – Cass. 2e civ., 9 juin 2011, n° 11-60039 ; 11-60045 ; 11-60053 ; 11-60019 ; 11-60044 ; 11-60069 ; 11-60071).
Ces solutions restent encore d’actualité au moins pour ce qui est des besoins des juridictions du ressort. Ainsi, pour refuser une inscription initiale sur la liste des experts judiciaires de la Cour d’appel de Lyon dans les rubriques interprétariat et traduction, en langue biélorusse, l’assemblée générale a pu valablement motiver sa décision par des besoins pourvus dans les rubriques demandées (Cass. 2eciv., 16 mai 2013, n° 12-60631, préc. n° 1).
Une décision, non publiée au Bulletin civil, peut conduire à relativiser cette inquiétude. En effet, dans un arrêt du 19 septembre 2013, la Cour de cassation exige que la motivation fournie par l’assemblée générale permette véritablement à l’expert de connaître les raisons pour les quelles sa demande est rejetée (Cass. 2eciv., 19 sept. 2013 n° 13-60100). En l’occurrence, l’assemblée générale d’une Cour d’appel avait refusé une inscription pour des raisons liées aux conditions d’exercice professionnel du demandeur au regard des exigences d’indépendance et d’impartialité subjective incombant à un expert, compte tenu des caractéristiques du contentieux local se rapportant à la spécialité concernée. Pareille motivation était trop générale et équivalait à une absence de motivation dès lors qu’il n’était pas précisé en quoi les conditions d’exercice professionnel étaient incompatibles avec les exigences d’indépendance et d’impartialité subjective incombant à un expert.
Pareille motivation réelle est aussi attendue du bureau de la Cour de cassation qui refuse une inscription sur la liste nationale. Pour écarter l’inscription d’un médecin, le bureau faisait valoir qu’une une action en responsabilité civile était engagée à son encontre par l’un de ses confrères, lui reprochant d’avoir commis une faute professionnelle, et que la décision à intervenir pouvait avoir des suites disciplinaires à l’égard de l’intéressé. Ces éléments de fait sont contestés par le médecin dans le recours qu’il exerce contre la décision de refus. La Cour de cassation lui donne raison en annulant la décision de refus d’inscription car elle ne précise ni le nom de l’auteur de l’action en responsabilité civile qui serait engagée à l’encontre du médecin ni la juridiction devant laquelle cette procédure serait en cours (Cass. 2eciv., 28 juin 2012, n° 12-60113).
Cette exigence de motivation réelle et précise favorise alors le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation exercé par la Cour de cassation, tout particulièrement sur les compétences des candidats (V. infra n° 6).
6. – La Cour de cassation exerce un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation. Le refus d’inscription doit être précisément motivé. Cette motivation ne peut porter que sur des éléments constituant des conditions requises pour demander une inscription telles qu’elles sont déterminées pour une personne physique par l’article 2 du décret 2004-1463 et pour une personne morale par l’article 3. Sans être exhaustif, outre certaines conditions d’honorabilité (absence de sanction disciplinaire ou administrative, de faillite), il y a des conditions de compétence, d’indépendance, d’âge et de domiciliation. Il faut y ajouter depuis la modification apportée par le décret du 24 décembre 2012 l’intérêt de collaborer avec le service public de la justice qui devient explicitement un critère d’appréciation de la candidature (D. n° 2004-1463, 23 déc. 2004, modifié, art. 4-1).
Cette motivation doit reposer sur des éléments de fait réels. À défaut, la décision de refus risque l’annulation pour erreur manifeste d’appréciation. Les premières décisions rendues par la Cour de cassation depuis que l’exigence de motivation s’impose aux assemblées générales de Cour d’appel ou au bureau de la Cour de cassation refusant une inscription montrent que la Haute juridiction veille à ce que la motivation ne soit pas de pure forme et soit contredite par les éléments de fait contenus dans le dossier de candidature.
Les recours exercés par les demandeurs écartés établissent que la motivation repose fréquemment sur la compétence de l’expert (V. infra n° 6) ou son indépendance (V. supra n°). On signalera aussi une décision du 7 juin 2012 qui fonde – de manière prémonitoire – son refus d’inscription par un manque d’intérêt de l’impétrant pour une collaboration au service public de la justice alors que cet élément d’appréciation a été ajouté par le décret du 24 décembre 2012. Quoi qu’il en soit, la décision de refus a été annulée pour erreur manifeste d’appréciation puisque l’intéressé, qui demandait son inscription dans la rubrique « aérien » avait passé 34 ans en gendarmerie, dont 24 comme officier de police judiciaire dans la gendarmerie des transports et avait joué un rôle dans l’enquête sur les causes de l’accident du Concorde du 25 juillet 2000 (Cass. 2eciv.,7 juin 2012, n° 12-60073).
7. – Exemples d’erreur manifeste d’appréciation sur les compétences. Constitue une erreur manifeste d’appréciation sur les compétences un refus d’inscription :
– dans la rubrique « économie et finance » d’un expert-comptable diplômé en droit privé au motif que sa qualification est insuffisante (Cass. 2eciv., 27 juin 2013 n° 13-60049) ;
– dans la rubrique « traduction en langue anglaise»pour insuffisance de formation technique d’un titulaire d’un doctorat en études anglophones et d’un doctorat en droit qui indiquait et justifiait dans son dossier d’inscription effectuer régulièrement, depuis le 1er décembre 2009, des missions de traducteur externe pour la Cour de justice de l’Union européenne et avoir reçu des missions de traducteur de juridictions françaises (Cass. 11 juill. 2013, n° 13-60105) ;
– d’un expert inscrit dans une nouvelle rubrique pour formation et qualification insuffisantes alors qu’il accomplissait déjà des expertises dans les rubriques demandées (Cass. 2eciv., 12 sept. 2013 n°13-60127) ;
On relèvera que l’appréciation des compétences se fait en fonction de la spécialité demandée. Ainsi a-t-il été jugé qu’une Cour ne commettait pas d’erreur manifeste d’appréciation en refusant l’inscription d’un géomètre depuis 1970 dans les spécialités gestion d’immeuble, copropriété (C.2.3) et urbanisme et aménagement urbain (C.1.30) au motif que ses diplômes étaient inadaptés à la spécialité demandée qui exigeait des connaissances plus spécifiques en la matière. En revanche, il y avait une erreur manifeste d’appréciation à refuser pour les mêmes motifs son inscription dans les spécialités bornage, délimitation, division de lots (C.2.1) et topométrie (C.1.28) alors que l’intéressé exerçait la profession de géomètre expert foncier DPLG (Cass. 2eciv.,16 mai 2013, n° 12-60596).
III. Procédure de réinscription
8. –Après un retrait, l’expert demandesa réinscription. La réinscription sur une liste établie par une Cour d’appel se distingue de l’inscription initiale à titre probatoire en ce que la demande de réinscription doit d’abord être soumise à une à commission de réinscription. Par ailleurs, lorsque la réinscription est accordée, elle est d’une durée de cinq ans alors que l’inscription initiale ne dure que trois ans. Il ne fait aucun doute que lorsqu’un expert est déjà inscrit, la procédure à suivre est celle de la réinscription. Mais dans le cas où un expert a demandé le retrait de la liste, doit-il demander une inscription initiale ou compte-tenu d’une inscription antérieure, il doit formuler une demande de réinscription ? La question est tranchée par un arrêt du 28 juin 2012. Après un retrait d’une liste locale à la demande de l’intéressé, la demande formée devant une autre Cour d’appel doit s’analyser en une réinscription et non pas en une inscription à titre probatoire (Cass. 2eciv., 28 juin 2012, n° 12-60066).
9. – Toute composition irrégulière de la commission d’examen des réinscriptionsdoit-elle être sanctionnée ? La demande de réinscription sur une liste de Cour d’appel est d’abord instruite par le Procureur de la République qui émet un avis motivé, puis étudiée par une commission d’examen des réinscriptions qui émet elle-même un avis motivé, avant d’être transmise à l’assemblée générale des magistrats du siège de la cour d’appel qui décide ou non de la réinscription (D. n° 2004-1463, 23 déc. 2004, modifié, art. 10 à 16). La composition de la commission est prévue par l’article 12 du décret. Outre des magistrats, elle est aussi composée de cinq experts inscrits sur la liste dans des branches différentes de la nomenclature depuis au moins cinq ans.
Si la commission comporte des experts inscrits dans une même branche, ce vice peut-il conduire à l’annulation d’un refus d’inscription ? La question a été posée par un expert auquel la réinscription a été refusé parce qu’il avait été condamné pénalement. À l’appui de son recours, il faisait valoir que la commission mise en place par la Cour d’appel de Bordeaux était irrégulièrement composée car deux experts appartenaient à la branche « Bâtiment, travaux publics », espérant ainsi tirer profit d’une irrégularité procédurale pour obtenir l’annulation de la décision de refus de réinscription justifiée sur le fond. Son recours est rejeté. Pour la Cour de cassation,la prescription relative à l’appartenance des experts de la commission à des branches distinctes n’est pas une formalité substantielle dont l’absence serait de nature à vicier les avis que rend la commission et à porter atteinte aux droits de l’expert qui sollicite sa réinscription (Cass. 2e civ. 12 sept. 2013, n°13-10692).
10. –Revirement de jurisprudence quant au contenu de la notification (composition de la commission de réinscription et de l’assemblée générale). Afin d’assurer la séparation de l’instruction de la demande et de la décision d’inscription, les magistrats de la cour d’appel membres de la commission ne participent pas à la délibération portant sur la réinscription des experts (D. n° 2004-1463, 23 déc. 2004, modifié, art. 15, al. 2). Le non-respect de cette règle est sanctionné par la nullité de la décision de refus de réinscription (Cass. 2eciv., 9 nov. 2006 : Bull. civ., II, n° 313. -Cass. 2e civ., 14 juin 2007, n° 07-11083 : Bull. civ., II, n° 161).Afin de permettre au demandeur de vérifier que cette exigence a été respectée, le procès-verbal doit mentionner la composition de la commission et celle de l’assemblée générale à peine d’annulation de la décision de refus (Cass. 2eciv., 26 juin 2008, n° 08-10402 : JAC n° 88, Statut des experts judiciaires, n° 3). La Cour de cassation avait même exigé que la notification de l’avis motivé de la commission mentionne la composition de la commission (Cass. 2e civ., 5 avr. 2007, n° 06-20038 : Bull. civ. II, n° 81)et la notification du procès-verbal de la décision de refus celle de la composition de l’assemblée générale (Cass. 2e civ., 26 juin 2008, 08-11808 : JAC n° 88, statut des experts judiciaires, n° 4– Contra : Cass. 2e civ. 17 avr. 2008, n° 08-10321 :JAC n° 84, Statut des experts judiciaires, n° 6). Disposant ainsi de toutes les informations, l’expert peut aisément s’assurer que cette formalité substantielle est respectée.
La Cour de cassation vient de mettre fin àces facilités permettant de constater aisément cette protection procédurale. En effet, dans un même arrêt, elle déclare que « aucun texte n’impose que l’avis notifié au candidat comporte l’indication de la composition de la commission de réinscription ayant examiné sa demande », remettant en cause la décision du 14 juin 2007 qui avait eu les honneurs d’une publication au bulletin. Par ailleurs, elle ajoute que, « si le procès-verbal de l’assemblée générale doit mentionner la composition de celle-ci ainsi que le déroulement des débats, aucun texte n’impose que l’extrait du procès-verbal qui est notifié au candidat comporte ces indications celui-ci pouvant s’assurer de la régularité de la délibération en sollicitant les informations pertinentes auprès de la cour d’appel ». Là encore, la décision prend le contre-pied de celle rendue le 26 juin 2008 (08-11808) et revient, avec une nuance, à celle rendue en avril 2008.
Dorénavant, ce n’est plus à l’assemblée générale de la Cour d’appel de fournir spontanément les informations permettant au demandeur de constater la régularité de la procédure. C’est à ce dernier de faire la démarche nécessaire pour vérifier que les magistrats de la commission ne délibéraient pas en assemblée générale statuant sur les réinscriptions. Comme le procès-verbal intégral doit comporter la composition de la commission et de l’assemblée générale (Cass. 2eciv., 26 juin 2008, n° 08-10402 , préc.), on peut donc penser que le demandeur malheureux puisse demander à la Cour d’appel une copie intégrale de la décision le concernant. Mais, encore faut-il que cette copie puisse être obtenue rapidement. Lorsque l’on sait que le recours doit être exercé dans un délai de un mois à compter de la notification de refus, il y a lieu de penser que le contentieux relatif à cette cause d’annulation devrait se tarir, faute pour les requérants de disposer dans les temps des éléments permettant d’établir l’irrégularité.
11. – Quelle motivation pour un refus de réinscription ?L’exigence de motivation de la décision de réinscription est ancienne. Admise d’abord par la jurisprudence (Cass. 1reciv., 10 mai 1977, n° 76-15246 : Bull. civ., IV, n° 216. – Cass. 1re civ., 10 mai 1977, n° 76-15473 : Bull. civ., IV, n° 218. Cass. 1re civ., 4 juill. 1978 : Bull. civ., I, n° 253. – Cass. 1re civ., 26 avr. 1983 : Bull. civ., I, n° 132), elle a été consacrée par le décret du 23 décembre 2004. On peut penser que la nécessité d’une motivation réelle et précise est aussi forte que pour un refus d’inscription (Voir supra n° 5). C’est sans tenir compte des particularités de la procédure de réinscription. Ainsi, un expert dont la réinscription avait été refusée pour un manque de qualité dans son travail et des retards faisait valoir que l’assemblée générale ne précisait pas les affaires pour lesquelles des manquements lui étaient reprochés. Pour la Cour de cassation, la décision était suffisamment motivée dans le mesure où la procédure de réinscription qui suppose que l’expert soit entendu soit par la commission, soit par le rapporteur de l’assemblée générale lui avait permis de connaître les dossiers litigieux (Cass. 2e civ.,11 juill. 2013, 13-60066). La nécessaire audition de l’expert demandant sa réinscription autorise ainsi l’assemblée générale qui refuse une réinscription à être moins explicite que celle qui refuse une inscriptioninitale puisque, dans ce cas, le demandeur n’est entendu à aucun moment de l’instruction de la demande.
Motiver un refus de réinscription par une condamnation pénale, même non définitive, est aussi admis (Cass. 2e civ. 12 sept. 2013, n° 13-10692). Certes, la motivation se heurte à la présomption d’innocence. Si pour certains faits, le décretexige qu’une sanctionne ait été prononcée définitivement (les sanctions disciplinaires, administratives ou la faillite personnelle visées à l’article 2, 2° et 3° du décretn° 2004-1463 du 23 déc. 2004, modifié), il n’en est pas de même des faits contraires à l’honneur, à la probité et aux bonnes moeurs qui constituent un obstacle à l’inscription ou à la réinscription sans qu’aucune condamnation ne soit intervenue (D. n° 2004-1463, 23 déc. 2004, modifié, art. 2, 1°). Ceci étant, il aurait été préférable de faire état des faits contraire à l’honneur ou à la probité constitutifs de l’infraction pénale qui ont donné lieu à une condamnation plutôt que de viser la condamnation elle-même rendue par la chambre des appels correctionnels. Cela permettait d’écarter tout débat sur le caractère non définitif de la condamnation.
Il arrive aussi qu’un refus de réinscription soit censuré pour erreur manifeste d’appréciation. Il est fréquent que le refus soit légitimement motivé par le dépôt tardif de la demande de réinscription (Cass. 2e civ., 14 mai 2009, 09-11102. – 4 juin 2009, 09-11318 : JAC n° 95, statut des experts judiciaires, n° 2). Une fois n’est pas coutume : une décision refuse une réinscription fondée sur une absence de demande. La décision est censurée pour erreur manifeste d’appréciation car le demandeur avait pris le soin de formuler sa demande par lettre recommandée avec accusé de réception, même si le décret ne l’exige pas (Cass. 2eciv., 12 juill. 2012, n° 12-60108).
On signalera enfin une décision qui fonde un refus de réinscription pour un manquement à la probité de l’expert. Celui-ci aurait effectué une expertise judiciaire dans un litige opposant des particuliers à deux communes alors qu’il aurait été antérieurement conseil de ces particuliers dans un autre litige et n’aurait pas averti l’expert de la commune de ce lien pouvant mettre en cause son impartialité. Dans son recours, l’expert montre que des échanges de courriers entre les parties et l’expert avaient été informés de cette situation si bien que la décision de refus de réinscription est annulépour erreur manifeste d’appréciation (Cass. 2e civ. 28 juin 2012 n° 12-60064).
12. – La formation aux principes directeurs du procès est-elle toujours exigée ? La loi n° 71-498 du 29 juin 1971 impose au moment de sa réinscription une évaluation de la connaissance que l’expert inscrit a acquise des principes directeurs du procès et des règles de procédure applicables aux mesures d’instruction confiées à un technicien. À cette fin, son dossier de réinscription doit comporter des documents permettant de procéder à cette évaluation, ainsi que ceux attestant des formations suivies en ce domaine (D. n° 2004-1463,23 déc. 2004, modifié, 10, 2°). Cela met ainsi à la charge de l’expert inscrit une obligation de formation continue.
Faut-il exiger cette formation en procédure judiciaire de tous les techniciens ? Un traducteur-interprète dont la réinscription avait été refusée en raison d’une absence de formation faisait valoir que son rôle l’obligeà être « fidèle au texte ou au discours original et que la maîtrise de la procédure est l’affaire du magistrat, de l’avocat ou du policier ». Le traducteur bénéficie d’un statut particulier. Il bénéfice déjà d’une dérogation concernant la condition de domiciliation (D. n° 2004-1463, 23 déc. 2004, modifié, 2, 8°). On aurait pu croire qu’il bénéficiât aussi d’une dérogation pour la formation dans le domaine procédural en raison de son office judiciaire. Pourtant, son recours est rejeté au motif que « l’article 10, 2°, du décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004, modifié, ne prévoit aucune exception en faveur des interprètes et traducteurs à l’obligation, pour l’expert qui sollicite sa réinscription sur la liste d’une cour d’appel, d’assortir sa demande de réinscription de tous documents permettant d’évaluer la connaissance qu’il a acquise dans les principes directeurs du procès civil et des règles de procédure applicables aux mesures d’instruction confiées à un technicien ainsi que les formations qu’il a suivies dans ces domaines» (Cass. 2e civ., 27 juin 2013, n° 13-60007 : Bull. civ. II, n° 145). L’interprétation du texte est donc stricte.
De surcroît, les formations dont l’expert se prévaut dans sa demande de réinscription doivent forcément avoir été suivies durant la période d’inscription. Il s’agit bien d’assurer la formation continue de l’expert inscrit. Ainsi, la demande de réinscription d’un médecin a été légitimement refusée faute, pour lui, d’avoir suivi de formation procédurale dans la période probatoire, alors même qu’il possédait antérieurement à son inscriptioninitiale un diplôme inter-universitaire en « droit de l’expertise médico-légale » (Cass. 12 sept. 2013 n° 13-10504).
IV. Recours contre une décision de refus d’inscription ou de réinscription
13. – Nature du recours. Le candidat évincé dispose d’un recours devant la Cour de cassation (D. 2004-1463, 23 déc. 2004, art. 20) qui n’est pas un pourvoi et, par conséquent, peut être exercé sans la représentation d’un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation (Cass. 2eciv., 21 sept. 2006 : Bull. civ., II, n° 239). Mais faute d’expérience judiciaire, le candidat malheureux qui se lance dans un recours, sans assistance, peut commettre de réelles maladresses.
Ainsi, la Cour de cassation est-elle amenée à rendre un non-lieu à statuer dans la mesure où la démarche entreprise par l’expert ne manifestait pas sa volonté d’exercer un recours. En effet, celui-ci, qui n’avait déposé aucune demande de réinscription,s’était contenté d’adresser au greffe de la Cour de cassation pour information la copie d’une lettre expédiée au procureur de la République près le tribunal de grande instance d’Agen, lui demandant de lui faire parvenir les documents nécessaires à une réinscription (Cass. 2e civ.,12 juill. 2012, n° 12-60071).
Dans le même ordre d’idée a été déclaré irrecevable le « recours en réexamen de candidature » formé par une expert devant la Cour de cassation, faute d’être motivé (Cass. 2eciv.,12 sept. 201, n° 12-60621). Il est clair que ce candidat à l’expertise ignorait non seulement que le recours ne fût pas un pourvoi, mais qu’il ne constituait pas davantage un appel !
V. Responsabilité disciplinaire de l’expert inscrit
14. – Notion de faute disciplinaire.Pour clore cette chronique, on signalera une décision de la cour de cassation rendue au sujet d’une sanction disciplinaire prononcée contre un expert inscrit. Il s’agit de la seconde décision rendue dans la même affaire. En l’occurrence un chirurgien-dentiste avait été sanctionné par une radiation temporaire de la liste des experts inscrits. L’appel formé contre la décision de la commission de discipline devant la Cour d’appel d’Agen avait été rejeté. Mais la décision fut cassée, sur premier pourvoi, parce la commission disciplinaire n’avait pas constaté que l’expert ou son conseil avait été invité à prendre la parole en dernier (Cass. 1reciv., 23 févr. 2012, n° 11-10298 : JAC n° 125, statut des experts judiciaires, n° 8).
Sur renvoi devant la Cour d’appel de Bordeaux, l’appel est à nouveau rejeté. Son second pourvoir tendait alors à montrer que les faits reprochés ne constituaient pas des manquements à l’honneur et à la probité pouvant être sanctionnés par une radiation temporaire. Sans succès, cette fois-ci. Les fautes déontologiques retenues contre le chirurgien-dentiste et sanctionnées par la chambre de discipline ordinale, celles tenant à l’absence de tact ou de mesure dans la fixation des honoraires et à la pratique de sur-cotations frauduleuses des actes de soins étaient constitutives de manquements à la probité et à la délicatesse de nature à affecter l’honorabilité exigée d’un expert judiciaire : la peine de radiation temporaire, dont la Cour d’appel de Bordeaux,a souverainement estimé la durée à trois ans est dès lors justifiée (Cass. 1re civ., 16 oct. 2013 n° 12-27454).
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