sécurité nucléaire et ordre public
Auteur : Muriel Rambour, maître de conférences à l’UHA, membre du CERDACC
En mars 2014, trois ans après l’accident de Fukushima et à la veille d’une réunion des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne sur le thème de l’énergie, des militants de Greenpeace ont mené une action contre le nucléaire à la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin). Plusieurs dizaines de militants placés en garde à vue ont contesté les bases juridiques de leur interpellation devant le tribunal administratif de Strasbourg.
Mots-clés : Sécurité nucléaire – Obligation de quitter le territoire français (OQTF) – Reconduite à la frontière – Troubles à l’ordre public
Pour se repérer
Le 18 mars 2014, à l’aube, plusieurs dizaines de militants anti-nucléaires de l’ONG Greenpeace ont investi la zone protégée de la centrale nucléaire de Fessenheim. Certains sont parvenus à se hisser sur le dôme du réacteur n°1 pour y déployer pendant plusieurs heures une banderole « Stop risking Europe » afin d’inciter les pouvoirs publics à mettre fin à « la menace posée par les centrales nucléaires vieillissantes en Europe ».
Au total, 55 militants de près d’une vingtaine de nationalités européennes et extracommunautaires ont été interpellés puis placés en garde à vue avant d’être libérés le lendemain. Le préfet du Haut-Rhin a émis 52 obligations de quitter le territoire français (OQTF) – dont six assorties d’une interdiction de séjour en France de deux ans et d’un signalement sur le fichier Schengen – contre des ressortissants turcs, australiens et israéliens. Ces arrêtés ont été contestés par Greenpeace devant la juridiction administrative strasbourgeoise.
Pour aller à l’essentiel
Le 4 juillet 2014, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté le recours de 49 militants de Greenpeace, originaires de pays membres de l’Union européenne, qui contestaient l’arrêté du préfet du Haut-Rhin les obligeant à quitter le territoire français après leur participation à l’occupation de la centrale de Fessenheim en mars dernier.
Les recours de six militants de nationalités extracommunautaires (quatre Turcs, un Israélien et une Australienne) ont fait l’objet d’un examen particulier en formation élargie du tribunal. Ces sept magistrats avaient à démêler un problème de substitution de base légale introduite par le préfet consécutivement à une erreur de droit.
Pour aller plus loin
A l’occasion d’une première audience devant le tribunal administratif de Strasbourg début juin, le rapporteur public avait souligné le fait qu’une erreur de droit avait été commise par le préfet du Haut-Rhin qui avait délivré des obligations de quitter le territoire français à l’encontre de six militants de Greenpeace provenant de pays hors UE. Ces six personnes disposaient toutes de passeports ou de visas en règle. Or, une OQTF vise les individus présents en France de manière irrégulière (article 511-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile). S’apercevant de cette erreur, le préfet a procédé à une substitution de base légale en se référant non plus à une OQTF mais en faisant état d’un trouble à l’ordre public sanctionné par une reconduite à la frontière sous 48 heures (article 533-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile).
Le caractère problématique de cette substitution de base légale a conduit la 6e chambre du tribunal administratif saisie à renvoyer exceptionnellement l’affaire en formation élargie. Le 4 juillet, les sept magistrats ont entendu le rapporteur public rappeler l’argumentation développée en première audience. Une OQTF ne s’inscrit pas dans le même esprit qu’une reconduite à la frontière et n’obéit pas aux mêmes règles juridiques. Ainsi, le pouvoir d’appréciation de l’autorité administrative pour opérer la substitution de base légale ne se fonde pas sur des critères similaires. L’article 511-1 relatif à l’OQTF vise la régularité du séjour en France, à partir d’une vérification des titres de séjour de la personne concernée, tandis que l’article 533-1 se concentre notamment sur le trouble à l’ordre public dont l’autorité administrative doit prouver l’existence. L’étranger faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire – et sauf s’il a été placé en rétention – peut solliciter une aide au retour (article 511-1, al. 5 du Code précité), ce qui n’est pas possible dans le cadre d’une reconduite à la frontière. Et en cas de reconduite, l’interdiction de retour ne s’applique pas.
Le rapporteur public a en conséquence demandé l’annulation des six arrêtés d’expulsion pris à l’encontre des militants de Greenpeace. Pour sa part, le représentant du préfet du Haut-Rhin a reconnu l’existence d’une erreur de base légale aux arrêtés pris, tout en continuant de justifier les expulsions par la nécessité de maintenir l’ordre public. La décision sera rendue par le tribunal administratif fin juillet. Par ailleurs, plusieurs militants seront jugés par le tribunal correctionnel de Colmar le 4 septembre prochain pour violation de domicile et dégradations volontaires en réunion.
L’action dans l’enceinte nucléaire de Fessenheim n’est pas le premier coup d’éclat de Greenpeace. En 2011, neuf militants s’introduisaient dans le centre de production électrique de Nogent-sur-Seine et en 2012 un parapente atterrissait sur le toit de la centrale du Bugey. Immédiatement après l’intrusion sur le site, le directeur de la centrale de Fessenheim déclarait que les militants avaient démontré l’impossibilité d’accéder à la zone la plus sensible, à savoir la zone nucléaire. EDF indiquait également dans un communiqué en date du 18 mars que ces événements n’ont eu aucune conséquence sur la sûreté des installations qui ont continué de fonctionner normalement. Il n’en reste pas moins que le volet judiciaire du sort des militants interpellés pose plus fondamentalement la question de la sécurité des installations nucléaires.
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