securite financiere qu est ce qu une incompatibilite legale d exercer des fonctions de commissaire aux apports commentaire de cass crim 6 avril 2016 n 15 81273

SECURITE FINANCIERE : QU’EST-CE QU’UNE INCOMPATIBILITE LEGALE D’EXERCER DES FONCTIONS DE COMMISSAIRE AUX APPORTS ?

COMMENTAIRE DE CASS. CRIM. 6 AVRIL 2016, N° 15-81273

 

Philippe SCHULTZ

Maître de conférences à l’UHA

CERDACC

 

Résumé. Il résulte de la combinaison des articles L. 225-147 et L. 822-11 du code de commerce que le commissaire aux apports ne peut prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt auprès de la personne ou de l’entité auprès de laquelle il effectue sa mission, ou auprès de la personne qui la contrôle ou est contrôlée par elle.

Les interdictions édictées par l’article L. 822-11 étaient applicables avant l’entrée en vigueur de ce décret du 16 novembre 2005 instituant le code de déontologie des commissaires aux comptes.

Mots clés. Commissaire aux apports – Incompatibilité – Code de déontologie – Entrée en vigueur – Délit d’acceptation d’une mission nonobstant une incompatibilité.

 

Pour se repérer

Dans la perspective de réaliser un rapprochement entre une société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) et la société Française de Gastronomie (FDG), cette dernière confie à la société IEA une mission d’audit de la SASU. C’est cette même société IEA qui est ensuite désignée judiciairement en qualité de commissaire aux apports chargée d’évaluer l’apport que doit faire la filiale de la société FDG à la SASU.

Dans son rapport du 22 décembre 2004, le commissaire aux apports entérine la valeur de 800 000 euros retenue par le traité d’apport, valeur qui est approuvé ensuite, le 30 décembre 2004, par l’associé unique de la SASU. Une expertise postérieure établit que l’apport a été surévalué et que la société bénéficiaire de l’apport, la SASU, a été victime d’un préjudice. Cela la conduit à porter plainte contre X pour majoration frauduleuse d’apports en nature et exercice des fonctions de commissaire aux apports en dépit d’une interdiction ou une incompatibilité légale.

Tant le juge d’instruction que la chambre de l’instruction rendront une décision de non-lieu. Sur pourvoi, la Cour de cassation casse l’arrêt de la chambre de l’instruction en ce qu’il a confirmé l’ordonnance de non-lieu du chef d’exercice des fonctions de commissaire aux apports nonobstant les interdictions ou incompatibilités légales.

Pour aller à l’essentiel

La chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Rennes a confirmé le non-lieu du chef d’exercice des fonctions de commissaire aux apports nonobstant les interdictions ou incompatibilités légales au motif que les code de déontologie auquel renvoie l’article L. 822-11, qui définit les liens personnels, financiers et professionnels, concomitants ou antérieurs à la mission, incompatibles avec l’exercice de celle-ci, n’était pas encore en vigueur à la date de remise du rapport.

Viole les articles L. 225-147 et L. 822-11 du code de commerce la chambre de l’instruction qui confirme une ordonnance de non-lieu en statuant ainsi alors qu’il résulte de la combinaison de ces textes que le commissaire aux apports ne peut prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt auprès de la personne ou de l’entité auprès de laquelle il effectue sa mission, ou auprès de la personne qui la contrôle ou est contrôlée par elle et que les interdictions édictées par l’article L. 822-11 précité étaient applicables avant l’entrée en vigueur de ce décret

Pour aller plus loin

Dans les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés par actions, le capital est considéré, de manière théorique, comme le gage des créanciers (M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, LexisNexis, Manuel, 28e éd., 2015, n° 254 et s.). Pour assurer la réalité du capital, un commissaire aux apports doit être désigné pour apprécier la valeur des apports en nature tant pour les apports faits à la constitution de la société (C. com., art. L. 223-9, pour les SARL ; art. L. 225-8, pour les S.A.) que dans le cadre d’une augmentation de capital (C. com., art. L. 223-33, pour les SARL ; art. L. 225-147, pour les S.A.). C’est au vu de ce rapport que les associés déterminent la valeur de l’apport en nature.

Afin de s’assurer autant que faire se peut que le commissaire aux apports effectue sa mission en toute indépendance, celui-ci est soumis à des incompatibilités particulières dont le non-respect est pénalement sanctionné par l’article L. 242-5 du code de commerce dans les sociétés anonymes (Rien n’est prévu au sujet des SARL). Aux termes de ce texte : « Est puni d’un emprisonnement de six mois et d’une amende de 9000 euros le fait d’accepter ou de conserver les fonctions de commissaire aux apports, nonobstant les incompatibilités et interdictions légales. ». Par une extension expresse (C. com., art. L. 244-1), l’incrimination s’applique aussi aux apports effectués à une société par actions simplifiée, comme c’était le cas en l’espèce.

Le problème soulevé par l’arrêt rapporté était de déterminer ce qu’il faut entendre par incompatibilité légale. Quelles dispositions légales fondent-elles pareille incompatibilité ?

Avant tout, on relèvera que, pendant plusieurs années, le texte d’incrimination précité était devenu une infraction purement virtuelle puisqu’il n’existait aucune incompatibilité légale. En effet, tant l’article L. 225-8, au sujet des apports en nature à la constitution de la société, que l’article L. 225-147 propre aux augmentations de capital en nature renvoyaient expressément à l’article L. 225-224 du code de commerce, c’est-à-dire à un texte instituant les causes d’incompatibilités propres au commissaire aux comptes pour définir celles applicables au commissaire aux apports. Or, lorsque les dispositions relatives au commissariat aux comptes ont été déplacées dans le livre VIII, titre II, du code de commerce, l’article L. 225-224 a été abrogé sans qu’aucun texte ne formule de renvoi exprès aux nouvelles dispositions établissant les cas d’incompatibilité d’exercice des fonctions de commissaires aux comptes et notamment aux articles L. 822-10 et suivants du code de commerce (V. L. n° 2003-706, 1er août 2003, art. 11 : L’article L. 225-224 du code de commerce est abrogé.). À défaut d’incompatibilité prévue par la loi, aucun commissaire aux apports ne pouvait être poursuivi du chef de l’incrimination prévue à l’article L. 242-5 du code de commerce à compter du 2 août 2003.

Pour ce qui est de l’article L. 225-147, la négligence précédemment dénoncée a été assez vite réparée par l’ordonnance n°2004-604 du 24 juin 2004, entrée en vigueur le 26 juin 2004. En revanche, pour l’article L. 225-8, il a fallu attendre la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012. Dorénavant ces deux textes renvoient à l’article L. 822-11 du code de commerce pour définir les cas d’incompatibilité d’exercice de la fonction de commissaire aux apports.

Dans l’arrêt rapporté, l’apport en nature étant réalisé dans le cadre d’une augmentation de capital en décembre 2004, l’article L. 225-147, tel qu’il avait été modifié en juin 2004, était applicable à l’opération.

Si dorénavant l’incompatibilité d’accepter ou de conserver des fonctions de commissaires aux apports trouve un fondement dans l’article L. 822-11, l’existence de ce texte ne résout pas tout. En effet, son second alinéa renvoie lui-même au code de déontologie des commissaires aux comptes pour définir les liens personnels, financiers et professionnels, concomitants ou antérieurs à la mission, incompatibles avec l’exercice d’une mission de commissaires aux comptes et, partant, de commissaire aux apports. Or ledit code de déontologie a été adopté par le décret n°2005-1412 du 16 novembre 2005, c’est-à-dire postérieurement aux faits litigieux.

La chambre de l’instruction en a déduit qu’à la date des faits, les éléments de l’infraction n’étant pas encore définis, en application de l’article 111-3 du code pénal, le commissaire aux apports ne pouvait être poursuivi du chef d’exercice de ces fonctions nonobstant une incompatibilité légale.

On comprend la réticence dont a fait preuve la chambre de l’instruction face à l’incertitude quant à l’entrée en vigueur du nouvel article L. 822-11. Le renvoi fait par ce texte au code de déontologie des commissaires aux comptes – qui de surcroît est homologué par un décret – pour définir les liens créant une incompatibilité pouvait légitimement donner à penser que l’article L. 822-11 nécessitait des mesures d’application, ce qui avait pour conséquence de retarder son effectivité à la date d’entrée en vigueur de celles-ci (C. civ., art. 1er, al. 1er).

Cette réticence était d’autant plus légitime que la Cour de cassation avait déjà censuré un arrêt qui avait condamné un commissaire aux comptes ayant bénéficié gracieusement de plusieurs séjours en thalassothérapie de la filiale d’une société contrôlée pour exercice de la fonction nonobstant une incompatibilité légale en se fondant sur l’article L. 822-10, 1° selon lequel « Les fonctions de commissaire aux comptes sont incompatibles avec toute activité ou tout acte de nature à porter atteinte à son indépendance ». La cause d’incompatibilité définie de manière trop générale par cette disposition ne répondant pas aux exigences du principe de légalité, la censure était alors prononcée par la Cour de cassation qui décidait que « le fait, pour un commissaire aux comptes, de prendre, recevoir ou conserver un intérêt auprès d’une personne contrôlée par celle dont il est chargé de certifier les comptes n’est constitutif d’une incompatibilité légale, au sens de l’article L. 820-6 du code de commerce, que dans les conditions prévues à l’article L. 822-11, I, du même code » (Cass. crim., 16 juin 2010, n° 09-81813 : Bull. crim., n° 110).

La Cour d’appel de Paris avait ensuite relaxé le commissaire aux comptes aux motifs, notamment, que « statuant sur renvoi, elle ne pouvait ajouter ou substituer un nouveau fondement légal d’incrimination à celui qui était visé et sur lequel le prévenu s’est défendu et a été jugé, en premier et second ressort et qu’il ne lui appartenait pas, dès lors, de rechercher si les faits entraient dans les prévisions de l’ article L. 822-11 du Code de commerce  ni dans celles du code de déontologie, entré en vigueur postérieurement aux faits » (CA Paris, Pôle 5, ch. 12, 17 janv. 2012, n° 10/06965 : JurisData n° 2012-00256310/06965).

Dans l’affaire commentée, la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Rennes, suivait ainsi le même raisonnement que celui adopté quelques années auparavant par la Cour d’appel de Paris.

C’est cette position qui est clairement écartée par la Cour de cassation par l’arrêt de censure du 6 avril 2016. L’article L. 822-11, I, est un texte qui se suffit à lui-même, indépendamment de tout décret d’application. Définir un lien d’incompatibilité ne constitue pas une mesure d’application au sens de l’article 1er du code civil.

Par application combinée des articles L. 822-11 et l. 225-147 du code de commerce, la Cour de cassation énonce alors le principe suivant : « le commissaire aux apports ne peut prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt auprès de la personne ou de l’entité auprès de laquelle il effectue sa mission, ou auprès de la personne qui la contrôle ou est contrôlée par elle ». En l’occurrence, le commissaire aux apports avait déjà effectué une mission d’audit sur la société à laquelle l’apport est effectué. Cela constitue un intérêt suffisant pour lui interdire ensuite d’accepter une mission de commissaires aux apports. Cette solution a vocation à s’appliquer aux commissaires aux comptes qui eux-mêmes sont encourent une sanction pénale au titre de l’exercice de leur fonction en dépit d’une incompatibilité légale (C. com., art. L. 820-6).

La solution adoptée par la Cour de cassation n’emporte pas la conviction. Certes, on peut reconnaître qu’une définition n’est pas en soi une mesure d’application au sens de l’article 1er du code civil. Toutefois, en droit pénal, une définition précise est indispensable pour respecter le principe de légalité. On a du mal à croire que l’incompatibilité consistant dans le fait de « prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement un intérêt » auprès de la société auprès de laquelle on effectue une mission sans plus de précision au sens du premier alinéa de l’article L. 822-11 est plus respectueuse du principe de légalité que celle consistant en un « acte de nature à son indépendance » au sens de l’article 822-10, 1°. Ce sont les précisions apportées par le code de déontologie qui permettent de connaître avec certitudes les causes d’incompatibilité. « Connaître avec certitude » est même un euphémisme tant les articles 26 à 30 du Code déontologie des commissaires aux comptes décrivant liens d’incompatibilité sont complexes et obligent celui qui est soumis à une veille permaente. C’est alors l’élément intentionnel de l’infraction qui doit être apprécié avec attention : ce n’est que si le commissaire aux apports a connaissance du lien incriminé qu’il doit refuser sa mission – ou démissionner s’il en prend connaissance après l’avoir accepté.

Cour de cassation  chambre criminelle  Audience publique du mercredi 6 avril 2016  N° de pourvoi: 15-81273  Publié au bulletin Cassation partielle M. Guérin (président), président  SCP Gaschignard, avocat(s) 

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

– La société Vectora, partie civile,

contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de RENNES, en date du 6 février 2015, qui, dans l’information suivie, sur sa plainte, contre personne non dénommée des chefs de majoration frauduleuse d’apports en nature et exercice des fonctions de commissaire aux apports malgré interdiction ou incompatibilité légale, a confirmé l’ordonnance de non-lieu rendue par le juge d’instruction ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 17 février 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, Mme Chaubon, conseiller rapporteur, M. Soulard, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

Sur le rapport de Mme le conseiller CHAUBON, les observations de la société civile professionnelle GASCHIGNARD, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général GAILLARDOT ;

Vu le mémoire produit ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que, dans le cadre du rapprochement entre la société X…, ayant pour unique associé la société Vectora, et la société Française de gastronomie (FDG), la société UGMA, filiale de la société FDG, a fait apport des éléments incorporels de son fonds de commerce à la société X… ; que, préalablement, la société française de gastronomie a confié à la société In Extenso audit (IEA) une mission d’audit de la société X… ; que, par ordonnance du président du tribunal de commerce, la société IEA a été désignée en qualité de commissaire aux apports chargé d’apprécier la valeur de l’apport en nature fait par la société UGMA à la société X… ; que, dans son rapport du 22 décembre 2004, la société IEA, en la personne de M. Claude Y…, a entériné la valeur de 800 000 euros estimée par les parties au traité d’apport en date du 14 décembre 2004 ; que, le 30 décembre 2004, la société Vectora a approuvé les opérations d’apport ainsi que l’augmentation du capital et les modifications statutaires en résultant ; que suite aux difficultés rencontrées par la société Vectora, M. X… a demandé au cabinet d’expertise comptable Price Watherhouse Coopers d’établir un constat sur la valeur du fonds apporté par la société UGMA et l’éventuel préjudice subi par la société X… ; que ce cabinet a conclu que le fonds avait été sous-évalué et que la société X… avait subi un préjudice ; que M. X… a porté plainte avec constitution de partie civile des chefs susvisés ; que le juge d’instruction a rendu une ordonnance de non-lieu dont M. X… a fait appel ;

En cet état :

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 242-2 et L. 244-1 du code de commerce et 591 et 593 du code de procédure pénale ;

 » en ce que l’arrêt attaqué a dit n’y avoir à lieu à suivre contre quiconque du chef de majoration frauduleuse d’apport en nature ;

 » aux motifs que la partie civile affirme encore que le rapport de la société In Extenso audit est frauduleux par l’absence de toute indication des méthodes, par lesquelles, elle est arrivée à l’évaluation qui s’est révélée supérieure à la réalité, comme l’a établi la société PWC, fraude en connaissance de cause expliquée par l’intérêt de la société nommée commissaire aux comptes de la société FDG quelques mois plus tard ; mais que quelles que soient les insuffisances reprochées par la suite au rapport de cette société émis, le 22 décembre 2004, aucun élément de l’information n’établit qu’il ait été volontairement frauduleux alors que la valeur de l’apport était déjà fixée dans le traité d’apport signé antérieurement le 14 décembre 2004, entre la société UGMA et la société X…, que ce traité signalait les déficits des années antérieures de la société UGMA, que le rapport se contentait de conclure que la valeur convenue de l’apport n’était pas surévaluée et qu’enfin le rapport de la société PWC, que les juridictions civiles ont d’ailleurs estimé peu sérieux, indiquait lui-même avec prudence qu’il était nécessaire d’accéder au dossier de travail du commissaire aux apports pour porter un jugement sur les méthodes d’évaluation retenues ; que, par ces motifs, et ceux retenus par le premier juge, l’information n’a pas mis en évidence d’éléments suffisants permettant de caractériser les infractions dénoncées par la partie civile ni une quelconque autre infraction et aucune investigation complémentaire n’apparaît susceptible d’être utilement ordonnée ;

 » et aux motifs adoptés que les juridictions civiles et commerciales ont constaté que le rapport établi par M. Clause Y…, dirigeant de la société In Extenso audit, répondait parfaitement aux normes légales et professionnelles concernant l’évaluation des éléments incorporels du fonds de commerce de la société UGMA, filiale de la société FDG, que cette dernière devait apporter à la société X… ; que le simple fait que ce rapport soit contredit par celui réalisé par le cabinet d’expertise compte PWC à la demande de M. X…, dirigeant de la société Vectora et associé unique de la société X…, n’est pas suffisant à établir les faits de majoration frauduleuse ; que M. X… reconnaît, lui-même, s’être déplacé sur le site de production de la société UGMA et avoir pu constater le potentiel qu’il pouvait retirer d’un tel apport ; qu’il ressort des décisions de justice rendues au civil et au commercial que l’échec de l’apport envisagé apparaît avoir pour origine un manquement de la société Camargo dans son contrat d’approvisionnement en matière première, en l’espèce sur la qualité des escargots, et ce, indépendamment, de l’existence en sus d’éventuelles déloyautés ; que la mission de M. Y…, dirigeant de la société In Extenso Audit, réalisée en septembre 2004 a plutôt consisté à apprécier la santé de la société X… dont la société FDG allait recevoir des capitaux en échange de l’apport des éléments incorporels du fonds de commerce de sa société UGMA ; que dès lors, ces faits n’étant pas établis, il ne peut qu’être ordonné un non-lieu dans la présente procédure ;

 » 1°) alors que constitue un délit le fait, pour toute personne, et notamment, pour le commissaire aux apports, de faire attribuer frauduleusement à un apport en nature une évaluation supérieure à sa valeur réelle ; qu’il résulte de l’ordonnance du président du tribunal de commerce du 28 octobre 2004 et du traité d’apport du 14 décembre 2004 que la société IEA avait été désignée, en qualité de commissaire aux apports pour évaluer les apports en nature devant être réalisés par la société UGMA et que le traité d’apport ne pouvait entrer en vigueur qu’après que l’associé unique de la société X… ait donné son consentement au vu du rapport de la société IEA ; qu’en s’abstenant de rechercher s’il ne résultait pas de ces dispositions que la société IEA devait fixer la valeur de l’apport et si, en entérinant la valeur de 800 000 euros déclarée par la société UGMA, elle n’avait pas conduit la société X… et son associé unique à s’engager définitivement dans le traité d’apport, alors que cette évaluation était supérieure à la valeur réelle du fond, la chambre de l’instruction a privé sa décision de base légale ;

 » 2°) alors que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que la société Vectora se prévalait du rapport établi par le cabinet d’expertise comptable Price Waterhouse Coopers le 20 juin 2007, qui indiquait que quelle que soit la méthode d’évaluation retenue, la valeur de la société UGMA était négative, tandis qu’il ne pouvait être attribué aucune valeur à son fonds de commerce, de sorte que la valeur de 80 000 euros, mentionnée dans le traité d’apport et confirmée par le rapport de la société IEA, commissaire aux apports, était largement surévaluée ; qu’en se bornant à affirmer que ce rapport n’était « pas suffisant », sans en examiner la teneur et les conclusions, ni le confronter au rapport du commissaire aux apports du 22 décembre 2004, et sans préciser en quoi il était insuffisant à démontrer le caractère excessif de la valeur de 800 000 euros prêtée à l’apport, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision  » ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que, pour confirmer l’ordonnance de non-lieu entreprise, la chambre de l’instruction, après avoir analysé l’ensemble des faits dénoncés dans la plainte et répondu aux articulations essentielles du mémoire produit par la partie civile appelante, a exposé, par des motifs exempts d’insuffisance comme de contradiction, que l’information était complète, et qu’il n’existait pas de charges suffisantes contre quiconque d’avoir commis le délit de majoration frauduleuse d’apport en nature ;

Que, dès lors, le moyen doit être écarté ;

Mais sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-3 du code pénal, L. 242-5, L. 244-1, L. 225-147, L. 227-1, L. 822-10 et L. 822-11 du code de commerce, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

 » en ce que l’arrêt attaqué a dit n’y avoir à lieu à suivre contre quiconque du chef d’exercice des fonctions de commissaire aux apports nonobstant les incompatibilités ou interdictions légales ;

 » aux motifs que la partie civile affirme que la nomination de la société In Extenso audit en tant que commissaire aux apports relève de l’article L. 242-5 du code de commerce qui réprime la violation des incompatibilités auxquelles elle était tenue ; que ce texte punit le fait d’accepter ou de conserver les fonctions de commissaire aux apports nonobstant les incompatibilités et interdictions légales ; que dans la rédaction en vigueur à la date des faits, l’article L. 225-147 du code de commerce énonce que les commissaires aux apports sont soumis aux incompatibilités prévues à l’article L. 822-11 ; que ce dernier texte renvoie au code de déontologie prévu à l’article L. 822-16, lequel lui-même renvoie à un décret en Conseil d’Etat approuvant le code de déontologie ; que ce code de déontologie a été approuvé par décret n° 2005-1412 du 16 novembre 2005 ; qu’ainsi, lorsqu’est intervenue la nomination de la société In Extenso audit par le président du tribunal de commerce de Quimper le 28 octobre 2004 et que celle-ci a exécuté sa mission de commissaire aux apports dont le rapport a été émis le 22 décembre 2004, les articles du code de déontologie traitant des principes fondamentaux de comportement ayant trait à l ‘ intégrité, l’impartialité, l’indépendance et le conflit d’intérêts ne faisaient pas encore partie des textes énonçant les incompatibilités et interdictions légales ; que dès lors, si le défaut d’indépendance et d’impartialité devait être sanctionné sur le plan civil, l’infraction pénale n’était pas légalement constituée à la date des faits visés et, en application de l’article 111-3 du code pénal, il n’y a pas de poursuite possible ;

 » et aux motifs éventuellement adoptés que, si d’un point de vue commercial et déontologique, les manquements de M. Y…sont avérés et incontestables, il en va différemment d’un point de vue pénal dans la mesure où une intention coupable doit être caractérisée ; qu’il doit être observé que M. X… a lui-même demandé la nomination de M. Y…au président du tribunal de commerce de Quimper en qualité de commissaire aux apports au mois d’octobre 2004 ; que même s’il apparaît que cette demande lui a été suggérée par la société FDG (courrier du 25 septembre 2009), il n’y a pas moins consenti librement ;

 » 1°) alors que, selon l’article L. 225-147 du code de commerce, les commissaires aux apports sont soumis aux incompatibilités énoncées à l’article L. 822-11 du code de commerce qui, dans sa version issue de la loi du 1er août 2003, entrée en vigueur le 2 août 2003, renvoie, à la fois, aux dispositions contenues dans les livres II et VIII du code de commerce et au code de déontologie ; qu’il résulte de la combinaison de ces textes et de l’article L. 822-10 du code de commerce figurant au livre VIII, dans sa version également issue de la loi du 1er août 2003, que les fonctions de commissaire aux apports sont incompatibles avec toute activité ou tout acte de nature à porter atteinte à son indépendance à l’égard de l’une des parties à l’opération d’apport ou d’une personne qui la contrôle ou qu’elle contrôle, notamment, le fait de donner simultanément des conseils à la société, qui contrôle la société apporteuse ; qu’en vertu de l’article L. 242-5 du code de commerce, issu de l’ordonnance du 19 septembre 2000 et entré en vigueur le 21 septembre 2000, l’exercice de telles fonctions nonobstant cette incompatibilité constitue une infraction pénale ; qu’en affirmant que jusqu’à l’entrée en vigueur du décret n° 2005-147 du 16 novembre 2005 approuvant le code de déontologie, le principe d’indépendance n’était pas applicable aux fonctions de commissaire aux apports de sorte que ne pouvait être réprimé le fait d’accepter une mission de commissaire aux apports tout en délivrant des conseils à la société contrôlant la société apporteuse, la chambre de l’instruction a violé les textes susvisés ;

 » 2°) alors que le délit d’exercice des fonctions de commissaires aux apports nonobstant une incompatibilité ou interdiction légale est caractérisé dès lors que l’intéressé a accepté ou conservé ses fonctions alors qu’il avait connaissance de la situation d’incompatibilité dans laquelle il se trouvait ; qu’en affirmant que l’élément intentionnel du délit n’était pas établi, au motif inopérant que la nomination de la société IEA avait été demandée par M. X…, et sans rechercher, comme elle y était invitée, si celle-ci n’avait pas accepté sa désignation et exécuté sa mission en connaissance de la situation d’incompatibilité dans laquelle elle se trouvait, la chambre de l’instruction n’a pas justifié sa décision  » ;

Vu les articles L. 225-147 et L. 822-11 du code de commerce ;

Attendu qu’il résulte de la combinaison de ces textes que le commissaire aux apports ne peut prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt auprès de la personne ou de l’entité auprès de laquelle il effectue sa mission, ou auprès de la personne qui la contrôle ou est contrôlée par elle ;

Attendu que, pour confirmer l’ordonnance de non-lieu du chef d’exercice des fonctions de commissaire aux apports nonobstant les interdictions ou incompatibilités légales, l’arrêt retient qu’à la date où la société In Extenso audit a exécuté sa mission de commissaire aux apports, le code de déontologie, prévu à l’article L. 822-16 du code de commerce, qui définit les liens personnels, financiers et professionnels, concomitants ou antérieurs à la mission, incompatibles avec l’exercice de celle-ci, approuvé par décret du 16 novembre 2005, n’était pas en vigueur ;

Mais attendu qu’en statuant ainsi, alors que les interdictions édictées par l’article L. 822-11 précité étaient applicables avant l’entrée en vigueur de ce décret, la chambre de l’instruction la violé les textes susvisés ;

D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE l’arrêt susvisé de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rennes, en date du 6 février 2015, mais en ses seules dispositions ayant confirmé l’ordonnance de non-lieu du juge d’instruction du chef d’exercice des fonctions de commissaire aux apports nonobstant les interdictions ou incompatibilités légales, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu’il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rennes autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registre du greffe de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le six avril deux mille seize ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

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