reglement des accidents aeriens quelle s procedure s pertinente s en cas de depenalisation

REGLEMENT DES ACCIDENTS AERIENS : QUELLE(S) PROCEDURE(S) PERTINENTE(S) EN CAS DE DEPENALISATION ? 

REUNION/DEBAT ORGANISEE PAR LA COMMISSION « EVENEMENTS AERIENS (ACCIDENTS) » DE LA SOCIETE FRANCAISE DE DROIT AERIEN ET SPATIAL & L’IDEST 
2 OCTOBRE 2014 

Le salon du Vitrail de la Chambre de Commerce Paris a accueilli une cinquantaine de personnes intéressées par le thème de l’alternative à la pénalisation des accidents aériens. Ce thème avait été inspiré à Claude GUIBERT, l’initiateur de la rencontre, par le rapport sur la judiciarisation des grandes catastrophes – approche comparée du recours à la justice pour la gestion des grandes catastrophes de type accidents aériens ou ferroviaires (remis à la Mission de Recherche « Droit et Justice », ss. la dir. de M.-F. Steinlé-Feuerbach et C. Lacroix, à paraître aux éditions Dalloz – collection Thèmes et commentaires, série « Actes » ) auquel il avait apporté sa contribution d’expert en aéronautique. Les débats ont été présidés par Philippe DELEBECQUE, Professeur à l’Université Paris I et Président de la SFDAS. 

La parole est d’abord donnée à notre collègue Caroline LACROIX, membre du CERDACC, qui exprime toute la difficulté du rôle qui lui est attribué puisque le rapport dont il lui est demandé de présenter les grandes lignes conclut au nécessaire maintien de la pénalisation. Elle rappelle que pour la rédaction de ce travail, il avait été choisi de laisser la parole libre aux acteurs des procès de grandes catastrophes : experts, magistrats, avocats, associations de victimes. Se prêtant néanmoins volontiers au jeu de la prospective, l’intervenante revient sur les conclusions du rapport sur la question de la pénalisation avant d’aborder les possibilités d’ouvrir des « couloirs » menant à la dépénalisation. 

Plusieurs constats avaient été établis. En matière d’accidents aériens, l’intervention pénale fait, en France, partie intégrante de la réponse sociale en cas de catastrophe ; il en est de même dans la plupart des pays européens. Caroline LACROIX démontre également que le droit de l’Union Européenne, en exigeant une enquête technique, ne promeut d’aucune manière une quelconque déjudiciarisation.
Cependant, des opposants à la pénalisation proposent des pistes moins outrageantes que la sanction pénale, comme une immunité sectorielle ou une présomption d’innocence renforcée dans les domaines de haute technicité. Notre collègue se lance dès lors dans un exercice de simulation en exposant quelques pistes de réflexion et leurs limites.
Une première solution consisterait à réduire l’assiette de l’imprudence en modifiant le mécanisme actuel qui résulte de la loi du 10 juillet 2000 (loi n° 2000-647 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels). Il s’agirait de limiter la répression à la faute délibérée, c’est-à-dire à la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement. Une telle dépénalisation générale des délits d’imprudence dépasserait le cadre des accidents aériens pour atteindre notamment celui de la sécurité au travail ou de la sécurité routière, ce qui apparaît comme une solution excessive qui n’a aucune chance de prospérer tant pour des raisons politiques que juridiques.

Caroline LACROIX s’interroge ensuite sur la possibilité d’une dépénalisation sectorielle réservée aux domaines de haute technicité. Une telle démarche se heurterait au principe constitutionnel d’égalité devant la loi. Toutefois cette piste de circonscription de la responsabilité pénale non intentionnelle a bien été introduite par la loi du 20 juillet 2011 (n° 2011-851) relative à l’engagement des sapeurs-pompiers volontaires et à son cadre juridique laquelle invite les tribunaux à se pencher plus attentivement sur les difficultés et les limites des missions des soldats du feu (C. Lacroix « La répression de l’imprudence : à hue et à dia – hésitations, inconstances ou incohérences législatives », LPA 26 avril 2012, n° 84, p. 5). Voilà éventuellement une piste à explorer…

Parmi les autres possibilités figurent les réponses pénales alternatives, le recours à la justice négociée, utilisé déjà dans les législations italienne et allemande, paraît la voie la plus judicieuse. L’arsenal législatif français n’offre pour l’instant qu’une seule voie envisageable : la procédure de comparution volontaire sur reconnaissance préalable de culpabilité dite du « plaider coupable » laquelle, en cas de catastrophe, pourrait trouver sa place à l’issue d’une procédure d’information judiciaire. 

Dans le cadre des échanges, sera réfutée la piste de sanctions de nature civile, de type dommages et intérêts punitifs, ceux-ci étant prohibés par le droit international en matière aérienne. 

Mme LACROIX conclut que la revendication des opérateurs industriels ou des transporteurs pour une autorégulation est un leurre juridique et que la dépénalisation relève d’abord d’un choix politique.

 

Le deuxième intervenant est Maître Fernand GARNAULT, avocat au Barreau de Paris, qui met ses talents de juriste et d’orateur au service notamment d’Air France. Maître GARNAULT rappelle son expérience dans les affaires d’Habsheim, du Mont Sainte Odile et du Concorde. Pour lui, les associations de défense des victimes font durer les procès, empêchant par là les victimes de faire leur deuil. Il cite comme exemple le procès du Mont Sainte Odile dans lequel trop d’expertises ont été demandées par ces associations. Evidemment partisan de la dépénalisation, il rappelle que par la loi de 1924 relative à la navigation aérienne les transporteurs n’étaient pas responsables en cas de faute de pilotage ou de risque de l’air et que la loi de 1957 n’envisageait que leur responsabilité civile. Pour lui, les juridictions pénales sont faites pour punir les truands mais non pour s’occuper de choses que ni les avocats, ni les magistrats, ne comprennent. Il revient sur plusieurs affaires. Dans celle d’Habsheim, la faute caractérisée du pilote a entraîné facilement sa condamnation (Trib. corr. Colmar 14 mars 1997, Gaz. Pal. 1998, 1, 267 ; Colmar 9 avril 1998, Gaz. Pal. 2001, 1, 665 ; Crim. 23 mai 2000 (rejet), Gaz. Pal. 2001, 1, 687) ; pour le Mont Sainte Odile, après une procédure qui dure, qui dure – et au cours de laquelle les gens vieillissent, l’Etat dépense de l’argent – on aboutit à un acquittement général ( Trib. corr. Colmar, 7 nov. 2006, M.F. Steinlé-Feuerbach, « Crash du Mont Sainte Odile : absence de responsabilité pénale », JAC n° 69 ; Colmar, 14 mars 2008 ; Crim. 22 sept. 2009,  C. Lienhard, « Crash du Mont Sainte Odile, triste baisser de rideau jurisprudentiel », JAC n ° 97) ; en ce qui concerne le Concorde, on fait de la paléontologie pour un avion qui n’existe plus  (Trib. corr. Pontoise, 6 déc. 2010, M.-F. Steinlé-Feuerbach, « Crash du Concorde à Gonesse : relaxes et condamnations », JAC n° 110 ;  Versailles, 29 nov.  2012, M.-F. Steinlé-Feuerbach, «  Crash du Concorde à Gonesse : les relaxes prononcées en appel ») », JAC n° 130) ; et pour Rio, le rapport du BEA contient tout, ce qui devrait suffire. Si pour Habsheim les condamnations étaient logiques il n’en est pas de même dans les autres affaires où le doute ainsi que l’incertitude sur le lien de causalité ne permettent pas de condamnation. Il souligne l’absence au procès du Concorde de parties civiles allemandes. 

Du point de vue du droit, selon Maître GARNAULT, il est anticonstitutionnel que les personnes physiques et les personnes morales soient traitées différemment. La solution proposée est d’admettre que les personnes morales ne puissent être condamnées que si les personnes physiques les représentant aient commis une faute caractérisée. 

Les arguments en faveur du maintien de la pénalisation sont avancés par Maître Bertrand COURTOIS, avocat au Barreau de Paris, qui se place du côté des parties civiles pour apporter la contradiction à son confrère. Précisant que les affaires dont il a la charge ne sont pas définitivement jugées, Maître COURTOIS centre son intervention sur la phase de l’enquête. Du point de vue sociologique, les populations demandent des comptes aux créateurs de risques et le droit ne peut pas ignorer les attentes des victimes. Puis, concernant un aspect de culture juridique : il n’est pas possible de tout confier aux commissions d’enquête parlementaires comme aux Etats-Unis car en France elles accouchent souvent d’une souris et peuvent être diligentées pour des raisons médiatiques ; de même, confier l’exclusivité aux enquêtes administratives réalisées par des organismes ministériels pose la question de l’indépendance de ces derniers.
S’agissant du droit processuel français, l’intervenant s’interroge sur la possibilité d’une enquête judiciaire non pénale. Dans le cadre d’une telle enquête l’expert nommé par le juge ne disposerait pas de pouvoirs coercitifs, l’expert civil ne peut pas travailler comme dans le cadre d’une commission rogatoire, de plus, il n’y a pas d’entraide internationale comme au pénal. Maître COURTOIS précise qu’il n’y a pas de procédure de discovery en droit français où l’avocat a le droit de mentir alors que le mensonge a des conséquences terribles aux Etats-Unis.
L’indépendance de l’enquêteur est également mise en cause en raison de la consanguinité des experts alors que les juges d’instruction sont indépendants, ce qui constitue une garantie du respect des droits.
Du côté du droit des victimes, il faut mettre fin au mythe de l’esprit de vengeance de celles-ci. Par ailleurs, l’argent n’est pas pour elles une priorité, ce qui les anime est le souci de la vérité. Le recours au juge d’instruction est le seul gage de confiance. 

Claude GUIBERT constate qu’il n’existe guère de réponse à la question qui est au centre du débat, sauf à envisager la piste d’une médiation pénale. Il invite le public à formuler ses questions. Le rapport du BEA est alors à nouveau abordé, lorsque l’on connaît les causes on connaît les responsables soutient un avocat présent dans la salle. Le problème reste toutefois l’absence de contradictoire.
Le docteur Mario O. FOLCHI, Président de l’Associacion Latino Americana de Derecho Aeronautico y Espacial (ALADA) signale qu’en Amérique latine chaque pays possède un système judiciaire différent ce qui rend la dépénalisation très difficile.
La question d’une chambre spécialisée pour les accidents aériens est posée avant que Claude GUIBERT s’interroge sur l’éventualité d’un procès devant le tribunal de commerce. Le Professeur DELEBECQUE effectue un parallèle avec le droit maritime et évoque l’affaire de l’Erika qui était une affaire civile laquelle a été pénalisée sans tenir compte du droit conventionnel international (Crim., 25 sept. 2012, comm. E. Desfougères, JAC n° 127) il invite à la relecture du rapport du CERDACC. 

Les discussions perdurent après la fin de la réunion, preuve de la pertinence et de l’actualité du sujet. 

N.B. Les références (en bleu) ont été ajoutées par l’auteur du compte-rendu.

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