
Discussion, en application de l’article 34-1 de la Constitution, de la proposition de résolution de M. Bernard Accoyer visant au maintien des classes bilangues pour l’apprentissage de l’allemand (No 2796).
Intervention dans la discussion générale de M. François ROCHEBLOINE, Député de la Loire, Porte-parole de l’UDI
M. François Rochebloine. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les liens singuliers et profonds qui unissent les peuples français et allemand sont, je le crois, l’essence même de l’Europe.
En tout état de cause, ils traduisent une conviction commune, exprimée, cinq années seulement après la capitulation sans conditions de l’Allemagne, par Jean Monnet et Robert Schuman : l’unité des nations européennes exige qu’il soit mis fin à l’antagonisme séculaire entre la France et l’Allemagne.
Ils disent également l’ardente volonté de la France et de l’Allemagne de faire de leur histoire commune une œuvre de paix, une paix construite sur les cendres de la Seconde guerre mondiale. La guerre ayant laissé nos nations orphelines de leur jeunesse, il apparaissait vital que la paix soit scellée en son nom, qu’elle devienne son héritage le plus précieux.

Le 22 janvier 1963, lors de la signature du traité de l’Elysée qui plaçait l’éducation et la jeunesse au cœur de nos relations avec l’Allemagne, Charles de Gaulle et Konrad Adenauer se sont fait la promesse d’une jeunesse unie par la fraternité.
Aux termes de ce traité, la force de cette fraternité résidait notamment dans la connaissance, dans chacun des deux pays, de la langue de l’autre, comme l’a encore rappelé très récemment la chancelière allemande. L’intuition des dirigeants français et allemands était juste. N’est-il pas vrai qu’à travers la langue se révèle l’âme du peuple devenu frère, avec lequel tout devient possible : renouer des liens, les entretenir et ainsi construire la paix, une paix durable ?
Le traité de l’Elysée a ainsi constitué le point de départ d’une politique volontariste d’apprentissage de l’allemand dans nos écoles et du français dans les écoles allemandes ; une politique, madame la ministre, dont la constance n’a fait que se renforcer depuis cinquante-deux ans et qui a créé les conditions d’une compréhension mutuelle.
Sous l’égide de l’Office franco-allemand pour la jeunesse – OFAJ –, 8,2 millions de jeunes Français et Allemands ont ainsi participé à 300 000 programmes d’échanges favorisant l’apprentissage des langues et permettant de renforcer nos liens culturels avec l’Allemagne.
Dans la même perspective, la création de l’AbiBac, qui permet la délivrance simultanée du baccalauréat français et de l’Abitur, la création des sections européennes et des classes bilangues, ont constitué autant de démonstrations manifestes de cette volonté partagée de favoriser l’apprentissage de la langue du partenaire.
Les classes bilangues, dont notre assemblée est amenée à débattre aujourd’hui, ont joué un rôle déterminant pour stabiliser le nombre d’élèves apprenant l’allemand en France, alors même que cet enseignement connaissait un net recul durant les années précédant leur création. Elles ont même permis de faire passer le pourcentage de collégiens apprenant l’allemand de 5,5 % en 2004 à 16 % en 2015, madame la ministre.
Ainsi que vous l’a fait remarquer l’ancien Premier ministre Jean-Marc Ayrault, ce sont les classes bilangues qui ont permis à l’allemand de demeurer la troisième langue vivante enseignée en France.
M. Alain Leboeuf. Et c’est un spécialiste !
M. François Rochebloine. Au mépris de cette réussite éprouvée, la réforme du collège adoptée à la hussarde par le Gouvernement bouleverse le fonctionnement des classes bilangues. Si celles qui permettent de commencer l’anglais en sixième, parallèlement à l’apprentissage d’une autre langue, continueront d’exister, un élève ayant commencé à apprendre l’anglais en primaire devra en revanche attendre la classe de cinquième pour envisager l’apprentissage d’une deuxième langue vivante, ce qui a pour conséquence de supprimer un certain nombre de classes, et plus particulièrement celles qui privilégiaient l’allemand dès la primaire.
Madame la ministre, la mise en œuvre de votre projet de réforme du collège, prévue pour 2016, fera chuter le nombre d’élèves dans les classes d’allemand : ce ne seront plus 15% comme aujourd’hui, mais seulement 5% des élèves qui apprendront l’allemand ! C’est pourquoi nous considérons que cette réforme constitue un signal extrêmement négatif quant à la volonté des autorités françaises de privilégier l’enseignement de la langue allemande.
Pourtant, le Gouvernement s’apprête bel et bien à sacrifier les classes bilangues sur l’autel de l’égalitarisme parce qu’il juge l’enseignement de l’allemand trop élitiste. Lourde erreur, madame la ministre !
C’est une erreur au regard de la vocation de l’école républicaine, qui vise l’excellence pour tous les élèves qu’elle accueille sur ses bancs et récompense le travail et le mérite.
C’est une erreur également sur la réalité même de ces classes bilangues. Ne savez-vous pas, madame la ministre, que leurs élèves sont recrutés sans sélection, sur le seul fondement de leur motivation ? Ne voyez-vous pas, madame la ministre, que les classes bilangues enregistrent l’inscription d’enfants de catégories sociales moyennes ou favorisées dans les collèges des zones urbaines sensibles et qu’elles participent ainsi à la mixité sociale de l’établissement et favorisent un effet d’entraînement positif au sein des classes ?
En affaiblissant les classes bilangues, vous allez inciter des parents à envoyer leurs enfants dans le privé : quel sera le gain pour l’enseignement public ?
Surtout, en fragilisant cet apprentissage, vous vous rendez coupables de quatre fautes majeures.
En affaiblissant l’apprentissage de la langue allemande, vous enclenchez un processus d’éloignement de nos deux jeunesses et de nos deux pays. Songez-y : n’existe-t-il pas un risque quasi certain que les contacts entre les jeunes Français et les jeunes Allemands se distendent et que leurs échanges finissent par s’éteindre si l’apprentissage de la langue n’existe plus pour les encourager ? Or, au-delà de l’apprentissage de la langue, ces échanges permettent la compréhension de l’autre et renouvellent le ciment de l’amitié entre nos deux peuples.
En affaiblissant l’apprentissage de la langue allemande, vous mettez à mal la diversité culturelle européenne, qui ne peut s’exprimer que grâce à la connaissance réciproque de nos deux langues. Que deviendront les filières universitaires intégrées franco-allemandes qui font vivre la culture européenne ? Que deviendront les échanges culturels entre la France et l’Allemagne ?
En affaiblissant l’apprentissage de la langue allemande, vous semblez oublier que 17 % de nos échanges commerciaux se font avec l’Allemagne, avec qui la France entretient également des relations denses dans le domaine de la coopération culturelle, scolaire, scientifique et technique.
L’Allemagne est en effet notre principal partenaire et forme avec la France le moteur de l’Europe. Vous n’avez pas le droit de fragiliser cette relation si essentielle à l’avenir de l’Europe, à un moment où la jeunesse européenne a le sentiment d’être laissée pour compte, où elle se réfugie dans l’indifférence ou la défiance et où, en proie à la désespérance, elle est désormais tentée par le rejet de l’Europe prôné par les extrémistes.
Enfin, en affaiblissant l’apprentissage de la langue allemande, vous allez favoriser le recul de l’apprentissage de la langue française en Allemagne alors qu’elle demeure aujourd’hui encore la deuxième langue vivante parlée outre-Rhin.
Oui, madame la ministre – voir que cela vous fait sourire me surprend et m’attriste –, le groupe UDI affirme avec force qu’en défendant l’allemand, vous défendriez le français.
Votre réforme ne fera que contribuer à la perte de terrain du français en Allemagne, alors même que la concurrence de l’espagnol comme seconde langue dans les filières professionnelles est de plus en plus rude.
Madame la ministre, ce débat revêt une importance toute particulière pour notre groupe, dont les membres sont les héritiers obligés de l’esprit européen, incarné dès les années 50 par les pères fondateurs, Robert Schuman et Jean Monnet, et dans un second temps par le président Valéry Giscard d’Estaing ou encore Simone Veil.
L’éducation doit être au cœur de tout projet politique, et la manière dont vos réformes conçoivent l’éducation révèle malheureusement une approche dogmatique, en rupture avec notre modèle républicain.
Nous ne pouvons accepter que ces classes bilangues soient fragilisées, pas plus que nous ne pouvons nous résoudre à admettre la suppression de tout parcours d’excellence. En imposant une interdisciplinarité floue, soumise aux modes et à l’esprit du temps, comme le fait votre réforme, on ouvre la porte à cet égalitarisme qui ne pourra qu’amener le nivellement par le bas et l’abandon d’un projet républicain pour l’école.
M. Alain Leboeuf. Très juste !
M. François Rochebloine. Nous pensons au contraire, comme les auteurs de cette proposition de résolution, au premier chef desquels Bernard Accoyer, qu’il est de votre devoir de conforter ces classes.
Nous soutenons sans réserve le texte qui nous est soumis ce matin parce que nous sommes convaincus qu’il est impératif de consolider un enseignement vital pour l’éducation de nos enfants, parce que de cette ambition dépend, en réalité, l’avenir de l’Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants, du groupe Les Républicains et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)
M. Pierre-Yves Le Borgn’. Très bien !
(…/…)
Explications de vote
M. François Rochebloine. Je serai très bref, car je crois avoir suffisamment démontré dans la discussion générale que le groupe UDI était favorable à cette proposition de résolution.
Il faut parler en connaissance de cause. Je vous rappellerai très simplement, madame la ministre, les propos de l’ancien premier ministre, M. Jean-Marc Ayrault, qui est lui-même agrégé d’allemand…
M. Bernard Accoyer. Non, il n’est pas agrégé !
M. Claude Goasguen. Il est professeur d’allemand certifié !
M. François Rochebloine. …et qui a condamné la suppression de ces classes bilangues. Cela vous fait sourire, madame la ministre, et je le regrette. Prenez en compte l’avis des praticiens, de ceux qui ont de l’expérience en ce domaine ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Vous avez cité des pourcentages. Mais comme vient de le souligner notre collègue du groupe Les Républicains, ce pourcentage ne correspond, en valeur absolue, qu’à deux postes. Il faut parler en nombre de postes, et non en pourcentages ! Pour ma part, je n’ai pas du tout les mêmes pourcentages. J’aimerais donc que vous puissiez confirmer vos chiffres et citer vos sources – vous savez que l’on peut faire dire aux chiffres beaucoup de choses,…
M. Michel Ménard. Vous êtes un expert !
M. François Rochebloine. …selon que l’on parle en pourcentages ou en nombre de postes.
Le groupe UDI votera avec beaucoup d’enthousiasme cette excellente proposition de résolution, que soutiennent d’ailleurs tous les professeurs d’allemand, lesquels sont très défavorables à votre réforme, comme vous le savez très bien, madame la ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
(…/…)
Vote sur la proposition de résolution
M. le président. Je mets aux voix la proposition de résolution.
(Il est procédé au scrutin.)
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 64
Nombre de suffrages exprimés 64
Majorité absolue 33
Pour l’adoption 25
contre 39
(La proposition de résolution n’est pas adoptée.)
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