Quand les ( gaullistes ?) refont l’histoire

J’ai écrit il y a quelques semaines un billet intitulé « de Gaulle un alibi« .dans lequel je denonce le fait que des gens, s’appuient sur le général de Gaulle pour faire passer des idées fausses . En quelque sorte le Général leur sert d’alibi. Le problème est que à force de trop vouloir en faire où trop en dire, on finit par dire n’importe quoi, à trop vouloir démontrer on ne démontre plus rien et tout ça amène à dire des contre vérités, à refaire l’histoire. Voici ce que l’on peut trouver sur le blog du porte parole de Debout la République et sur gaulliste.fr

« En 1968, du fait des accords de Grenelle, qui avaient relancé l’inflation, les marchés poussaient la France à dévaluer le franc. Le Général de Gaulle qui n’acceptait pas que la corbeille ait une quelconque influence sur la politique de la France refusa. Et la simple expression de son refus suffit à faire stopper la spéculation. Ainsi, la France put dévaluer à froid, quelques mois plus tard. »

L’auteur de l’article est le porte parole de Debout la République le parti de Dupont-Aignan monsieur Laurent Pinsolle et cet article a été repris sur le blog de Gaulle.fr .

Cette assertion n’est pas argumentée et pour cause, elle est fausse. Le problème est que comme d’autres, l’auteur de ces lignes est obsédé par Nicolas Sarkozy et qu’il veut toujours mettre en balance ce que fait le président de la République et ce qu’aurait fait (d’après lui) de Gaulle. On image bien la finalité de ses propos, point n’est besoin d’en dire plus . Quand les faits sont avérés cela ne pose pas de problème, mais quand on remodèle l’histoire, alors là ça ne va plus. Il y a des sujets que je ne maîtrise pas, aussi, j’évite de trop m’y engager et si je le fais c’est dans les grandes lignes et surtout sans m’engager dans des affirmations qui pourraient être infirmées. Ici le propos de l’article est clair, il fait deux affirmations : la première est que de Gaulle ne voulait pas dévaluer et la seconde que l’expression de son refus suffit à faire stopper la spéculation. Les deux affirmations sont totalement fauses. Voici donc la véritable histoire qui a mené à la non dévaluation post soixante huit car le général de Gaulle voulait dévaluer et un homme a su le convaincre de ne pas le faire et seul contre tous, c’est Jean Marcel Jeanneney.

A l’époque, de Gaulle n’est lui même pas persuadé que le maintien de la parité est une bonne chose. Autour de lui il consulte tous les spécialistes de la finance sauf Georges Pompidou qui pourtant depuis plus de dix ans était son conseil pour les affaires financières. Le 13 novembre 1968 et alors que tout montre que la dévaluation paraît inévitable de Gaulle reçoit un courrier de Jacques Rueff dans laquelle il rend compte de toutes les erreurs commises depuis les accords de Grenelle. Rueff termine sa lettre par cette phrase « je suis désolé de vous attrister« . De Gaulle reconnaît que la dévaluation est nécessaires car elle est le prix à payer pour les erreurs commises en mai et non le fait des spéculateurs. On comprend alors pourquoi il n’a pas consulté Pompidou car devant son parterre de collaborateurs il impute cette dévaluation obligatoire à une « trahison » sans citer le nom de Pompidou. Ensuite le chef de l’Etat reçoit une délegation de parlementaires et leur avoue sans embages que  » les suites de la crise de mai sont plus importantes que prévu« 

De Gaulle est meurtri car il se trouve contraint de reculer, ce qu’il n’a jamais fait, il va devoir dévaluer car tout son entourage sans exception pense que c’est la seule issue possible. Le Premier ministre convoque Edgar Faure et lui annonce que la France va devoir dévaluer sa monnaie. La décision étant prise et acceptée par de Gaulle, Ortoli se rend en Allemagne rencontrer le ministre des finances afin de connaître ses intentions sur le mark et faire une demande de crédit. De plus il voulait coupler la dévaluation du franc avec une réévaluation du mark, ce que les allemands vont refuser.

Ortoli rend compte à de Gaulle dés son retour le 22 novembre. Le Général l’écoute sans dire un mot puis le remercie. Couve de Murville se prononce encore pour une dévaluation sans en préciser le montant, Michel Debré propose 25%. Les allemands font savoir qu’ils accepteraient une dévaluation de 12% ce qui surprend les autorités françaises qui estiment que ce ne sera pas suffisant. La décision de dévaluer étant acquise le montant en sera déterminé au cours d’un conseil des ministres extraordinaire que de Gaulle convoque pour le lendemain.

C’est alors que va se produire le grain de sable qui va gripper la machine à dévaluer. Alors qu’il erre dans les couloirs de l’Assemblée nationale, Couve de Murvile rencontre Jeanneney, un homme qui ne fait pas partie et loin s’en faut du premier cercle. Les deux hommes sont seuls et Couve de Murville informe son interlocuteur que la décision a été prise de dévaluer. Jeanneney appelle Tricot (secrétaire général de l’Elysée) et l’informe qu’il veut être reçu par le Général. Le rendez vous est pris mais avant de s’y rendre Jeanneney voit Couve de Murville et lui dit qu’il va rencontrer de Gaulle et le supplier de ne pas dévaluer car ce serait un aveu de défaite. Couve de Murville lui répond que ce n’est pas utile car le principe de dévaluer est acquis et accepté par de Gaulle. Ne reste plus que le taux de dévaluation à fixer.

Jeanneney a alors le coup de génie de téléphoner à Raymond Barre alors vice président français de la commission européenne et lui tient ces propos » Au cas où la France ne dévaluerait pas , les banques européennes lui consentiraient-elles quand même des crédits« . Barre répond qu’il croit que oui, mais que néanmoins il va consulter le gouverneur de la banque de Belgique; Celui-ci est absent. C’est alors que Jeanneney rappelle Barre , l’informe qu’il se rend à l’Elysée et lui pris de lui faire parvenir la réponse s’il en a une par l’intermédiaire de Tricot.

Reçu par le Général, Jeanneny est très direct  » ne dévaluez pas mon Général ». De Gaulle répond « vous êtes le seul à me dire que c’est possible« . Le Général lui dit alors que c’est trop tard, qu’il a accepté la dévaluation et qu’il ne peut pas se renier, pas lui de Gaulle. Néanmoins le Général souhaite entendre les arguments de Jeanneney. Il l’écoute, Jeanneney développe les conséquences d’une dévaluation mais de Gaulle les connaît déjà.

Jeanneney n’arrive pas à persuader un de Gaulle désabusé pour qui dévaluation ou pas ne changera rien au fait que la France et les français sont moroses. C’est alors qu’un huissier entre dans la salle porteur d’un message. C’est la réponse de Raymond Barre. Les banques européennes acceptent de prêter de l’argent à la France même si elle ne dévalue pas. De Gaulle prend note du message et met fin à l’entretien. Il invite Jeanneney à participer au conseil des ministres extraordinaire de l’après-midi.

En cette après-midi tout le monde connaît le choix qu’a fait de Gaulle et qui est celui de dévaluer , les ministres , les journaux du soir qui titrent sur la dévaluationdu franc, il y a en même qui donnent le taux. Et pourtant…

Le conseil des ministres débute. La parole est donnée en premier à Jeanneney contrairement au protocole habituel. Il s’explique et ressort tous les arguments qu’il a donné le matin même au Général puis on passe au tour de table. Seulement trois ministres vont se prononcer pour la dévaluation : Raymond Marcellin, Albin Chalandon et Jacques Chirac. le jeux sont faits; le Général se lève et annonce que le franc ne sera pas dévalué. Fin du Conseil.

Mais le Général ne peut se conduire comme quelqu’un qui subit les événements. Il va donc essayer de renverser la vapeur en sa faveur  en faisant une allocution  à la  radio le 24 novembre 1968 prononcée depuis l’Elysée, et au cours de laquelle il va s’en prendre à la spéculation. Il commence son allocution par reconnaître que la France traverse une crise monnétaire mais il va l’attribuer à la spéculation.  A aucun moment dans son discours il ne fait, ne serait ce qu’un instant, allusion aux erreurs commises qu’il a pourtant reconnues devant ses collaborateurs.  Mais à ce moment, de Gaulle fait de la politique et rien que de la politique . (1)

Mais au fond de lui, de Gaulle n’est pas dupe, il a simplement sauver les apparences, il est amer. Il reçoit dés le lendemain Joël le Theule et lui dit avec tristesse que la France est seule abandonnée de tous y compris de l’Allemagne qu’il a pourtant lui, le général de Gaulle, réhabillitée. Il aura alors cette phrase terrible envers l’Allemagne  » Vous voyez le Theule , les Boches seront toujours les Boches. Plats lorsqu’ils sont vaincus et arrogants dés qu’ils se sentent fort« . Il est à noter que entre 1959 et 1969, le Franc été déprécié de 25,7% par rapport au mark.

Voilà la véritable Histoire. Que cela plaise ou non, de Gaulle a accepté une dévaluation, et il a du se résoudre a accepté que la France soit aidée par la banque européenne. Il n’a jamais mis en question une quelconque spéculation, Il a eu l’honnêté de reconnaître que ce sont les erreurs commises qui ont amené cette situation. Si l’un des deux hommes Couve de Murville ou Jeanneney n’avait pas été dans les couloirs de l’Assemblée le même jour et à la même heure, la France de de Gaulle procédait à une dévaluation.

Il a donc fallu un coup du destin, une rencontre fortuite entre deux hommes, pour que cette dévaluation ne se fasse pas et pour une fois le destin ce n’était lui de Gaulle.

En décembre 1968 le Général reçoit tricot et lui tient ses propos que je cite  » Le monde aurait compris que la France était obligé de payer la facture de mai. On aurait dévalué de 7% ou 8%, et notre crédit n’eût pas été entamé« . En effet le Général avait raison, le crédit de la France était entamé et c’est la raison pour laquelle la dévaluation était inéluctable. Et c’est là que l’auteur de l’article commet une seconde erreur en écrivant  » Et la simple expression de son refus suffit à faire stopper la spéculation« . Cela n’a pas suffit et le Général en est conscient. En effet tous les experts annoncent une nouvelle crise monétaire et, cette fois ci la dévaluation ne pourra être évitée. Contrairement à ce qu’affirme Laurent Pinsolle la spéculation a repris; la barre d’or est passée brutalement de 7300 F à 7700 F. Les commerçants s’agitent. Le 11 mars 1969 une nouvelle gréve générale est lancée.

Finalement la dévaluation écartée en novembre 1968 aura lieu neuf mois plus tard, en août 1969, quelques semaines après l’élection de Georges Pompidou. Elle était inéluctable  à en juger par l’épuisement rapide des réserves de change accumulées en neuf ans depuis 1958, qui ont presque totalement fondu en un an.

Encore une fois, l’histoire est ce qu’elle est, et elle ne se refait pas. L’anti sarkozysme ne justifie en aucun cas d’adapter l’histoire. J’avais écrit au sujet de Emmannuel Todd et de Frédéric Lordon que ce que leur reproche essentiellement, et c’est ce qui me déplait en eux, c’est de ne pas fonder leur argumentation et leurs critiques à partir de faits incontestables mais seulement à partir de convictions qu’ils se refusent à remettre en cause c’est à dire à partir d’une idéologie et c’est au nom de cette idéologie, au non de ce refus de se remettre en cause, que l’on refait l’histoire. Je ne suis pas surpris que les disciples suivent la pensée de leur maître. Hier, j’ai fait un peu le tour des blogs et je me suis régalé en lisant Malakine, proche de L Pinsolle, dire aujourd’hui la même chose au sujet de E Todd je cite » Il a une fâcheuse tendance à écarter la réalité quand elle ne correspond pas avec sa théorie« . Ce n’est ni plus ni moins que ce que je dis et que j’ai écrit il y a plusieurs mois déjà.

Ce qui me gêne le plus c’est que cette façon de refaire l’histoire est relayée par le porte parole de Nicolas Dupont-Aignan qui se veut le plus gaulliste des gaullistes. Quel crédit accorder à Debout la République alors que ce parti prétend précisément crédibiliser la politique ? L’anti sarkoysme, on s’en aperçoit tous les jours amènent leurs auteurs à perdre leurs repères, à dire tout et n’importe quoi pouvu que cela serve leurs desseins. La politique ce n’est pas ça. Finalement DLR  n’est pas différent de ceux qu’il critique, mais ça je le savais, je voulais simplement en apporter la démonstration.

(1) j’ai cherché le discours du 24 novembre 1968 sur internet pour le mettre en lien, mais je ne l’ai pas trouvé. Pour ceux qui possédent  la série ‘discours et message » cette allocution figure dans le tome 5 intitulé « vers le terme  » à la page 354. 

PS : Par courtoisie,  j’ai avisé l’auteur de l’article que j’allais lui répondre sur ce blog.

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