PROTHESES MAMMAIRES PIP : LA VALIDITE DU CONTRAT D’ASSURANCE CONFIRMEE EN APPEL Commentaire de l’arrêt de la cour d’appel d’Aix en Provence, du 22 janvier 2015, n° 2015/21
Steinlé-Feuerbach Marie-France
Professeur émérite en Droit privé et Sciences criminelles à l’UHA
Directeur honoraire du CERDACC
C’est sans surprise pour les spécialistes de l’assurance que la cour d’appel d’Aix en Provence confirme le jugement rendu, le 14 juin 2012, par le tribunal de commerce de Toulon dans l’affaire opposant la SA ALLIANZ IARD au liquidateur judiciaire de la SA Poly Implant Prothèses (PIP), à trois distributeurs étrangers de PIP, ainsi qu’à plusieurs victimes.
Mots clés :
Aléa – Assurance – Contrats successifs – Fausse déclaration intentionnelle – Questionnaire – Validité – Vices du consentement – Plafond de garantie
L’affaire des prothèses mammaires PIP, remplies d’un gel « maison » différent de celui qui avait obtenu la certification, a été largement médiatisée et plusieurs juridictions ont déjà eu à en connaître. Le volet assurantiel a fait l’objet de deux décisions, celle confirmée par l’arrêt de la cour d’Aix en Provence ainsi qu’une autre rendue le 18 juin 2012 par le tribunal de grande instance de Lyon[1] se prononçant également pour la validité du contrat d’assurance[2]. Le tribunal de commerce de Toulon a aussi eu à statuer sur la responsabilité des sociétés certificatrices[3]. Ces décisions doivent être mises en perspective avec celle du tribunal correctionnel de Marseille, en date du 10 décembre 2013, condamnant les dirigeants et cadres de la société PIP pour tromperie aggravée ou complicité de tromperie aggravée.
Ces condamnations pénales ne dispensent pas l’assureur de délivrer sa garantie, et c’est à une véritable leçon de droit des assurances que se livre la cour d’appel d’Aix en Provence en reconnaissant la validité du contrat (I) pour en tirer tous ses effets (II).
I) La validité du contrat d’assurance
Plusieurs contrats successifs ont été conclus entre PIP et AGF entre 2005 et 2009. Sans revenir sur ces contrats que la société AGF a été contrainte de conclure suite à une décision du bureau central de tarification (B.C.T.) dans le cadre de l’obligation d’assurance de responsabilité civile de fabricants de « Dispositifs médicaux (DM)» de classe III, édictée par la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002[4], il convient de préciser que les questionnaires relatifs à ces contrats AGF avaient été élaborés par le B.C.T. et non par l’assureur.
Le contrat d’assurance en cause ici est celui conclu entre ALLIANZ, qui avait absorbé AGF en 2009, et PIP pour la période allant du 17 février 2010 au 16 février 2011[5]. La cour d’appel confirme la validité de ce dernier contrat, tant sur le fondement du droit spécial des assurances (A), que sur celui du droit commun des contrats (B).
A) La validité du contrat sur le fondement du droit des assurances
La question qui se posait était celle de la fausse déclaration intentionnelle de PIP lors de la conclusion du contrat d’assurance avec ALLIANZ. L’article L. 113-8 du code des assurances sanctionne la fausse déclaration intentionnelle de l’assuré par la nullité du contrat, même si cette déclaration n’a eu aucune influence sur le sinistre. Encore faut-il qu’il y ait effectivement eu une déclaration, c’est-à-dire une réponse au questionnaire fourni par l’assureur au sens de l’article L. 113-2 du code des assureurs. Plusieurs arrêts avaient été rendus sur ce point avant la décision de première instance[6], la réponse étant définitivement apportée par la Chambre mixte dans un arrêt du 7 février 2014 qui n’a pas échappé à la cour d’appel[7].
Il ne fait donc plus de doute que la fausse déclaration intentionnelle ne peut être établie par l’assureur que si celle-ci résulte des réponses volontairement erronées aux questions qu’il a lui-même posées, notamment dans le questionnaire qu’il a l’obligation de soumettre au futur assuré. Cette solution a encore été confirmée par la deuxième chambre civile[8].
Donc, sans questionnaire il ne saurait y avoir de nullité pour fausse déclaration intentionnelle. Or, ALLIANZ n’est pas en mesure de fournir ce fameux questionnaire pour le contrat conclu pour la période du 17 février 2010 au 16 février 2011. L’assureur essaie par tous les moyens de « se raccrocher » aux questionnaires du B.C.T. sur lesquels ont été conclus les divers contrats précédents avec AGF, mais la manoeuvre échoue, la cour d’appel confirmant l’autonomie du contrat ALLIANZ par rapport aux différents contrats AGF antérieurs.
Ainsi, aucune nullité ne peut être prononcée sur le fondement du droit des assurances et ceci indépendamment de la bonne ou mauvaise foi de PIP lors de la conclusion des contrats AGF. Il en est de même pour une éventuelle aggravation du risque en cours de contrat : « L’assureur, en raison de l’absence de questionnaire pour ce contrat totalement indépendant par rapport aux polices antérieures, ne peut invoquer une quelconque aggravation du risque au cours de la période contractuelle. »
L’oubli du questionnaire oblige ALLIANZ à tenter sa chance du côté du droit commun des contrats.
B) La validité du contrat sur le fondement du droit commun
ALLIANZ joue sur toute la gamme des possibilités offertes par le droit commun : défaut d’aléa, vice du consentement, illicéité de la cause.
1) Le contrat n’est pas dépourvu d’aléa
Selon l’article 1964 du code civil « Le contrat aléatoire est une convention réciproque dont les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l’une ou plusieurs d’entre elles, dépendent d’un événement incertain. Tels sont :
Le contrat d’assurance, Le jeu et le pari, Le contrat de rente viagère. » Pour l’assureur, le remplacement du gel certifié par le gel PIP aurait fait disparaître l’aléa. ALLIANZ invoque le fait que le ministère de la Santé avait recommandé aux femmes ayant reçu des prothèses PIP de procéder à une explantation à titre préventif. Cet argument ne pouvait prospérer dès lors qu’aucune étude n’avait conclu à une nocivité particulière des implants, seuls le risque précoce de rupture des implants et le caractère inflammatoire du gel étant avérés. De plus, l’assureur n’apporte nullement la preuve d’une volonté délibérée du producteur de mettre sur le marché des prothèses avec un risque de rupture, dangereuses pour les utilisatrices. Or, selon la Cour de cassation, l’aléa existe lorsqu’aucun des professionnels intervenus n’avait, avant l’apparition de dommages, « appréhendé le risque, dans sa nature et dans son ampleur »[9], ce qui est bien le cas en l’espèce. La cour d’appel estime par conséquent que « le risque n’étant pas réalisé, l’assureur ne peut invoquer les dispositions de l’article 1964 du code civil. »
2) L’absence de vices du consentement
Comme tout contrat, celui d’assurance est soumis aux règles de validité du droit commun et le consentement des parties doit être exempt de vices au sens de l’article 1109 du code civil. Si rien n’interdit à une des parties de demander la nullité du contrat pour erreur ou dol, le droit spécial de l’assurance s’impose lorsque l’assureur prétend avoir été victime d’une fausse représentation du risque[10], ce qui renvoie au questionnaire. La Cour de cassation a déjà jugé que l’assureur, qui, conformément aux dispositions de l’article L. 113-2 du code des assurances, n’a pas posé à l’assuré de questions qui l’aurait amené à apprécier le risque « n’est pas fondé à se prévaloir d’une réticence ou de fausse déclaration (…) ; que faire droit à cette argumentation reviendrait à vider l’article L. 113-2 du code des assurances de sa substance »[11]. La cour d’appel d’Aix en Provence y fait expressément référence pour refuser la nullité du contrat pour vice du consentement « car il serait contradictoire d’exiger de l’assureur qu’il pose une question devant conduire l’assuré à lui déclarer les risques qu’il doit garantir, et dans le même temps de retenir que l’assuré devait nécessairement déclarer ces dits risques ». Le droit spécial de l’assurance, plus favorable à l’assuré quant à la déclaration des risques, prime sur le droit commun.
3) La cause du contrat n’est pas illicite
En soutenant que la cause est illicite au regard des articles 1131 et 1133 du code civil du fait de l’absence de certification du gel PIP, ALLIANZ se trompe de fondement. Non seulement, ainsi que le rappelle, la cour cette absence de certification ne rentre pas les causes illicites de l’article 1133, mais de plus le contrat a bien une cause valable, qu’elle soit objective ou subjective[12].
La cour a bien démontré que la validité du contrat d’assurance conclu entre les sociétés PIP et ALLIANZ est incontestable, il lui restait encore à en analyser les effets.
II) Les effets du contrat d’assurance
La cour d’Aix en Provence se réfère au contrat souscrit pour en tirer les conséquences. Après s’être prononcée sur l’inapplication de la clause d’exclusion (A) elle se prononce sur l’étendue de la garantie (B).
A) L’inefficacité de la clause d’exclusion
L’article L 113-1 du code des assurances dispose que « Les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police ». Les clauses d’exclusion sont donc valables, sous réserve qu’elles soient rédigées en caractères très apparents et qu’elles soient formelles et limitées. En l’espèce, aux termes des conditions générales du contrat, sont notamment exclus « les dommages résultant d’une violation délibérée de votre part (ou de la part de la direction de l’entreprise lorsqu’il s’agit d’une personne morale : – des dispositions légales ou réglementaires applicables à la profession…) des règlements définis par la profession… ». La cour émet avec raison des doutes quant au caractère formel et limité de cette clause dont la précision fait défaut car l’assuré n’est guère en mesure de connaître très exactement les cas dans lesquels il ne sera pas garanti.
Au-delà même de la question de validité de la clause, la société d’assurance n’établissait pas que son assuré avait délibérément violé l’article R. 5211-12 du code de la santé publique exigeant un marquage CE dès lors que l’assuré ignorait que la commercialisation des prothèses avec un gel non homologué pouvait entraîner des explantations.
B) L’étendue de la garantie
La cour d’appel a encore à se prononcer sur les bénéficiaires de la garantie, et le plafond de celle-ci.
1) Les bénéficiaires de la garantie
L’assureur garantit les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile encourue « en raison des dommages corporels, matériels, immatériels ou non causés à autrui y compris à vos clients, à l’occasion des activités de votre entreprise… ». La cour examine le cas des distributeurs, puis celui des patientes.
Après avoir affirmé que les trois distributeurs étrangers, clients de PIP, peuvent bénéficier des dispositions contractuelles, la cour estime que le fait dommageable, c’est-à-dire la cause génératrice du dommage au sens de l’article L. 124-1-1 du code des assurances, n’est pas le processus de fabrication, que les défauts ne se sont révélés que plus tard et que le fait dommageable est survenu, non sur le site de fabrication, mais dans les lieux où les prothèses étaient portées, stockées ou implantées. Dès lors, la cour considère que les distributeurs ne peuvent obtenir la garantie d’ALLIANZ.
L’affaire PIP illustre bien l’hypothèse compliquée dans laquelle plusieurs faits sont à l’origine du dommage qui ne survient que par la suite et ne se révèle qu’encore plus tard à la victime, laquelle attend alors un certain temps avant d’en demander réparation. La réponse de la cour aux distributeurs peut dès lors paraître un peu trop rapide au regard des divergences quant à la notion même de fait générateur et l’affirmation selon laquelle « le fait générateur est la rupture des coiffes » mérite discussion.
La cour cite aussi la disposition du contrat selon laquelle « la garantie s’exerce en France métropolitaine et dans les DOM ». Il est permis de s’interroger sur le point de savoir si le refus de la garantie opposé aux distributeurs étrangers n’est pas davantage lié au champ d’application territorial de la garantie qu’au lieu du fait générateur, celui-ci nous semblant bien être les locaux de fabrication.
C’est en raison du lieu d’implantation de leurs prothèses que certaines patientes se voient refuser la garantie de l’assureur. En définitive, la cour fait droit aux demandes des patientes, mêmes étrangères, implantées en France, contrairement aux demanderesses non opérées sur le territoire français.
2) Le plafond de garantie
S’agissant du plafond de garantie la situation est claire, il est de 3.000.000 euros pour toutes les réclamations résultant de faits dommageables ayant la même cause technique, et de 10.000.000 euros par année d’assurance, toutes réclamations confondues. Le contrat ayant été conclu en base réclamation, c’est à juste titre qu’ALLIANZ soutient que le plafond est de 3.000.000 euros puisque toutes les réclamations sont relatives à la même cause technique, à savoir un défaut dans le processus de fabrication des prothèses[13]. Dès lors que la première réclamation est intervenue dans l’année de validité du contrat, les réclamations suivantes, et cela pendant les cinq années suivant cette période, sont couvertes par le contrat mais seulement jusqu’au plafond de 3.000.000 euros[14].
ALLIANZ n’aura donc pas obtenu gain de cause devant la cour d’appel d’Aix en Provence quant à sa demande de nullité du contrat. Néanmoins, le champ d’application territorial ainsi que le plafond de garantie, limitent l’engagement de l’assureur.
[1] 4ème Ch. N° RG 11/01149
[2] Cf. Marie-France Steinlé-Feuerbach, « Assurance de responsabilité civile des entreprises : portée du questionnaire », D. 2012, 2022 ; « Prothèses mammaires : l’assureur en responsabilité civile du fabricant doit sa garantie », Riseo 2012-3
[3] 14 novembre 2013, comm. Marie-France Steinlé-Feuerbach, JAC n° 139, déc. 2013
[4] art. L. 1142-2 du code de la santé publique
[5] pour davantage de précisions : cf. « Prothèses mammaires : l’assureur en responsabilité civile du fabricant doit sa garantie », Riseo 2012-3, loc. cit.
[6] Crim. 10 janvier 2012, n° 11-81.647 ; Civ. 2ème, 8 mars 2012, n° 11-10857 ; Civ. 2ème, 12 avril 2012, n° 11-30075, A. Astegiano-La Rizza, « La déclaration initiale des risques par le souscripteur », D. 2012, p. 1753 ; H. Groutel, « Modalités de la déclaration du risque : à quand une chambre mixte ? », RCA 2012, Repère 6
[7] Ch. Mixte, 7 février 2014, n° 12-85.107, Dalloz actualité, 27 févr. 2014, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; D. 2014. 1074 , note A. Pélissier
[8] Civ. 2ème, 3 juillet 2014, n° 13-18. 760, Dalloz actualité, 17 juillet 2014, obs. T. de Ravel d’Esclapon
[9] Civ. 3ème, 16 mars 2011, n° 10-30189
[10] Lamy assurance 2014, n° 460
[11] Civ. 2ème, 3 juin 2010, n° 09-14.876
[12] J. Ghestin, Cause de l’engagement et validité du contrat, LGDJ, 2006
[13] sur la clause de réclamation : loi n° 2003-706 du 1er aout 2003 ; G. Barbier, « Les nouvelles dispositions légales encadrant l’application dans le temps des garanties d’assurance de responsabilité », JCP G 2003, 1237 ; A. Astegiano-La Rizza, « L’appréciation de la cause technique d’un sinistre sériel et autres questions (à propos de Cass. 2e civ., 7 févr. 2013, n° 11-24154), Actuassurance, http://actuassurance.free.fr/chroni046
[14] art. L. 124-5 du code des assurances
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