Alain Juppé, qui préside avec Michel Rocard la commission sur le grand emprunt, a donné il y a quelques jours, les perspectives d’action du grand emprunt pour la croissance de l’économie, alors que le Conseil des ministres devait étudier une version rectifiée du budget 2010, qui prend en compte l’impact de cet investissement de 35 milliards d’euros
La forme
Le lundi 14 décembre dernier, pour dévoiler à la fois les grandes lignes et ses arbitrages sur l’emprunt, le président de la République a choisi un exercice qu’il n’affectionne pas particulièrement : la conférence de presse, la deuxième de son quinquennat et ce, dans la très solennelle salle des fêtes de l’Élysée. On s’en doutait un peu, il a suivi les recommandations de la commision présidée par Alain Juppé et Michel Rocart dont il a salué les travaux. Au passage il s’est également adressé aux agences de notation et à la BCE en faisant part de sa volonté de redresser les finances publiques.
Le seul changement par rapport à ce qui était attendu c’est que cet emprunt servira à financer non plus sept, mais cinq prorités dites d’avenir : La recherche, l’enseignement supérieur, le développement durable, le numérique et l’industrie.
Le montant et la répartition
Les cinq priorités citées ci desus seront financées sur la base du rapport de la commission Juppé-Rocard à savoir 35 milliards d’euros. 13 milliards proviendront des sommes versées par les banques ayant remboursé à l’État les aides perçues en 2008 et les 22 milliards d’euros restants seront levés sur les marchés financiers. L’enseignement supérieur (11 milliards), la recherche (8 milliard), industrie et PME (6,5 milliards), le développement durable (5 milliards), l’économie numérique (4, 5 milliards).
Par ailleurs Nicolas Sarkozy parie que par un effet de levier, l’injection de fonds publics entraînera une mobilisation du privé, ce qui aura pour effet de porter les investissements à 60 milliards.
L’objectif.
Le Président a déclaré « Nous devons investir pour renouer avec la croissance (…). C’est de l’investissement que naît le progrès technique. Depuis 1974, la part des investissements dans la dépense publique est passée de 12,5 % à 7,5 %. Il s’agit d’une faute majeure . »
A ceux qui disent que le pays ne peut pas échapper à l’augmentation des impôts Nicolas Sarkozy a répondu d’une façon très claire : » Le poids des prélèvements obligatoires français par rapport au PIB s’avère un des plus élevés au monde. Il n’est donc pas question , d’augmenter les impôts ou de remettre en cause le bouclier fiscal pour se procurer un supplément de recettes. »
Pourquoi emprunter auprès des marchés ?
En effet la question s’est posée d’emprunter soit auprès des marchés, soit auprèsdu public. Le président de la République a justifié son choix en expliquant que le recours à l’emprunt auprès du grand public aurait coûté un milliard d’euros de plus et a t-il ajouté » Demander un effort particulier aux banques aurait aussi été une mauvaise chose. »
l’impact sur l’endettement de la France
Il a été précisé par le ministre du budget Eric Woerth que l’emprunt ne financera en aucun cas des dépenses de fonctionnement, mais des dépenses dont la vocation sera d’apporter des richesses au pays. Cete façon de voir a été comprise par Bruxlles et d’ailleurs l’impact sur l’endettement du pays ne sera pas de 22 milliards.
Par ailleurs les intérêts de l’emprunt seront gagés par des économies supplémentaires sur les dépenses de l’État. C’est là que se situe l’intérêt politique qui piège la gauche.
Le suivi de l’emprunt
En matière de » gouvernance de cet emprunt » un comité de suivi va être créé pour s’assurer de la traçabilité de l’utilisation des fonds, il sera coprésidé par Michel Rocard et Alain Juppé
Pourquoi un emprunt politique qui piège la gauche ?
Dans un remarquable article écrit il y a plusieurs semaines « valeurs actuelles » expliquait que la répartition de l’emprunt va dans le sens de ce que réclamait la gauche dans ses forums et collectivités. Si la gauche fait claquer ses pupitres c’est parce que cet emprunt porte la signature de Nicolas Sarkozy et qu’elle doit systèmatiquement dénoncer tout ce qu’il fait. Néanmoins l’argument qu’elle lui oppose est assez inattendu : « cet emprunt disent les socialistes d’une même voix, cela fait de la dette. » Que les socialistes qui ont trouvé la dette publique à 20% du PIB en 1981et l’ont porté à 60% durant leurs années de gouvernement, que les mêmes qui n’ont cessé de charger leurs régions, leurs départements, leurs municipalités par des dépenses de recrutement de fonctionnaires financées par la dette collective, que ceux qui, il y a tout juste un an, au moment où se préparait le plan de relance de 26 milliards, prétendaient le porter au double, se retournent aujourd’hui vers Nicolas Sarkozy pour lui dire : « non, cet emprunt, c’est une dette de trop« , est pour le moins cocasse.
Mais on peut les comprendre, car Nicolas Sarkozy leur tend un beau piège. En effet, il n’a pas seulement limité son emprunt (à 22 milliards, en fait, levés sur les marchés) pour éviter que la note de la France ne soit dégradée par rapport à nos concurrents et que notre pays ne figure dans le peloton des éclopés formés par le Portugal, la Gréce, l’Espagne et autres pays baltes, il a aussi annoncé que cet emprunt aurait une contre partie, un gage. Le montant de ses intérêts annuels sera soustrait, budget après budget, de nos dépenses de fonctionnement au lieu d’être payé par une augmentation des impôts.
Stratégique, l’emprunt ne l’est pas seulement pour nos laboratoires et nos industrie, il l’est également pour la bataille politique. Il plante le décor de l’année 2012 (c’est durant les deux ou trois années à venir que vont être réalisés les plus gros investissements prévus). En interpellant Aubry, Royal, Straus-Kahn ou Bayrou sur le thème : allez vous continuer d’investir ? Et si oui, le ferez vous par la baisse des dépenses publiques ou par la hausse de la fiscalité ? La gauche a évidemment compris qu’elle ne pourrait pas éluder la question.
Naturellement, elle répéte tous les jours qu’il faut supprimer le « bouclier fiscal » (lequel empêche tout contribuable de payer en impôts plus de 50% de ses revenus), mais elle devra bien admettre que les 500 ou 600 millions d’euros de moins-values fiscales dues à ce dispositf ne sont pas à la hauteur de l’enjeu. Devra t-elle annoncer qu’elle rétablira la TVA des hôteliers et restaurateurs à 19,6% au lieu de 5,5%, qu’elle soumettra à nouveau les entreprises à la taxe professionnelle, qu’elle supprimera l’exonération des heures supplémentaires ? On voit bien devant quels choix impossibles Nicolas Sarkozy place les socialistes. Et pour mieux les mettre devant leurs responsabilités, il tient les « états généraux de la dette « . Vous m’attaquez sur la dette, et bien parlons en. Les socialistes sont génées pour les raisons citées ci-dessus et ils n’ont trouvé comme réponse que la politique de la chaise vide et c’est la raison pour laquelle ils ont décidé de boycotter la Conférence sur le déficit public organisée par l’Elysée,
Il est vrai que le chef de l’Etat n’a lui même guère le choix. Dans son très brillant essai sur la crise « après le déluge « , Nicolas Baverez l’affirme, démonstration à l’appui » A défaut de changements majeurs de son modèle économique, la France s’oriente vers une croisance bloquée autour de 1% par an, un chômage permanent, une spirale des déficits. » Nicolas Baverez ajoute « La clé, demeure le rétablissement de la compétitivité qui passe par le développement prioritaire du secteur marchand, notamment de l’industrie, par un effort de productivité du secteur public, enfin par la refondation de la nation. »
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