Pertes de territoires et dommages aux populations. La COP 21 et les « réfugiés climatiques »
Muriel RAMBOUR
Maître de Conférences à l’UHA
CERDACC
Mots-clés
Changement climatique – Risques environnementaux – Réfugiés climatiques – COP 21.
Pour se repérer
Le changement climatique fait apparaître de nouveaux enjeux : catastrophes naturelles extrêmes mobilisant les forces de secours aux populations, tensions alimentaires et difficultés d’accès aux ressources hydriques, migrations forcées… Les déplacements de populations se font de plus en plus nombreux au fil des décennies. Les négociations internationales sur les conséquences du changement climatique doivent désormais prendre en considération le sort des personnes contraintes de quitter leurs terres devenues inhospitalières ou menacées de disparition. L’un des points de l’Accord de Paris conclu en décembre dernier à l’issue de la COP 21 a précisément pour objet de prévenir et, le cas échéant, de planifier ces déplacements lorsque ceux-ci s’avèrent inévitables. Il est aussi question de mettre sur pied un système assurantiel permettant d’indemniser les populations afin qu’elles soient en mesure d’affronter les pertes et dommages irréversibles induits par les évolutions du climat mondial.
Pour aller à l’essentiel
L’Observatoire des situations de déplacement interne (Internal Displacement Monitoring Center – IDMC) et le Conseil norvégien pour les réfugiés (Norwegian Refugee Council – NRC) ont estimé à plus de 22 millions le nombre d’individus contraints, en 2013, de quitter leur foyer à la suite de catastrophes naturelles. Les bouleversements climatiques ont ainsi engendré trois fois plus de déplacements que les conflits classiques (IDMC-NRC, Global Estimates. People displaced by disasters, sept. 2014). Les pays en voie de développement (Asie du Sud-Est, Afrique de l’Ouest et de l’Est, Amérique centrale) sont les plus concernés par les mouvements de populations, avec près de 90% du volume global. Les pays industrialisés ne sont cependant pas épargnés par les catastrophes liées le plus souvent aux tempêtes et inondations, dont les exemples les plus marquants restent l’ouragan Katrina en 2005 aux Etats-Unis ou encore la tempête Xynthia en 2010 en France.
La majeure partie des déplacements pour des raisons environnementales s’effectue au sein d’un même Etat ou entre Etats voisins d’un espace régional. Le phénomène est donc principalement un effet de migrations internes, entre zones rurales ou de zones rurales à ensembles urbains (cf. Christel Cournil, Chloé Vlassopoulos, Mobilité humaine et environnement. Du global au local, Paris, Quae, 2015 ; Dina Ionesco, Daria Mokhnacheva, François Gemenne (dir.), Atlas des migrations environnementales, Paris, Presses de Sciences Po, 2016).
C’est le Programme des Nations Unies pour l’environnement qui a, en 1985, initié la formule des « réfugiés environnementaux », ciblant par-là les populations contraintes de « quitter leur lieu de vie temporairement ou de façon permanente à cause d’une rupture environnementale (d’origine naturelle ou humaine) qui a mis en péril leur existence ou sérieusement affecté leurs conditions de vie ». Les formules se sont depuis multipliées pour caractériser ces personnes poussées vers l’exode – dans un périmètre plus ou moins proche – sous l’effet de facteurs d’ordre environnemental : déplacés, migrants ou réfugiés écologiques, environnementaux, climatiques (Christel Cournil, Benoît Mayer (dir.), Les migrations environnementales, Paris, Presses de Sciences Po, 2014).
En 2013, la COP 19 de Varsovie a donné une visibilité aux revendications des pays les plus vulnérables aux impacts du changement climatique en instaurant un « mécanisme international pour les pertes et dommages » (loss and damage), intégré aux mesures de gestion des risques mises en place lors des précédentes négociations (sur le déroulement des conférences antérieures, cf. Muriel Rambour, « La 15e Conférence des Nations Unies sur le changement climatique – Copenhague 2009 », JAC, n°100, 2010 ; « Variations climatiques, de Cancún à Durban », n°120, 2012). Ce mécanisme vise les « pertes » qui s’entendent comme « des effets négatifs qu’il n’est pas possible de réparer ou de rétablir » tels que « la perte de sources géologiques d’eau douce se rapportant à la fonte des glaciers ou à la désertification, ou encore la perte d’une culture ou d’un patrimoine liée à un aménagement du peuplement loin de régions devenues peu habitables en raison du changement climatique ». Les « dommages » se comprennent comme les « effets négatifs pouvant être réparés ou rétablis (par exemple, les dégâts causés par des vents de tempête au toit d’un immeuble, ou ceux causés par les marées côtières à la mangrove côtière, qui ont des incidences négatives sur les villages) » (Organisation internationale pour les migrations, Migration, environnement et changement climatique : données à l’usage des politiques (MECLEP), juil. 2014). Les pertes et dommages sont donc la conséquence de phénomènes météorologiques extrêmes (tempêtes, ouragans) ou d’évolutions progressives (élévation du niveau des mers et océans, sécheresse, dégradation des sols…) renvoyant à des répercussions économiques, culturelles et humaines, brutales ou à moyenne échéance.
La COP 21 avait également pour mandat de systématiser la politique d’atténuation et d’adaptation au risque (Recommendations from the Advisory Group on Climate Change and Human Mobility, Human mobility in the context of climate change UNFCCC-Paris COP 21, nov. 2015). Dans les faits, l’Accord de Paris conclu en décembre 2015 demande au Comité exécutif du mécanisme international de Varsovie relatif aux pertes et préjudices liés aux incidences néfastes des changements climatiques de créer un centre d’échange d’informations servant de base de données sur l’assurance et le transfert des risques, de façon à faciliter les efforts d’élaboration et d’application des stratégies globales de prévention et de gestion des déplacements de populations (COP 21, Adoption de l’Accord de Paris, 12/12/2015, §48 à 50, Art. 8 et 9 des annexes).
Pour aller plus loin
Le 21 octobre 2015, à la veille de la COP 21, le Sénat français adoptait une proposition de résolution tendant à promouvoir des mesures de prévention et de protection des déplacés environnementaux (cf. Sénat, Proposition de résolution n°632, enregistrée le 15/07/2015). Il s’agissait de contribuer à la réflexion sur le cadre juridique concernant ces personnes dont la situation – en dépit de la profusion de termes servant à les désigner – n’est aujourd’hui pas reconnue par le droit international des droits de l’Hommes. Les migrants environnementaux ne relèvent en effet pas de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, définis comme des victimes de persécution ou fuyant une zone de guerre, ce qui n’est techniquement pas le cas des personnes déplacées pour des raisons tenant aux aléas climatiques. L’on peut à ce propos noter que si le statut de réfugié octroie une certaine protection – assurance de ne pas être renvoyé dans son pays d’origine, droits au travail, au logement… –, sa revendication serait délicate à soutenir. D’abord parce que la plupart des migrations climatiques sont internes au pays, rendant une réglementation internationale relativement inopérante. Ensuite, parce qu’il reste encore difficile d’établir la part des motifs d’ordre strictement environnemental qui animent des mouvements de populations dont on peut penser qu’ils sont aussi parfois inspirés par des considérations plus traditionnellement économiques. Une récente illustration en a été donnée en 2015, lorsque la Nouvelle-Zélande a refusé d’accorder le statut de réfugié à une famille venue de l’archipel voisin des Kiribati, menacé par la montée des eaux du Pacifique, au motif que la menace climatique ne constitue pas une forme de persécution ou un grave danger qui conférerait le bénéfice du statut de réfugié au titre de la Convention de Genève (« Réfugié climatique : expulsion vers les Kiribati », Le Figaro.fr, 24/09/2015).
Ce cas d’espèce montre que la situation des réfugiés environnementaux sera encore au centre de longues et nombreuses discussions internationales. En 2012, la Norvège et la Suisse avaient lancé l’« initiative Nansen » basée sur une concertation régionale, hors du cadre des Nations Unies, entre Etats intéressés du Pacifique, d’Asie et d’Amérique centrale, afin de définir les modalités de gestion des déplacements de populations. La consultation intergouvernementale globale qui s’est tenue à Genève mi-octobre 2015 a vu 75 pays adopter un « agenda de protection des personnes déplacées dans le contexte des désastres naturels et du changement climatique ». L’objectif est de mieux prendre en compte la question des déplacés environnementaux par l’amélioration de la connaissance du phénomène, la promotion de mesures de protection durable et le renforcement de la prévention des risques dans les pays d’origine des personnes déplacées (« 110 Etats adoptent un ‘‘agenda pour la protection’’ des déplacés environnementaux », Le Monde.fr, 13/10/2015).
A l’avenir, la problématique est amenée à s’amplifier, le Haut commissariat de l’ONU pour les réfugiés anticipant près de 250 millions de déplacés climatiques au niveau mondial à l’horizon 2050. Les analyses stratégiques appellent également à considérer le changement climatique comme un paramètre essentiel des futures actions de sécurité et de défense (Sénat, Rapport d’information n°14 (2015-2016) sur les conséquences géostratégiques du dérèglement climatique au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, 06/10/2015, http://www.senat.fr/rap/r15-014/r15-014.html ; Muriel Rambour, « ‘‘Défense verte’’ et risques liés au changement climatique », JAC, n°158, 2015). Pourtant, les conséquences du changement climatique restent encore parfois méconnues. Ainsi, selon une analyse du Commissariat général au développement durable sur le sentiment d’exposition aux risques, à peine 13% des conséquences avancées en 2013 par les répondants portaient sur les transformations géographiques induites par les modifications du climat – avec, par ordre d’importance, la montée progressive des eaux, la fonte des glaciers, l’exode, l’afflux de réfugiés et la nécessité de déménager (CGDD-Service de l’observation et des statistiques, « Effets du changement climatique : des risques encore abstraits pour les Français », n°213, oct. 2015). Si, pour les Français, l’enjeu du changement climatique semble avoir perdu de son acuité sur la période 2007-2011, la menace de l’exode est bien une réalité pour des millions de personnes déplacées dans le monde chaque année.
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