Les ministres Éric Woerth et Christine Lagarde ont arrêté une liste de 18 pays qualifiés de non coopératifs au plan fiscal. Les entreprises y travaillant seront pénalisées.
Que ce soient des éditorialistes, des bloggueurs ou autres, beaucoup s’en prennent aux paradis fiscaux mais sans jamais dire ce qu’est d’après eux un paradis fiscal, quelles sont ses raisons d’exister ? Pourquoi y place t-on de l’argent ? Pour ces gens là, le paradis fiscal se résume aux fraudeurs du Fisc ou aux truands. Encore une fois c’est une simplicité de raisonnement qui fleure bon le populisme.
Qu’est-ce qu’un paradis fiscal ?
On devrait parler de paradis fiscaux et réglementaires c’est à dire de pays où la fiscalité est légère, le secret bancaire absolu, mais aussi, et dans bien des cas surtout, où la réglementation et les contrôles sont quasi inexistants. Une fois posée cette définition, le sujet devient plus difficile et plus flou, car on a tendance à tout mélanger : concurrence fiscale, concurrence réglementaire, évasion fiscale des individus et des entreprises, et blanchiment d’argent sale.
Il en est ainsi de la concurrence fiscale : une fiscalité légère est-elle un délit ? S’agit-il d’un délit que d’imposer à ses citoyens des taux inférieurs à ceux du voisin ? L’ensemble des pays de l’Union européenne ont un taux moyen de prélèvements obligatoires (euphémisme pour parler des impôts) inférieur d’environ 6 % à celui de la France. Est-ce un délit de bonne gestion ?
Au delà, des pays peuvent adopter des stratégies plus agressives : ainsi en va-t-il, par exemple, de l’Angleterre qui, pour attirer sur son sol les grandes fortunes étrangères, leur accorde un statut fiscal particulier, ou des îles Caïmans qui n’imposent qu’une fiscalité symbolique à ceux qui y déposent leurs fonds. Dans ce dernier cas, comme dans celui des autres micro-États, comme le Liechtenstein ou les îles Wanatu, il s’agit, pour leurs gouvernements, de pallier le faible nombre de contribuables locaux, en en attirant beaucoup d’autres grâce à une fiscalité symbolique pour chacun, mais dont le total représente l’essentiel de leurs ressources fiscales. Certains États ont donc simplement pour objectif de détourner les contribuables à fortes contributions de leurs pays d’origine pour qu’ils viennent s’installer sur leur sol (cas de l’Angleterre, de la Belgique ou de la Suisse).
Certains autres, parce qu’ils ne sont pas « vivables » (qui a envie de vivre aux îles Caïmans ?), parce qu’ils veulent maximiser leurs recettes, cherchent surtout à ce que ces mêmes contribuables viennent déposer leurs fonds dans leurs banques, et les fassent « travailler », sans que les revenus de ces placements soient taxés par le fisc du pays de résidence des déposants (le Liechtenstein, Monaco, les îles Caïmans, mais aussi la Suisse, Singapour, etc.).
Dans le premier cas, on pourrait parler de « concurrence à la régulière » , alors que dans le second on pourrait dire qu’il y a « incitation à la fraude« , ou tout au moins à « l’évasion fiscale« . Dans le premier cas, le secret bancaire n’est pas indispensable ; dans le second, il est une condition suspensive à la prestation de ce type de service. Si l’on s’en tient au premier cas, on peut même avancer que cette concurrence fiscale est positive, en ce qu’elle représente une incitation forte à ce que les différents gouvernements ne cèdent pas à la tentation d’exagérer la pression fiscale qu’ils font peser sur les épaules de leurs concitoyens. Les plus dépensiers, les plus mal gérés, ceux où les contribuables n’en ont pas » pour leur argent » sont effectivement pénalisés. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle certains responsables politiques français, plutôt que de remettre en cause leur gestion des deniers publics, ont régulièrement réclamé une » harmonisation fiscale » entre les pays, et le bannissement des régimes fiscaux clairement institués pour attirer chez soi les contribuables des autres ! De ce point de vue, l’histoire récente démontre que tous les contribuables français peuvent rendre grâce à l’existence de ces régimes proposés par certains de nos partenaires ou paradis fiscaux, en ce qu’ils leur ont évité d’être soumis à des prélèvements obligatoires encore plus pesants. Dans le second cas, on se trouve dans une zone grise où le secret bancaire sert à dissimuler des revenus, ou du patrimoine, au fisc de celui qui les reçoit ou les détient. Y a-t-il fraude ? Certainement. Mais il faut se souvenir que cette faculté de dissimulation a servi aussi quelques nobles causes, en permettant à des proscrits d’échapper à la spoliation, notamment pendant la dernière guerre. Que l’argent de la corruption profite de cet » abri » n’est pas admissible, de même qu’il n’est plus admissible que certains États se réfugient derrière cette noble raison pour accueillir sans distinction des fonds d’origine criminelle.
Il faut donc faire une distinction. Il n’y a, en effet, rien de commun entre celui qui transfère des capitaux ayant payé l’impôt, qui va les réinvestir à partir d’une place offshore, et qui paiera l’impôt, que ce soit chez lui ou ailleurs, et celui qui aura touché dans son pays, ou ailleurs, de l’argent tiré d’activités illicites – drogue, corruption, commerce d’armes, etc. – et qui cherchera à le dissimuler au fisc et à la police de tous les pays…
Pourquoi a-t-on toléré jusqu’ici les paradis fiscaux ? Va-t-on enfin les interdire ?
Une fois les paradis étant définis, le problème posé est double. D’une part, il leur faut distinguer l’argent qui vient se domicilier chez eux, en transit, comme dans un port franc. C’est le cas, par exemple, des grandes entreprises ou des banques qui consolident dans les paradis fiscaux des sommes qui viennent de régions différentes, et qui les reventilent ensuite entre ces mêmes régions ou d’autres, où elles subiront la fiscalité locale. Et, d’autre part, il leur faut identifier les sommes dont l’origine est le fruit d’activités illicites, qui viennent se »poser« dans leurs banques, pour repartir ensuite s’investir tout à fait légalement dans d’autres pays. Il s’agit là de blanchiment. Cette distinction ne peut être le fait que d’organes de surveillance et de régulation locaux, qui disposent de moyens pour assumer cette mission. Or, c’est là que le bât blesse : entre les États qui prétendent opérer cette surveillance, mais ne s’en donnent pas les moyens, et ceux qui ne souhaitent pas y soumettre leurs » clients « , il y a un espace dans lequel se sont engouffrés tout le financement de la grande criminalité et le blanchiment de ses fonds. La situation se clarifie peu à peu : le GAFI (Groupe d’action financière), organisation intergouvernementale de lutte contre le blanchiment, resserre petit à petit son étau. De même, les dispositions prises par les différents États ont pour effet de rendre l’évasion fiscale plus difficile. De plus en plus, si l’on veut échapper au fisc de son pays, il faut s’expatrier vraiment, et non pas fictivement.
Reste la concurrence fiscale (vue plus haut), dont on peut considérer qu’elle est saine, pour autant que les dispositions adoptées pour attirer des déposants chez soi ne soient pas outrageusement dérogatoires aux règles fiscales auxquelles sont soumis les contribuables locaux. Enfin, le fait qu’il existe des places offshore (dont on peut concevoir qu’elles se trouvent onshore) qui jouent le rôle de ports francs de la finance peut être, lui aussi, considéré comme bénéfique, dans la mesure où il contribue à faciliter les déplacements et les réallocations d’actifs entre des pays soumis à des régulations différentes. Dans le cas de la crise actuelle, les » paradis fiscaux « n’ont été concernés que par le biais de cette fonction, et de ce point de vue ils peuvent être considérés comme n’ayant pas eu d’impact ni en tant que cause ni en tant que facteur aggravant. Les paradis fiscaux posent un grave problème au monde en ce qu’ils représentent sa plus grande, sinon son unique lessiveuse d’argent sale. Mais sa résolution n’a rien à voir avec les problèmes posés par la crise.
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