litige a propos de la creation de chsct a la poste quel est le juge competent

Litige à propos de la création de CHSCT à La Poste : quel est le juge compétent ?

Conseil d’Etat, 23 juil. 2014, Fédération syndicale des activités postales et de télécommunication, req. n° 374.275.

Florence Nicoud
Maître de conférences à l’UHA
CERDACC

Cet arrêt souligne que bien qu’étant en charge de la gestion d’un service public national, les litiges relatifs à la création de CHSCT à La Poste relèvent de l’unique compétence du juge judiciaire.

Mots-clefs : CHSCT – Droit du travail – SA La Poste – Service public national – Compétence – répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction – juge judiciaire. 

Pour se repérer
Cette décision du Conseil d’Etat fait suite à un jugement en date du 23 décembre 2013 par lequel le Tribunal Administratif de Paris, conformément à l’art. R. 351-2 du Code de justice administrative, transmet au Conseil d’Etat le litige en cause, qu’il estime relever de sa seule compétence. Le litige dont était saisie la Haute Juridiction administrative concernait une requête introduite le 12 février 2012 par la Fédération syndicale des activités postales et de télécommunication. Cette dernière entendait ainsi contester au moyen d’un recours en excès de pouvoir la décision de la direction commerciale bancaire des services de La Poste de créer un Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail et de fixer la liste des représentants ainsi que la répartition des sièges au sein de ce Comité. Elle réclamait également la somme de 3.000 € à La Poste, au titre des frais et dépens.
Par un considérant de principe explicite et sans détour, le Conseil d’Etat s’estime incompétent pour  ce type d’affaire. En effet, l’organisme La Poste, aux termes de la loi du 2 juillet 1990, est devenu une entreprise privée, mais gardant des fonds majoritairement publics. Dès lors et alors même que la SA La Poste continue d’exercer et de représenter un service public national, le Code du travail s’y applique et notamment les dispositions de sa quatrième partie relative à la santé et la sécurité au travail. Ainsi, les dispositions de l’art. L. 4613-3 énonçant que « les contestations relatives à la délégation des représentants du personnel au comité sont de la compétence du juge judiciaire » s’appliquent à la Poste, dans la mesure où les dispositions spécifiques posées par le décret n° 2011-619  du 31 mai 2011 relatif à la santé et à la sécurité au travail à La Poste n’ont pas entendu déroger à cet article L. 4613-3 du Code du travail.
Cela conduit naturellement le juge administratif à se déclarer incompétent à juger de ce type de litige.
Dans le même temps, le Conseil d’Etat condamne la fédération à verser à La Poste la somme de 2.500 euros au titre de l’article L. 761-1 du Code de Justice administrative.

Pour aller à l’essentiel
Une fois de plus, les difficultés liées à la répartition des compétences entre les deux ordres de juridictions illustrent la complexité de notre système juridictionnel. La nature juridique hybride de La Poste, hier considérée comme symbole de l’établissement public chargé d’un vénérable service public et devenu depuis société anonyme aux capitaux publics qualifiée d’EPIC par le Conseil d’Etat (CE, 13 nov. 1998, Syndicat professionnel des médecins de prévention de La Poste et de France-Télécom, RFDA, 1999, p. 262) semble jouer un rôle non négligeable dans cet imbroglio des compétences.
En effet, si le nombre important d’agent de droit privé dans ce secteur d’activité suggère en principe l’application des règles du Code du travail et donc du droit privé en général, son ancien statut et la présence encore importante de personnels de droit public, laissent au droit public et aux règles du statut général de la fonction publique un domaine d’application encore non négligeable. Il en va par exemple ainsi des règles relatives aux rapports collectifs de travail, notamment en matière d’institutions représentatives du personnel, pour lesquelles on constate encore une forte présence de règles de droit public.
En ce qui concerne les règles relatives à la représentation du personnel, les deux ordres de juridictions semblent se répartir le contentieux de la manière suivante :

  • Le décret n° 2011-619 du 31 mai 2011 précité retient la compétence du juge judiciaire pour statuer sur les litiges relatifs à la désignation des représentants du personnel au CHSCT, en l’absence de dispositions dérogatoires aux règles prévues par le Code du Travail (art. L. 4613-3).
  • A l’inverse le décret n° 2011-1063 du 7 sept. 2011 relatif aux comités techniques (CT) de La Poste a prévu que le contentieux relatif aux contestations de la validité des opérations électorales visant à désigner les représentants du personnel au sein desdits comités techniques ressort de la compétence de la juridiction administrative, alors même que ces représentants sont choisis par tous les agents de La Poste, qu’ils soient de statut public ou privé.

L’arrêt rendu par le Conseil d’Etat et déclinant sa compétence au profit de la juridiction judiciaire s’inscrit en outre dans le fil d’une récente décision de la Cour de Cassation rappelant qu’aux termes de l’art. L. 4613-1du code du travail « le juge d’instance est seul compétent pour se prononcer sur les contestations relatives à la désignation des représentants du personnel aux comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) mis en place au sein de la société La Poste et, par suite, sur celles relatives au nombre de ces représentants et à leur répartition entre les organisations syndicales » (Cass. soc., 9 avr. 2014, req. n° 13-20196).

Pour aller plus loin
Véritablement, la simplification du droit voulue tant par les textes législatifs les plus récents (loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit ; Loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures) que par certaines décisions du Conseil Constitutionnel (V. à propos de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité du droit, C. Const, décision n° 2004-506 DC, 2 déc. 2004, Simplification du droit, cons. 5), ne semble pas être encore à l’ordre du jour dans le domaine de l’application des règles du droit du travail à l’organisme de La Poste. Sa nature juridique hybride en est certainement ici pour quelque chose et une fois de plus, ce seront les administrés et les usagers qui feront les frais de cette complexité juridique. Aussi, et afin de véritablement simplifier la procédure des requérants, il serait grand temps que le contentieux de La poste relève désormais d’un bloc de compétence unique.


Le : 04/12/2014

Conseil d’État

 

N° 374275

ECLI:FR:CESSR:2014:374275.20140723

Mentionné dans les tables du recueil Lebon

2ème / 7ème SSR

 

M. Luc Briand, rapporteur

Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public

 

 

lecture du mercredi 23 juillet 2014

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

Vu le jugement n° 1202889 du 23 décembre 2013 par laquelle le tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d’Etat, en application de l’article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête de la Fédération syndicale des activités postales et de télécommunications ;

Vu la requête, enregistrée le 13 février 2012 au greffe du tribunal administratif de Paris, présentée par la Fédération syndicale des activités postales et de télécommunications, dont le siège est au 25-27 rue des Envierges à Paris (75020) ; la Fédération syndicale des activités postales et de télécommunications demande :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision n° 11-11-212 du 16 novembre 2011 par laquelle le directeur de la direction commerciale bancaire des services financiers de La Poste a créé le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail de cette direction et fixé la liste des organisations syndicales représentatives de l’ensemble du personnel habilitées à désigner leurs représentants ainsi que la répartition des sièges au sein de ce comité ;

2°) de mettre à la charge de La Poste la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du travail, notamment son article L. 4613-3 ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

Vu la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;

Vu la loi n° 2010-123 du 9 février 2010 ;

Vu le décret n° 2011-619 du 31 mai 2011 ;

Vu le code de justice administrative ;

 

Après avoir entendu en séance publique :

  • le rapport de M. Luc Briand, maître des requêtes en service extraordinaire,
  • les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public ;

1. Considérant que la personne morale de droit public La Poste a été transformée à compter du 1er mars 2010 en une société anonyme dénommée “ La Poste “ en vertu de l’article 1-2 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l’organisation du service public de la poste et à France Télécom, dans sa rédaction issue de la loi du 9 février 2010 relative à l’entreprise publique La Poste et aux activités postales ; que les mêmes dispositions précisent que “ cette transformation ne peut avoir pour conséquence de mettre en cause le caractère de service public national de La Poste “ ; que, selon l’article 31-3 de la loi du 2 juillet 1990, la quatrième partie du code du travail – santé et sécurité au travail – s’applique à l’ensemble du personnel de La Poste, “ sous réserve des adaptations, précisées par un décret en Conseil d’Etat, tenant compte des dispositions particulières relatives aux fonctionnaires et à l’emploi des agents contractuels “ ; que le décret du 31 mai 2011 relatif à la santé et à la sécurité au travail à La Poste, dont l’article 1er prévoit que, sous réserve des dispositions spécifiques prévues par ce texte, “ les dispositions applicables en matière de santé, de sécurité au travail, de contrôle ainsi que de médecine du travail dans les services de La Poste sont les dispositions définies par la quatrième partie du code du travail “, ne comporte aucune disposition dérogeant au principe posé par l’article L. 4613-3 du code du travail, selon lequel les contestations relatives à la délégation des représentants du personnel au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail sont de la compétence du juge judiciaire ;

2. Considérant qu’il résulte de ces dispositions combinées que le litige introduit par la fédération requérante, relatif à la décision par laquelle a été créé le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la direction commerciale bancaire des services financiers de La Poste et ont été fixées la liste des organisations syndicales représentatives de l’ensemble du personnel habilitées à désigner leurs représentants ainsi que la répartition des sièges au sein de ce comité, est au nombre de ceux qui relèvent de la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire ; que, dès lors, la juridiction administrative n’est pas compétente pour en connaître ;

3. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la Fédération syndicale des activités postales et de télécommunications la somme de 2 500 euros à verser à La Poste au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces dispositions font, en revanche, obstacle à ce qu’une somme soit mise, à ce titre, à la charge de La Poste, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance ;

 

D E C I D E :

————–

Article 1er : La requête de la Fédération syndicale des activités postales et de télécommunications est rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Article 2 : La Fédération des syndicale des activités postales et de télécommunications versera à La Poste une somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Fédération syndicale des activités postales et de télécommunications et à La Poste.

Copie en sera adressée, pour information, au ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique. 

Abstrats : 17-03-01-02-05 COMPÉTENCE. RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ENTRE LES DEUX ORDRES DE JURIDICTION. COMPÉTENCE DÉTERMINÉE PAR DES TEXTES SPÉCIAUX. ATTRIBUTIONS LÉGALES DE COMPÉTENCE AU PROFIT DES JURIDICTIONS JUDICIAIRES. DIVERS CAS D`ATTRIBUTIONS LÉGALES DE COMPÉTENCE AU PROFIT DES JURIDICTIONS JUDICIAIRES. – CONTESTATIONS RELATIVES À LA DÉLÉGATION DES REPRÉSENTANTS DU PERSONNEL AU CHSCT (ART. L. 4613-3 DU CODE DU TRAVAIL) – CHAMP – CONTESTATIONS RELATIVES AU CHSCT DE LA POSTE – INCLUSION [RJ1].

51-01-03 POSTES ET COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES. POSTES. PERSONNEL DE LA POSTE. – INSTITUTIONS REPRÉSENTATIVES DU PERSONNEL – CHSCT – LITIGE RELATIF À LA CRÉATION D’UN CHSCT, À LA DÉSIGNATION DES ORGANISATIONS SYNDICALES REPRÉSENTATIVES ET À LA RÉPARTITION DES SIÈGES ENTRE CES DERNIÈRES – COMPÉTENCE POUR EN CONNAÎTRE – JUGE JUDICIAIRE – EXISTENCE [RJ1].

66-04-04 TRAVAIL ET EMPLOI. INSTITUTIONS REPRÉSENTATIVES DU PERSONNEL. COMITÉS D’HYGIÈNE ET DE SÉCURITÉ ET DES CONDITIONS DE TRAVAIL. – LA POSTE – LITIGE RELATIF À LA CRÉATION D’UN CHSCT, À LA DÉSIGNATION DES ORGANISATIONS SYNDICALES REPRÉSENTATIVES ET À LA RÉPARTITION DES SIÈGES ENTRE CES DERNIÈRES – COMPÉTENCE POUR EN CONNAÎTRE – JUGE JUDICIAIRE – EXISTENCE [RJ1].

 

Résumé : 17-03-01-02-05 Le décret n° 2011-619 du 31 mai 2011 relatif à la santé et à la sécurité au travail à La Poste ne comporte aucune disposition dérogeant au principe posé par l’article L. 4613-3 du code du travail, selon lequel les contestations relatives à la délégation des représentants du personnel au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) sont de la compétence du juge judiciaire.,,,Un litige relatif à la décision par laquelle a été créé le CHSCT d’une direction de La Poste et ont été fixées la liste des organisations syndicales représentatives de l’ensemble du personnel habilitées à désigner leurs représentants ainsi que la répartition des sièges au sein de ce comité, est au nombre de ceux qui relèvent de la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire.

51-01-03 Le décret n° 2011-619 du 31 mai 2011 relatif à la santé et à la sécurité au travail à La Poste ne comporte aucune disposition dérogeant au principe posé par l’article L. 4613-3 du code du travail, selon lequel les contestations relatives à la délégation des représentants du personnel au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) sont de la compétence du juge judiciaire.,,,Un litige relatif à la décision par laquelle a été créé le CHSCT d’une direction de La Poste et ont été fixées la liste des organisations syndicales représentatives de l’ensemble du personnel habilitées à désigner leurs représentants ainsi que la répartition des sièges au sein de ce comité, est au nombre de ceux qui relèvent de la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire.

66-04-04 Le décret n° 2011-619 du 31 mai 2011 relatif à la santé et à la sécurité au travail à La Poste ne comporte aucune disposition dérogeant au principe posé par l’article L. 4613-3 du code du travail, selon lequel les contestations relatives à la délégation des représentants du personnel au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) sont de la compétence du juge judiciaire.,,,Un litige relatif à la décision par laquelle a été créé le CHSCT d’une direction de La Poste et ont été fixées la liste des organisations syndicales représentatives de l’ensemble du personnel habilitées à désigner leurs représentants ainsi que la répartition des sièges au sein de ce comité, est au nombre de ceux qui relèvent de la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire.

[RJ1] Rappr. Cass. soc., 9 avril 2014, n° 13-20196, à publier au Bulletin.

 

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