l’Iran isolé ?

La crise iranienne a mis en évidence le manque de transparence des structures gouvernementales et de leur mode de fonctionnement dans les pays du Moyen-Orient”, souligne le quotidien libanais The Daily Star. C’est dans ce contexte que des experts “ayatollogues” ont fait leur apparition dans les médias. Ils tentent d’expliquer la nature et le rôle de tel ou tel organisme ou de comprendre pourquoi tel ayatollah était absent lors du sermon prononcé le vendredi 19 juin par le guide suprême, Khamenei. “Ce phénomène ne se limite pas à l’Iran. Essayer de lire entre les lignes pour comprendre ce qui se passe est aussi valable pour l’Egypte, où des « moubarakologues » tentent d’expliquer comment le pouvoir sera transmis au fils du président Moubarak. De même pour la Syrie, où des « assadologues » s’efforcent de décoder la stratégie du président Assad.

La politique internationale intéresse apparemment moins que la politique nationale et pourtant … Je vous propose quand même la synthèse d’une analyse lue dans courrier international.

En 1979, l’ayatollah Khomeyni a pris le pouvoir en Iran et cherché à exporter l’idéologie de la révolution islamique de son pays aux musulmans du monde entier, y compris aux sunnites. Après des siècles de conflits sanglants provoqués par de profondes divergences doctrinales, c’était un objectif improbable. Le schisme entre sunnites et chiites est dû à un désaccord quant à l’identité du successeur légitime du Prophète. Le conflit entre sunnisme et chiisme est le plus lourd de conséquences au Moyen-Orient, parce qu’il touche les fondements.

LE VÉRITABLE DANGER, C’EST L’IRAN ET NON ISRAËL”

Or c’est précisément parce que ce conflit est insoluble qu’il pourrait permettre d’en résoudre un autre apparemment éternel, le conflit entre juifs et musulmans. Le cliché absolu au Moyen-Orient, c’est bien entendu “les ennemis de mes ennemis sont mes amis”. Or il se trouve qu’aujourd’hui, plus que jamais au cours des cents ans de conflits désastreux qui ont opposé Juifs et Arabes sur cette bande de terre entre mer Méditerranée et Jourdain, les deux parties ont un ennemi commun : la République islamique d’Iran, d’obédience chiite. La possibilité d’une grande – bien que nécessairement implicite – alliance judéo-sunnite serait un cadeau fait à Barack Obama par son prédécesseur. En envahissant l’Irak, George Bush ne comptait pas renforcer la puissance de l’Iran. Il n’empêche qu’il est le père involontaire du premier Etat arabe chiite (l’Irak). En permettant à l’Iran de poser pied dans l’Irak arabe, il a fait de Téhéran une puissance émergente dans le golfe Arabo-Persique. Vali Nasr, spécialiste américain de l’Iran, évoque une marginalisation du conflit israélo-arabe. Il avance à juste titre l’idée que la plupart des pays arabes ont davantage intérêt à contenir l’Iran qu’à contenir Israël. Nous pensions jadis que le conflit israélo-arabe était la clé qui permettrait de résoudre tous les problèmes de la région, à savoir le terrorisme, Al-Qaida, l’Iran et l’Irak. Je pense désormais que c’est le golfe Arabo-Persique qui permettra de résoudre le conflit israélo-arabe. Toutes les puissances qui comptent – l’Iran, l’Arabie Saoudite et même les bons élèves de la région, comme Dubaï ou Abou Dhabi – se trouvent dans le Golfe. Et tous les conflits importants pour nous – l’Irak, l’Afghanistan et l’Iran – se trouvent dans le Golfe.” Et Israël considère l’Iran comme une menace pour son existence.

Ce qu’il y a actuellement de remarquable au Moyen-Orient, c’est que les dirigeants arabes se montrent plus critiques à l’égard de l’Iran que le Premier ministre israélien Nétanyahou. Le Maroc a rompu ses relations diplomatiques avec Téhéran au motif que des chiites iraniens tentaient de convertir les Marocains sunnites. En Egypte, les services de renseignements ont passé le printemps à démanteler des cellules du Hezbollah. Même si l’on oublie que l’Iran tente de se doter d’une capacité nucléaire, tous les pays du Golfe sont extrêmement mécontents de ses activités dans notre région”, a dit récemment un haut responsable des Emirats arabes unis. “Nous voyons ce qu’il fait aujourd’hui en Irak, au Liban,au Yémen. Nous avons vu ce qu’il a fait d’une façon ou d’une autre en Afghanistan, au Pakistan, au Soudan.” Yusuf Qaradaoui, un éminent prédicateur sunnite sur la chaîne Al-Jazira, déclarait en 2008 que “les chiites sont des hérétiques et représentent un danger parce qu’ils tentent d’envahir la société sunnite”. “Pour la première fois, la majorité du monde arabe pense que le véritable danger, c’est l’Iran et non Israël”, a récemment confié le président israélien Shimon PérèsIl exagère, mais les dirigeants arabes modernes aimeraient manifestement qu’il y ait une alliance judéo-sunnite. Un compromis avec Israël – par exemple un accord sur le gel des colonies en Cisjordanie – prouverait à leurs électeurs propalestiniens que ce sont les États arabes et non l’Iran qui sont les garants des intérêts palestiniens. Une telle alliance présenterait des avantages stratégiques encore plus évidents pour Israël.

Nétanyahou a déclaré qu’il ferait pression sur l’Europe, la Chine et la Russie afin qu’elles interviennent fermement pour mettre un terme au programme nucléaire iranien. Il aurait bien plus de poids s’il pouvait agir ici de concert avec les dirigeants arabes. Bien sûr, il est peut-être trop tard pour forger une alliance judéo-sunnite, parce qu’en lançant ses raids à Gaza en décembre 2008 Israël a provoqué dans le monde arabe une hostilité telle que les gouvernements arabes ne peuvent donner l’impression de chercher une alliance tacite avec lui. En théorie, le moment est tout indiqué pour une alliance, mais, en pratique, cela n’arrivera pas tant qu’Israël n’aura pas pris certaines décisions stratégiques pour apporter de véritables compromis sur la table”, estime Abdel Monem Said Aly, du Centre d’études stratégiques de l’université Al-Ahram, au Caire. L’Iran s’est présenté comme le gardien des intérêts islamiques, et en particulier palestiniens, en prenant le maximum de positions, aussi creuses soient elles. Si Israël et les Palestiniens peuvent donner l’impression de progresser, il y a une chance. Mais il faudra pour cela qu’Israël repense ses priorités stratégiques.” Il existe cependant une façon spectaculaire de faire avancer le processus de paix tout en marginalisant l’Iran. Il s’agirait de fixer les futures frontières de l’Etat palestinien.

Pour David Makovsky, qui est l’un des meilleurs experts du processus de paix, le gel des colonies ne doit pas devenir pas une fin en soi. “Il y a actuellement convergence d’intérêts entre Arabes et Israéliens à propos de l’Iran. Ce moment est donc un cadeau qu’il ne faut pas gaspiller”, explique-t-il. Il suggère que l’on sursoie à la question des colonies et que l’on passe à la détermination des frontières. Ce n’est pas comme les questions de Jérusalem, du statut des réfugiés ou de la sécurité. Les deux camps ont déjà des positions très proches sur la question des terres de Cisjordanie.” L’ancien Premier ministre israélien Ehoud Olmert a proposé que le futur État palestinien s’étende sur 93 % de la Cisjordanie et reçoive un territoire supplémentaire de la part d’Israël dans le cadre d’un échange territorial. L’histoire du processus de paix au Moyen-Orient est parsemée d’occasions manquées, et le défi commun que représente l’Iran risque de ne pas suffire à pousser Arabes et Israéliens à faire cause commune. D’un autre côté, il y a une différence substantielle entre 1993 (accords d’Oslo) et aujourd’hui. Dans les années 1990, les Arabes ne se sentaient pas autant sous pression qu’Israëlexplique le spécialiste de la région Martin Indyk. Aujourd’hui, grâce à notre erreur en Irak, les Arabes se sentent tout autant sous pression.

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