Les recommandations de la Commission européenne face aux risques lies à l’exploitation du gaz de schiste
Muriel Rambour, maître de conférences à l’UHA, membre du CERDACC
Mots-clés : Exploitation des hydrocarbures non conventionnels (gaz de schiste) – Risques sanitaires et environnementaux – Recommandations de la Commission européenne.
Après plusieurs mois d’intenses débats politiques et juridiques (cf. par exemple dans le contexte français, Muriel Rambour, « Le Conseil constitutionnel valide l’interdiction de la fracturation hydraulique. Commentaire de la décision du Conseil constitutionnel n°2013-346 QPC », Droit de l’Environnement, n°219, janvier 2014, p. 29-31), la Commission a fait connaître fin janvier 2014 ses recommandations générales aux principes minimaux applicables à l’exploration et à la production d’hydrocarbures non conventionnels – gaz de schiste notamment – par fracturation hydraulique à grands volumes (supposant l’injection d’un volume d’eau supérieur ou égal à 1 000 m3 par étape de fracturation ou à 10 000 m3 pour la totalité du processus).
Ces règles de conduite à destination des Etats membres ont pour but de garantir la mise en place de mesures appropriées en matière de protection de l’environnement et du climat (1). L’ambition est de placer les exploitants sur un pied d’égalité, de renforcer la confiance des investisseurs et d’améliorer le fonctionnement du marché unique de l’énergie (9e considérant de la recommandation de la Commission européenne, JO UE L 39, 08/02/2014, p. 72-78). Il s’agit également d’apaiser les inquiétudes – voire les oppositions – de l’opinion publique face à l’exploitation du gaz de schiste dont le rendement énergétique n’est d’ailleurs pas totalement assuré (2).
1. Les principales recommandations de la Commission européenne concernant l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels
Les recommandations n’ont pas de caractère contraignant et leur mise en œuvre sera suivie sur la base des déclarations de la part des Etats membres, lesquels ont la possibilité de déterminer les conditions d’exploitation de leurs ressources énergétiques tant qu’ils prennent en compte la nécessité de préserver la qualité de l’environnement. Selon la Commission européenne, « l’adoption d’un ensemble de règles de ce type n’aurait pour effet ni d’obliger les Etats membres à poursuivre des activités d’exploration ou d’exploitation en recourant à la fracturation hydraulique à grands volumes s’ils ne le souhaitent pas, ni de les empêcher de maintenir ou d’introduire des mesures plus détaillées correspondant à la situation nationale, régionale ou locale » (9e considérant).
Ces principes s’inspirent en fait très largement des « règles d’or » (Golden Rules) énoncées en mai 2012 par l’Agence internationale de l’énergie (AIE). A l’époque, il s’agissait de poser les conditions de « l’âge d’or du gaz » (Golden Age of Gas) censé remplacer le charbon et devenir d’ici 2030 la deuxième source d’énergie mondiale après le pétrole(http://www.worldenergyoutlook.org/media/weowebsite/2012/goldenrules/WEO2012_GoldenRulesReport.pdf). Les règles édictées par l’AIE insistaient sur la nécessité de l’évaluation et du suivi des conséquences environnementales de l’exploitation de ces ressources, de la transparence des procédés (choix des sites, conditions de forage des puits, anticipation des risques pour le sous-sol, gestion de l’eau et des déchets) et l’attention portée aux populations locales. L’Agence incitait les gouvernements et les exploitants à se montrer exemplaires dans la mise en œuvre d’un cadre règlementaire approprié afin de surmonter les éventuelles oppositions de la part des opinions publiques.
Le choix de la Commission européenne d’un dispositif souple de recommandations se justifie par la prise en compte d’un principe de réalité économique et industrielle, plusieurs Etats membres tels que l’Espagne, le Royaume-Uni et la Pologne manifestant la volonté d’exploiter ces hydrocarbures non conventionnels qui permettraient à l’Union européenne de disposer de ressources énergétiques autonomes à un coût plus abordable. Cette posture, parfois jugée minimaliste, a suscité l’accueil réservé de ceux quivoient dans la fracturation hydraulique une méthode à risques. Les critiques sont venues des associations de défense de l’environnement mais aussi de certains eurodéputés. Le 9 octobre 2013, le Parlement européen a en effet adopté un rapport sur la révision de la directive 2011/92/CEE relative à l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (Directive EIE du 13/12/2011, JO L 26, 28/01/2012, p. 1-21). Les eurodéputés proposaient que les activités d’exploration et d’extraction d’hydrocarbures non conventionnels fassent systématiquement l’objet d’une étude d’impact environnemental. Les normes en vigueur soumettent à une étude d’incidence les projets liés au gaz naturel représentant un débit journalier de 500 000 m3 par jour. Les forages de gaz de schiste ayant des rendements inférieurs à ce seuil, la révision de la directive viserait à rendre obligatoire les études d’impact pour l’exploration et l’extraction par fracturation hydraulique de ressources non conventionnelles quelle que soit la quantité d’hydrocarbures extraite.
La Commission suggère aux Etats membres d’apporter le plus grand soin aux différentes étapes de l’exploitation : choix du site d’exploration et de production, étude préalable de l’état écologique du site, conception de l’installation, limitation des nuisances, responsabilité environnementale et la garantie financière des exploitants (§12 de la recommandation). Bruxelles insiste sur le fait que les Etats membres devraient donner au public « une réelle possibilité de participer au plus tôt à l’élaboration de la stratégie (…) et à l’évaluation d’impact » de l’exploitation de ces hydrocarbures (§3.4).
La Commission admet que des incertitudes caractérisent encore les conditions d’exploitation du gaz de schiste. Cette situation ne justifie toutefois pas l’imposition immédiate de mesures contraignantes.
2. Une rentabilité relative des hydrocarbures non conventionnels
Pour établir ses recommandations, la Commission européenne s’est appuyée principalement sur deux études réalisées par son Joint Research Centre (JRC) : une étude des impacts potentiels de l’exploitation des ressources gazières non conventionnelles sur le marché énergétique communautaire (European Commission’s Joint Research Centre – Energy Security Unit, Unconventional Gas : potential energy market impacts in the European Union, 2012-09) et une évaluation de l’usage des terres et des ressources en eau selon trois scénarii technologiques de l’exploitation du gaz de schiste sur la période 2013-2028 en Allemagne et sur un bassin versant en Pologne (Spatially-resolved Assessment of Land and Water Use Scenarios for Shale Gas Development : Poland and Germany,
http://publications.jrc.ec.europa.eu/repository/handle/111111111/30455).
Le centre de recherche de la Commission note que les ressources gazières non conventionnelles peuvent avoir un impact sur la situation des marchés internationaux dans l’hypothèse d’un scénario optimiste quant aux coûts de production et aux réserves disponibles. Dans le meilleur des cas, le gaz de schiste représenterait 30% de l’énergie primaire mondiale d’ici 2025, voire 35% en 2040. Mais aucun Etat ne sera en position d’exportateur de ce gaz et l’Union européenne ne deviendra pas autosuffisante au plan énergétique ; un taux de dépendance de 60% vis-à-vis des importations serait maintenu et le gaz de schiste ne ferait que compenser la perte de vitesse de la production de gaz conventionnel. Le gaz de schiste ne serait donc pas un substitut aux orientations de la stratégie énergétique actuelle de l’Union européenne (en complément de l’analyse de la Commission européenne, voir également les conclusions de l’étude de l’Institut du développement durable et des relations internationales – IDDRI, Thomas Spencer, Oliver Sartor, Mathilde Mathieu, « Unconventional wisdom : an economic analysis of US shale gas and implications for the EU », Policy Briefs, IDDRI, n°05/2014).
Si la rentabilité énergétique reste modeste à moyen terme, les analyses du JRC soulignent que l’exploitation du gaz de schiste fait toutefois peser des risques d’ordres environnemental et sanitaire. Les forages peuvent en effet conduire à la pollution des nappes phréatiques par les hydrocarbures ou les produits utilisés pour la fracturation des roches. Face à ces risques pour lesquels l’Union européenne a peu d’expérience, les recommandations de la Commission ne constituent qu’une étape : elles seront mises en œuvre au plus tard six mois à compter de leur publication. Les Etats membres devront informer annuellement la Commission quant aux mesures prises. Ces recommandations feront l’objet d’une réévaluation de leur efficacité dans les dix-huit mois suivant leur publication et pourront éventuellement faire l’objet d’une « mise à jour » ou conduire à l’élaboration de dispositions contraignantes.
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