Les Droits & Contentieux Nucléaires (Partie 6)
« La transition énergétique »
Journée d’étude du 22 octobre 2015
CEA Marcoule, Bagnols-sur-Cèze
Muriel RAMBOUR
Maître de Conférences à l’UHA
CERDACC
Le 22 octobre 2015, l’Université de Nîmes, l’équipe d’accueil « Détection, évaluation, gestion des risques CHROniques et éMErgents » (CHROME, EA 7352) et le Commissariat à l’Energie Atomique et aux Energies Alternatives ont organisé leur journée d’étude annuelle des droits et contentieux nucléaires. Accueillie au Visiatome du CEA Marcoule à Bagnols-sur-Cèze, cette sixième édition était dédiée à la transition énergétique.
Les débats ont été placés sous la présidence du Professeur Jean-Marie Pontier de l’Université d’Aix-Marseille qui a tout d’abord rappelé que la principale préoccupation soutenant la réflexion sur la transition énergétique concerne la lutte contre le réchauffement climatique. La première étape a été la création du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) en 1988. Puis la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), non contraignante, est entrée en vigueur en 1994 pour encourager les pays développés à stabiliser leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Le Protocole de Kyoto est à ce jour le seul instrument juridiquement contraignant prévoyant une réduction, entre 2008 et 2012, des émissions de GES d’au moins 5% par rapport au niveau de 1990. Ces engagements n’ont pas été tenus. D’autres conférences ont eu lieu depuis : Copenhague en 2009, Doha en 2012 qui ont sans cesse prolongé les engagements jusqu’à une prochaine conférence des parties (COP) à la CCNUCC.
Le financement nécessaire à ces efforts est évalué à 100 milliards de dollars par an. Or, à ce jour, seuls 62 milliards de dollars sont levés, dont 43 proviennent d’institutions publiques. Le reliquat reste encore à trouver. Il convient aussi d’ajouter les engagements de l’Union européenne, avec notamment la règle des « 3 fois 20% ». Mais comme le fait observer le Professeur Pontier, le compte n’y est pas non plus sur les efforts de lutte contre le niveau moyen d’augmentation des températures.
La COP 21 de Paris fin 2015 devra se traduire par des actions devant conduire à limiter le réchauffement climatique par la réduction de l’émission de gaz à effet de serre grâce aux énergies dé-carbonées. Cependant, les énergies renouvelables ont l’inconvénient majeur de n’être qu’intermittentes et de poser le problème du stockage de l’énergie ainsi produite. Le nucléaire est l’une de ces énergies moins émettrices de GES que le charbon ou le gaz, permettant de contrer l’élévation des températures, mais elle ne va pas sans soulever de vives oppositions. Pourtant, les besoins énergétiques mondiaux sont croissants. Quelle peut alors être la place du nucléaire dans cette transition énergétique en France et dans le monde ? Les discussions du projet de loi au Sénat ont souligné les atouts de cette forme d’énergie : atout en matière d’indépendance énergétique, de valeur ajoutée sur le plan économique, savoir-faire industriel, implications sociales avec 220.000 emplois et 2.500 entreprises dans le secteur nucléaire, atout territorial…
Dans ce contexte général, la loi n°2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique et à la croissance verte prévoit notamment une réduction de la part du nucléaire de 75% à 50% dans la production électrique française à l’horizon 2025, un dispositif validé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 août 2015. Elle comprend un nombre important de prescriptions, mêlées à des aspirations philosophiques ou de portée politique à faible valeur normative, qui ne seront sans doute pas tenues. Sa mise en application dépendra de l’adoption de nombreux décrets qui feront certainement émerger des contradictions entre les diverses dispositions de la loi. Ce cadre législatif est donc difficilement compréhensible pour le citoyen.
Jacques Percebois, professeur émérite à l’Université de Montpellier, a présenté les principaux débats en cours en France relatifs à la transition énergétique. Le sujet interroge, d’une part, l’efficacité énergétique et la réduction des émissions de GES : réduction de la part du nucléaire dans le mix énergétique, accroissement de la proportion d’énergies renouvelables, rénovation de logements… Elle conduit à envisager la réforme des mécanismes de soutien aux énergies renouvelables et le financement du marché de l’électricité. Enfin, la réflexion sur la transition énergétique pose la question du devenir du parc nucléaire français : fermer des centrales nucléaires serait-il une erreur ? On peut en effet s’interroger sur le bien-fondé de cette démarche : le prix de revient de l’électricité d’origine nucléaire est moins élevé que celui d’autres sources d’énergie, la France est bien placée dans le cycle du combustible, EDF est le premier exploitant mondial. Réduire de 50% la part du nucléaire à l’horizon 2025 reviendrait à fermer près de 20 réacteurs moxés de 900 mégawatts. Ce serait mettre en péril le cycle du combustible (séparation et recyclage du plutonium, donc fragiliser encore le groupe AREVA…) et remettre en cause certains projets (réacteur ASTRID…).
Jean-Claude Artus, professeur émérite à l’Université de Montpellier, s’est intéressé aux impacts sur la santé des différentes formes d’énergies (et du nucléaire en particulier) sur lesquels le débat sur la transition énergétique a porté l’attention.
Muriel Rambour, maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace et membre du CERDACC, a mis en évidence la manière dont l’argument de la transition énergétique a été employé dans la logique de démantèlement de certaines centrales nucléaires. Exploité par EDF, Fessenheim est le seul site de production nucléaire d’électricité dont la fermeture a été annoncée par le Président de la République. Prévue pour la fin du quinquennat en 2016, cette échéance a été remise en cause à plusieurs reprises en raison des retards dans la construction de l’EPR de Flamanville. EDF vient de s’engager à étudier « l’unique hypothèse » de la fermeture de la centrale de Fessenheim, avec un dépôt de cette demande a priori d’ici à fin juin 2016. Or, la mise à l’arrêt de la centrale n’est pas une démarche évidente, entre impératifs économiques, choix politiques et règles juridiques. Les pressions en faveur de la fermeture de la centrale de Fessenheim sont toujours fortes, avec des actions des anti-nucléaires souvent contrecarrées par les instances judiciaires. La centrale est ancienne, donnant droit à l’un des arguments phare soutenant sa fermeture. Mais les investissements réalisés y ont été, et sont encore, importants pour maintenir la sûreté de l’installation. Le site de Fessenheim n’apparaissant pas expressément dans la loi sur la transition énergétique et la croissance verte, certains y perçoivent la concrétisation des atermoiements autour du cas de la centrale, tandis que d’autres y voient un cadre généraliste pour l’arrêt définitif de futures installations. La prise en compte des aspects juridiques, politiques ainsi que la dimension économique et sociale de l’éventuelle fermeture de Fessenheim a permis de mettre en évidence la manière dont la problématique de la transition énergétique affecte le sort de la centrale.
Laurence Chabanne-Pouzynin, directeur juridique « Droit public, nucléaire et de l’environnement » chez AREVA, a présenté le contenu du projet d’ordonnance portant diverses dispositions en matière nucléaire.
De manière générale, l’habilitation du gouvernement à légiférer par ordonnance est un processus non exempt de critiques, comparé par la doctrine juridique à un « dérèglement juridique et politique », à une « désinvestiture du législateur ». Il s’agit pourtant d’un processus fréquemment utilisé, visé dans la loi n°2015-990 du 6 août 2015 (« loi Macron ») et la loi n°2015-992 du 17 août 2015 (« loi sur la transition énergétique et la croissance verte »). Le Titre VI de la loi sur la transition énergétique concerne précisément l’habilitation du gouvernement à agir par voie d’ordonnance en matière nucléaire sur les questions de transparence, de sous-traitance, de modification d’INB (installation nucléaire de base) et de démantèlement ainsi que de responsabilité civile nucléaire. Un premier avant-projet d’ordonnance a été présenté fin juin 2015, avant le vote de la loi sur la transition énergétique. L’ASN a rendu son avis n°2015-AV-0238 le 10 septembre dernier.
Le projet d’ordonnance en préparation prévoit d’étendre les pouvoirs de contrôle et de sanctions (y compris pécuniaires) de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Le volet « Déchets » du projet d’ordonnance apporte de nouvelles définitions en matière de déchets du fait de la transposition de la directive 2011/70/Euratom. Il comporte la définition d’une procédure de requalification des matières en déchets radioactifs par l’autorité administrative, complète le contenu du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs, fait obligation de stocker en France les déchets radioactifs d’origine française, précise les conditions d’application de l’interdiction de stocker les déchets radioactifs d’origine étrangère en France et prévoit la suppression de la possibilité d’introduire sur le sol français des déchets radioactifs à des fins de recherche. Par ailleurs, le projet d’ordonnance vise à renforcer les sanctions administratives et pénales en matière de combustibles usés et de déchets radioactifs. Il introduit une évaluation tous les dix ans par les pairs du cadre national de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs ; il élargit les missions de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA). Sur le volet « Sûreté et Transparence », le projet d’ordonnance réalise une transposition partielle de la directive 2013/59/Euratom.
Mickaël Varescon, chef du Pôle « Droit nucléaire » d’EDF, a précisé les conséquences juridiques du plafonnement de la capacité de production d’origine nucléaire à 63,2 gigawatts (GW) introduit par la loi relative à la transition énergétique et à la croissance verte. Ce plafonnement renvoie à la problématique précédemment étudiée de la fermeture de Fessenheim et à une gestion de la production d’origine nucléaire dans le cadre de la programmation plurielle de l’énergie (PPE), en envisageant une réduction de la part du nucléaire dans le mix énergétique piloté par la PPE. Dans sa décision du 13 août 2015, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité de la mesure au droit de propriété. Exerçant son contrôle de proportionnalité au regard de l’intérêt général, il a observé que les dispositions de la loi de transition énergétique relatives au plafonnement de la production d’origine nucléaire ne contreviennent à aucun principe à valeur constitutionnelle. Mais la disposition porte atteinte aux effets qui peuvent être légitimement attendus des droits légalement acquis. Le Conseil constitutionnel reconnaît ainsi le droit de l’exploitant à demander la réparation du préjudice subi, ouvrant la voie à une possible indemnisation qui sera certainement débattue dans le cas de la mise à l’arrêt éventuel de la centrale de Fessenheim.
Marc Léger, conseiller juridique auprès de l’Administrateur général du CEA, a souligné la manière dont la transition énergétique est apparue comme un « alibi » pour renforcer l’encadrement de la sous-traitance dans le nucléaire. L’article 124 de la loi sur la transition énergétique dispose en effet qu’un décret en Conseil d’Etat peut encadrer ou limiter le recours à des prestataires ou à la sous-traitance en matière nucléaire. De manière générale, la sous-traitance est encadrée par la loi du 31 décembre 1975 ; les intervenants extérieurs sont visés par l’arrêté sur les INB du 7 février 2012. Les antécédents juridiques sont la loi sur la transparence et la sûreté en matière nucléaire du 13 juin 2006 et la directive 2014/87/Euratom du 8 juillet 2014.
La disposition de l’article 124 de la loi sur la transition énergétique aura un impact économique, financier et industriel considérable. La limitation de la sous-traitance en matière nucléaire ouvre effectivement un certain nombre de problématiques juridiques. Consisterait-elle en une atteinte à la liberté d’entreprendre ? Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a observé, le 30 novembre 2012, que la liberté d’accéder à une profession peut être limitée pour des motifs d’intérêt général et conciliée avec les autres impératifs de nature constitutionnelle, sans toutefois subir de limitation disproportionnée. Il est également possible d’observer des conflits de logique juridique entre l’exigence d’une surveillance des intervenants extérieurs qui doivent respecter la réglementation applicable aux exploitants et l’exécution d’une obligation de résultat à la charge du prestataire. Or, ces exigences sont difficilement compatibles.
Un projet de décret d’application de l’article 124 de la loi sur la transition énergétique est en cours d’élaboration pour encadrer ou limiter le recours à des prestataires ou à la sous-traitance. Ses dispositions devront respecter les limites précédemment établies par le Conseil constitutionnel.
La fiscalité écologique peut être mise au service de la transition écologique ainsi que l’a exposé Laura Jaeger, maître de conférences à l’Université de Nîmes. La fiscalité écologique s’applique en effet aux trois problématiques environnementales que sont la consommation de ressources, le changement climatique, les pollutions. Elle peut servir la transition énergétique par trois biais. Tout d’abord en emportant un effet de dissuasion sur un comportement (écotaxes…) ou un produit polluant. En ayant un effet d’incitation en faveur d’une action soutenant la transition énergétique (crédit d’impôt de développement durable, bonus écologique…). Ou par une affectation des sommes prélevées au financement de la transition énergétique. La loi relative à la transition énergétique est cependant un texte de déclaration d’intention sans politique de moyens clairement énoncés. La question du verdissement de la fiscalité reste entière. Or, c’est un vecteur essentiel pour guider les investissements vers la transition énergétique.
La France n’est pas le seul pays à se préoccuper de la transition énergétique. La démarche est aussi engagée à l’étranger pour des raisons variées : amenuisement des ressources minières ou pétrolières, choix politique d’abandon de certaines formes d’énergies au profit de ressources plus propres ou plus acceptables socialement. Donatien Chang, Ren-Chuan Kao de l’Université de Taipei, Ming-Shiou Cherng (Université SooChow) et Chun-Sheng Chen, grand juge auprès de la Cour constitutionnelle, ont montré que Taïwan est désormais au carrefour de la transition énergétique. Cette problématique s’impose en raison des préoccupations liées au changement climatique et des impératifs de sécurité énergétique, ce qui a conduit le Parlement taïwanais (Taïwan n’est pas partie à la CCNUCC) à adopter en juin 2015 une loi sur la réduction des émissions de CO2.
La politique taïwanaise en matière de sécurité énergétique vise à accélérer les améliorations en termes d’efficience, à diversifier les approvisionnements et minimiser l’instabilité des prix. La part du nucléaire dans la production d’énergie primaire est passée de 11,8% en 1999 à 8,3% en 2014. Le nucléaire représente actuellement trois sites exploités (deux au nord de l’île, un au sud) et un site en construction dans la partie nord du pays. Cependant, l’après-Fukushima a vu se développer le mouvement « No Nuke ». Si bien qu’en 2011, le Président de Taïwan a émis le souhait de voir la sûreté nucléaire renforcée et de promouvoir le développement des énergies vertes. Toutefois, les énergies renouvelables posent plusieurs problèmes de disponibilité du fait de la faiblesse des conditions naturelles et technologiques. Les éoliennes offshore ne sont présentes qu’au nord-est, l’hydraulique est soumis à des écarts de pluviosité dans le pays, le solaire thermique n’est développé qu’au sud de l’île et le développement du solaire photovoltaïque reste complexe. Plusieurs lois ont été adoptées ces dernières années à Taïwan : la loi de développement des énergies renouvelables en 2000, le projet « 1.000 éoliennes » à terre et en mer en 2012 (qui pose les problèmes du bruit, des compensations aux pêcheurs, du transport sur la longue distance…), le projet d’« 1 million de panneaux solaires » en 2012 (avec les inconvénients du coût, des terrains limités et de la pollution liée à la production des panneaux…).
De manière générale, cette sixième édition de la réflexion sur les droits et contentieux nucléaires a permis de souligner que la plupart des économies sont aujourd’hui au tournant de la transition énergétique s’ils souhaitent disposer de l’indépendance énergétique tout en devant résoudre les difficultés liées aux énergies renouvelables, au traitement des déchets nucléaire et à la sûreté du secteur.
Le programme est disponible ICI.
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