Le principe du silence de l’administration valant désormais autorisation implicite
Auteur : Muriel Rambour, maître de conférences à l’UHA, membre du CERDACC
Le 1er novembre 2014 a vu la parution au Journal officiel d’une quarantaine de décrets établissant les conditions d’application du principe de l’approbation tacite. Le silence gardé par l’administration sur une demande d’autorisation qui lui aura été soumise vaut désormais accord pour près de 1200 procédures, notamment en matière environnementale.
Mots-clés : « Choc de simplification » – Silence de l’administration – Autorisation implicite – Exceptions
Pour se repérer
Le silence de l’administration valant rejet implicite de la demande d’un administré constitue une fiction ancienne et fameuse du droit français (pour une analyse de l’évolution de ce principe, et notamment de sa dimension jurisprudentielle, cf. Muriel Rambour, « ‘‘Qui ne dit mot consent’’. Quand le silence de l’administration vaut accord », Petites Affiches, à paraître). A l’occasion de sa conférence de presse du 28 mars 2013, le Président de la République suggérait de proposer aux citoyens une « forme de révolution » au terme de laquelle « dans de nombreux domaines, pas tous, le silence de l’administration vaudra désormais autorisation et non plus rejet ». Le Comité interministériel pour la modernisation de l’action publique du 17 juillet 2013 a repris cette idée en indiquant que « l’adoption du principe de l’accord tacite permettra à chacun de bénéficier de l’accord de l’administration en cas d’absence de réponse de sa part pour les démarches les plus courantes ».
Pour aller à l’essentiel
La loi n°2013-1005 du 12 novembre 2013 habilitant le gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens (JO RF n°0263 du 13/11/2013) introduit en son article 1er le principe selon lequel « le silence gardé pendant deux mois par l’autorité administrative sur une demande vaut décision d’acceptation ». Il s’agit là d’un renversement de perspective par rapport aux prescriptions de l’article 21 de la loi n°2000-321 du 12 avril 2000 sur les droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations qui maintenait la règle de l’assimilation du silence à une décision de rejet tout en faisant passer de quatre à deux mois le délai donné aux services administratifs pour apporter leur réponse. Ce sont ainsi près de 1200 procédures (Diane Poupeau, « Le silence de l’administration vaut accord, sauf si… », AJDA, 2014, p. 2156) qui seront soumises à cette règle dans un délai d’un an à partir de la promulgation de la loi de 2013 pour les actes relevant de la compétence de l’Etat et ses établissements publics administratifs, puis de deux ans pour les actes pris par les collectivités territoriales et leurs établissements publics, les organismes de sécurité sociale et les autres organismes chargés d’une mission de service public. Il en va ainsi, par exemple, au titre du Code de l’environnement, de l’évaluation des incidences sur les sites Natura 2000, de l’agrément pour une première utilisation confinée d’un organisme génétiquement modifié de classe de confinement 2, de l’agrément d’associations de protection de l’environnement, ou encore, au titre cette fois du Code de la défense, de l’accord d’exécution d’un transport de matières nucléaires autres que celles de la catégorie I et II, s’agissant des transports en provenance ou à destination de l’étranger de matières nucléaires intéressant la défense nationale déposée par un opérateur habilité.
Le nouveau dispositif a pour objectif initial d’inviter l’administration à répondre à brefs délais tout en voyant sa charge de travail allégée. La mise en application de la règle du silence valant acception, présentée comme une authentique « révolution juridique », apparaît cependant complexe au vu des décrets pris en octobre dernier (Décrets n°2014-1263 à 2014-1308 du 23/10/2014, JO RF n°0254 du 01/11/2014) qui y opposent notamment de nombreuses dérogations.
Le paragraphe I de l’article 21 de la loi du 12 avril 2000 dans sa rédaction issue de la loi de novembre 2013 prévoit en effet une série de cas de figure dans lesquels le silence continuera de valoir refus de la demande : 1° lorsque la demande ne tend pas à l’adoption d’une décision présentant le caractère d’une décision individuelle ; 2° lorsque la demande ne s’inscrit pas dans une procédure prévue par un texte législatif ou réglementaire ou présente le caractère d’une réclamation ou d’un recours administratif ; 3° si la demande présente un caractère financier sauf, en matière de sécurité sociale, dans les cas prévus par décret ; 4° dans les cas, précisés par décret en Conseil d’Etat, où une acceptation implicite ne serait pas compatible avec le respect des engagements internationaux et européens de la France, la protection de la sécurité nationale, la protection des libertés et des principes à valeur constitutionnelle et la sauvegarde de l’ordre public ; 5° dans les relations entre les autorités administratives et leurs agents. Le paragraphe II du même article dans sa version consolidée envisage les hypothèses où des décrets en Conseil d’Etat et en Conseil des ministres écartent l’application de l’acceptation implicite « eu égard à l’objet de la décision ou pour des motifs de bonne administration » ou admettent la mise en œuvre du principe mais avec un délai distinct des deux mois de droit commun « lorsque l’urgence ou la complexité de la procédure le justifie ».
Pour aller plus loin
Le régime des exceptions précitées donne au « choc » annoncé des airs de simplification en trompe l’œil. Quoiqu’il en soit, la règle prescrivant que le silence de l’administration vaut acceptation tacite implique un changement de paradigme juridique. Tandis que le rejet implicite consacrait la mission dévolue à l’administration de gardienne de l’intérêt général, l’article 21 de la loi relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les services administratifs dans sa nouvelle écriture fait prévaloir les prérogatives individuelles. Afin de parer à toute conséquence indésirable du fait de son inertie, l’administration pourrait se trouver incitée à traiter les demandes soumises, certes avec célérité, mais en leur opposant par précaution une décision explicite de rejet. A charge pour les citoyens d’utiliser le droit de recours que leur ouvrait auparavant déjà – ironie de la démarche – le mécanisme du rejet implicite…