LE DELIT D’APOLOGIE DU TERRORISME : ENTRAVE JUSTIFIEE A LA LIBERTE D’EXPRESSION ?
Sans prétendre à l’exhaustivité, nous proposons une brève présentation de l’infraction d’apologie du terrorisme. La répression de cette infraction constitue une atteinte à la liberté d’expression. Afin de déterminer si cette atteinte se justifie, nous prenons le parti de la mettre en perspective avec l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme qui protège mais encadre également cette liberté. Enfin, nous évoquerons les difficultés d’ordre constitutionnel que pose la répression de cette infraction.
Mots-clés : apologie du terrorisme – infraction de presse – article 10 de la CEDH
« Ils ont eu raison à Charlie Hebdo, ils auraient dû tous vous tuer », le 19 janvier 2015 ces propos ont valu à son auteur une condamnation par le tribunal correctionnel de Béziers à une peine de 6 mois d’emprisonnement. « Je suis Charlie Coulibaly », l’humoriste Dieudonné M’Bala M’Bala sera très prochainement jugé par le Tribunal Correctionnel de Paris pour ces propos.
Ces propos tenus alors même que certaines des 17 victimes des attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015 n’avaient pas encore été inhumées ne brillent indubitablement pas par leur subtilité. Est-il pour autant justifié de les voir entrer dans le champ pénal ? Où se situent en la matière les limites de la liberté d’expression ?
L’article 421-2-5 du Code pénal dispose « Le fait de (…) faire publiquement l’apologie de ces actes est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende.
Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 € d’amende lorsque les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne.
Lorsque les faits sont commis par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle ou de la communication au public en ligne, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables ».
L’article 10 de la Convection Européenne des Droits de l’Homme stipule « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
1 – Les contours du délit d’apologie du terrorisme
Le droit français sanctionne lourdement l’apologie du terrorisme mais quels sont exactement les contours de cette infraction ?
L’article 421-2-5 du Code pénal réprime à la fois le « fait de provoquer directement à des actes de terrorisme » mais aussi celui de « faire publiquement l’apologie de ces actes ». Une première difficulté réside dans la distinction entre les concepts de provocation et d’apologie.
La provocation directe est une incitation à commettre l’infraction. La personne provoquée doit se retrouver dans un état d’esprit qui porte à la commission d’actes de terrorisme et il faut que l’auteur ait la volonté, du moins la conscience, de créer un état d’esprit propre à susciter cette atteinte (JCl Lois Pénales Spéciales, V° Presse et communication, Fasc. 60).
Il convient ici de préciser que dans le cas où la provocation serait suivie d’effet, l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse érige l’auteur de cette provocation en complice de l’infraction commise lequel encourra la même peine que s’il était auteur principal de l’infraction (Code pénal, art. 121-6), ce qui, dans le cas du terrorisme, peut porter la peine encourue à la réclusion criminelle à perpétuité.
L’apologie pénalement réprimée consiste en une glorification ou une justification valorisante d’un acte criminel ou de son auteur (CA Paris, 21 janvier. 2009, n° 08/02208).Le délit d’apologie du terrorisme nécessite la réalisation de deux conditions : la publicité et le caractère apologétique du propos.
Pour ce qui est de la publicité, deux points sont à évoquer le vecteur du message et son destinataire.
Bien que l’article 421-2-5 du Code pénal soit sur ce point muet (v. infra « fondements d’une QPC sur l’article 5 de la loi n°2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme »), nous pouvons nous référer à l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 qui dispose que le vecteur du message apologétique peut être « des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique ».
Pour ce qui est du destinataire du message apologétique, il convient de raisonner par analogie avec d’autres infractions de presse, notamment l’injure ou la diffamation. Une communication adressée à un public indéterminé, accessible à tout le monde entre dans le champ pénal comme étant publique. A l’inverse, lorsque le public destinataire de la publication est lié par une communauté d’intérêt, la communication sera non publique. Ainsi, distribuer une lettre aux membres d’un syndicat a été jugé comme non public (Crim., 17 mars 1980 : Bull. crim. 1980, n° 91 ; Gaz. Pal. 1980, 2, p. 775), inversement, le fait d’agrafer cette lettre au journal du syndicat, accessible à tout le monde, est public (Crim., 21 juin 2005 : Comm. Com. Électr. 2005, comm. p. 166, obs. A. LEPAGE).
S’agissant de la communication électronique, le principe est celui du caractère public des messages diffusés sur les forums de discussion (CA Paris, 1ère ch. B, 5 juin 2003 : Comm. com. électr. 2004, comm. p. 35, note A. LEPAGE), tout comme les pages web accessibles à tout internaute (CA Paris, ch. acc., 23 juin 2000 : Légipresse, novembre 2000, III, p. 182, note C. ROJINSKY). En revanche, des propos tenus sur un forum dont l’accès est limité à une liste restreinte d’utilisateurs sont considérés comme privés (TGI Paris, réf., 5 juillet 2002 : D. 2003, somm. p. 1536, obs. L. MARINO).
L’apologie est le fait de se féliciter de la commission d’un acte de terrorisme, il s’agit donc d’un comportement intervenant postérieurement à la commission d’un tel acte. La provocation se situant a contrario fort logiquement en amont d’un potentiel acte de terrorisme.
Une difficulté réside dans l’hypothèse où, dans un contexte particulier, notamment celui postérieur aux attentats de Paris des 7, 8 et 9 janvier 2015, l’apologie d’un acte de terrorisme pourrait être interprété comme une provocation à commettre de tels actes. L’auteur d’une apologie du terrorisme peut en effet avoir la volonté, du moins la conscience de provoquer à de tels actes.
Quelle qualification retenir ? Le législateur ayant fait le choix de l’unicité de répression entre les infractions de provocation et celles d’apologie, soit une peine de 5 années d’emprisonnement et 45000 € d’amende, l’option sera indifférente pour le prévenu. En revanche, l’élément intentionnel de l’apologie étant bien plus aisé à caractériser que celui de la provocation, on peut éventuellement provoquer inconsciemment, en revanche faire inconsciemment l’apologie d’un acte de terrorisme est intellectuellement plus difficile à concevoir, le Juge pénal préférera certainement opter pour la seconde qualification.
Mais cette unicité de répression est-elle justifiée ? Peut-on réellement mettre sur le même plan une provocation et une apologie, encourager et se féliciter ? L’interdiction de la provocation se rapproche des infractions obstacle, le Législateur cherche ici à circonscrire le risque terroriste. L’interdiction de l’apologie apparaît comme une entrave à la liberté d’expression. Certains auteurs classent l’apologie dans la catégorie des provocations indirectes, au même titre que les incitations à la haine raciale ou à la discrimination. L’expression apologétique ne provoque pas à la commission d’une infraction mais participe à un climat susceptible d’entrainer la commission de tels faits.
2 – La compatibilité du délit d’apologie du terrorisme avec la Convention Européenne des Droits de l’Homme
La Convention Européenne des Droits de l’Homme garantit la liberté d’expression tout en admettant certaines limitations. L’infraction d’apologie du terrorisme est-elle compatible avec les dispositions de l’article 10 de ce texte ?
L’article 10 2 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme stipule « L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime ».
La Cour Européenne des Droits de l’Homme n’est donc, en principe, pas hostile à la sanction, par les Etats, de propos pouvant mettre en cause leur sûreté ou inciter à commettre des infractions. La provocation au terrorisme est évidemment de nature à justifier, aux termes cette Convention, une limitation à la liberté d’expression, le cas échéant au travers de sanctions.
Qu’en est-il de l’apologie ? Les juges de Strasbourg ont pu estimer que la lutte contre l’apologie du terrorisme est en soi une mesure « nécessaire dans une société démocratique » (CEDH, gde. ch., 8 juillet 1999, n° 23556/94 Ceylan c. Turquie). Les juges de Strasbourg considèrent que les déclarations pouvant être qualifiées de discours de haine, d’apologie de la violence ou d’incitation à la violence ne sauraient bénéficier de la protection de l’article 10 de la Convention (CEDH, 4 décembre 2003, n° 35071/97, Günduz c. Turquie).
En revanche, la Cour se montre très vigilante quant au quantum des sanctions prononcées (CEDH, 8 juillet 1999, Sürek c. Turquie). Elle n’a ainsi pas sanctionné la France qui avait condamné à une faible peine d’amende une personne reconnue coupable d’apologie du terrorisme, en l’occurence les attentats du 11 septembre 2001 (CEDH, 2 octobre 2008, n°36109/03 Leroy c. France). Il s’agissait en l’espèce d’un hebdomadaire basque qui, deux jours après les attentats du 11 septembre 2001, avait publié un dessin représentant l’effondrement des tours du World Trade Center accompagné d’une légende « nous en avions tous rêvé, le Hamas l’a fait ». Le directeur de publication de l’hebdomadaire et l’auteur du dessin furent, selon les modalités prévues aux articles 42 et 43 de la loi du 29 juillet 1881, condamnés respectivement pour apologie du terrorisme et complicité d’apologie du terrorisme.
En France l’apologie du terrorisme étant punie d’une peine de 5 ans d’emprisonnement et 75000 € d’amende, à n’en pas douter, une telle sanction, si elle venait à être prononcée, s’attirerait les foudres de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Une diminution du quantum de la peine encourue pour apologie du terrorisme semble, au regard de la jurisprudence Strasbourgeoise, indispensable.
3 – L’apologie du terrorisme à l’épreuve du contrôle de constitutionnalité
Si le Conseil constitutionnel n’a pour l’heure pas eu à se prononcer sur le constitutionnalité du délit d’apologie du terrorisme, il n’en demeure pas moins que des difficultés se présentent.
La répression de l’apologie du terrorisme se rapproche de celle du négationnisme et pose, à ce titre des problèmes similaires. Ainsi Robert Badinter écrivait « Seule l’autorité judiciaire a qualité pour dire si un crime a été commis et quels en sont les auteurs. Ainsi le génocide juif par les nazis a été établi par le Tribunal Militaire International de Nuremberg. Ce tribunal, auquel participaient des magistrats français, est issu des Accords de Londres de 1944 signés par la France. L’autorité de la chose jugée en France était acquise à ses jugements.(…). Rien de tel n’existe pour le génocide arménien de 1915 ». (Robert Badinter, Génocide arménien : la pitié dangereuse, Le Huffington Post, 25 janvier 2012). Le Conseil Constitutionnel l’a suivi dans son raisonnement considérant qu’en réprimant la contestation de l’existence et de la qualification juridique de crimes qu’il aurait lui-même reconnus et qualifiés comme tels, le Législateur a porté une atteinte inconstitutionnelle à l’exercice de la liberté d’expression et de communication (Cons. Const. 2012-647 DC).
Ce raisonnement devrait en principe empêcher la répression de l’apologie d’actes de terrorisme lorsque cette apologie a été commise avant qu’une juridiction ne se soit prononcée sur la qualification à donner à ces faits. En effet, si le Conseil Constitutionnel considère qu’il n’est pas possible de sanctionner pénalement la négation de faits que le Législateur a, d’autorité, qualifié de génocide, il devrait en être de même de l’apologie de comportements dont-il n’a pas encore été jugé qu’ils étaient constitutifs d’actes de terrorisme !
Ainsi, il devrait être nécessaire d’attendre qu’une juridiction ait définitivement statué et qualifié les faits survenues les 7, 8 et 9 janvier 201 d’actes de terrorisme pour pouvoir en réprimer l’apologie.
Sur la question de la constitutionnalité de l’article 421-2-5 du Code pénal, Reporters Sans Frontières propose des « fondements d’une QPC sur l’article 5 de la loi n°2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme ».
L’apologie du terrorisme, au même titre que les propos négationnistes, est nauséabonde mais relève de la liberté d’expression. La réprimer est souvent vain et pire, fait le jeu de ses promoteurs. Le meilleur moyen de lutter contre de tels propos reste sans aucun doute l’éducation et le débat d’idées !
William LAURENT
Avocat, chargé d’enseignements à l’UHA,
membre du CERDACC