Langue de bois et parler vrai

Le président du groupe socialiste à l’Assemblée Nationale Jean-Marc Ayrault et le porte-parole des députés PCF Roland Muzeau ont demandé il y a peu l’arrêt du débat sur l’identité nationale qui selon eux donne une image négative de la France ». « Il est temps d’arrêter les frais. Il est temps de mettre fin à cette caricature de débats, à cette dérive qui laisse remonter toutes les rancoeurs à la surface« . Il s’est déclaré « heureux de constater qu’un certain nombre de personnalités » demandent l’arrêt du débat, « y compris de droite« , comme Alain Juppé, qu’il a croisé à Copenhague lors du sommet sur le climat.

Les débats en préfecture sur l’identité nationale deviennent « des lieux où la parole du Front national se libère« , a estimé pour sa part Roland Muzeau, porte-parole des députés communistes, républicains et Front de gauche. « Nous réécrivons cet après-midi au président de la République pour lui demander de mettre un terme à cette opération nauséabonde« , a-t-il ajouté. »Il faut mettre un terme à cette opération de plus en plus nauséabonde« , a dit le député PC des Hauts-de-Seine lors d’une rencontre avec la presse. « Libérer la parole raciste dans notre pays ce n’est pas rendre service à la liberté, l’égalité, la fraternité. Je crois qu’on est encore loin de mesurer les dégâts que peut faire une telle campagne.« 

Voilà quelques une des réactions qu’a entraîné le débat sur l’identité nationale. Le mot à la mode c’est « dérapage. » Nous vivons dans un pays où l’on peut rire de tout et encore c’est selon l’humouriste, mais dans lequel on peut pas parler de tout. Si on ne peut s’exprimer, alors ne lançons pas de débat et si on lance un débat, laissons les gens s’exprimer et tant pis si certains dérapent, c’est un risque à prendre. La différence entre les citoyens et les hommes ou femmes politiques c’est que le citoyen parle vrai, il suffit d’aller boire son pastis sur le coup de midi dans un bistrot pour entendre ce que pensent certaines personnes et ce que répondent leurs contradicteurs, là il n’ ya pas de langue de bois.

La langue de bois est définit par un discours parlé ou écrit, convenu, figé, incantatoire, délivrant un message coupé de la réalité, n’apportant aucune information nouvelle ou intentionnellement truquée, voire manipulatoire. Cette langue de bois est pratiquée par les politiques qui y ajoutent le « sophisme. » A l’inverse « parler vrai« , c’est désigner les choses par leur nom, ne laisser subsister aucune ambiguïté, même et surtout s’il s’agit de dire des choses désagréables, d’annoncer de mauvaises nouvelles, ou de formuler desthèses qui ne sont pas conformes au ron-ron rassurant qu’emploient les autres. Voire à la ligne officielle du parti ou au conformisme médiatique. Alors évidemment quand on pratique le « parler vrai« , il y a effectivement des risques de dérapages, mais je crois qu’il faut les accepter et encore quand je parle de dérapages c’est souvent tout simplement du poliquement incorrect.

J’ai trouvé dans le magazine « lire« consacré à Socrate un article consacré aux nouveaux sophistes et bien sûr les politiques en font partie.L’homme politique est maître du discours, des mots, des paroles et des histoires qui vont avec. A part les discours de circonstances, l’homme d’Etat d’envergure se doit d’emporter son public, son auditoire et pourquoi pas son peuple vers une histoire qui le fasse rêver. Christian Salmon (1) fut le premier, à théoriser, on s’en souvient, cette histoire de storytelling (2). Impoprté de l’univers du management, le storytelling a investi la politique. D’ailleurs, ce n’est pas une nouveauté car, toujours, l’histoire, de l’Empire romain à la chute du Mur de berlin s’est soutenue, par de grands récits qui faisaient vibrer les masses, les peuples, les communautés instituées.

Un proche de Nicolas Sarkozy, Laurent Solly alors directeur de campagne du candidat  déclara, lors de la dernière campagne présidentielle, que « la réalité n’a aucune importance, il n’y a que la perception qui compte » , une phrase qui aurait pu être prononcée par un sophiste sur l’antique agora, chassant le client avide d’apprendre à discourir de tout, sans être pris en défaut. Pour Christian Salmon  le storytelling  est orienté vers le futur, trace les conduites, scane les émotions, tend un mouchoir aux individus. Comme le sophiste, l’homme politique part à la « chasse à l’homme« , pour en disposer dans de beaux récits aux mailles sérrées. C’est Henri Guaino, actuel conseiller de Nicolas Sarkozy, qui avait été le plus lucide  » la politique, c’est écrire une histoire partagée par ceux qui la font et par ceux à qui elle est destinée. On ne transforme pas un pays sans être capable d’écrire et de raconter une histoire. » Inutile d’évoquer, ici, le gougnafier qui trompe son monde, entre deux tournées. Peu importe les sympathies personnelles, la politique, c’est raconter une histoire suscitant du désir, mobilisant chacun vers un horizon…, même si c’est l’entreprise mais, à l’évidence, le bât blesse ceux que libéralisme révulse. La simple gouvernance, mot pour dire gestion, n’a jamais fait rêver persone; alors l’homme politique, à l’instar du sophiste, se doit de produire du simulacre, un « comme si » qui a force d’entraînement. L’homme politique comme le sophiste, qui parle de choses divines, est voué à une parole enchanteresse.

Etonnez vous après ça, que les hommes politiques considérent parfois le « parler vrai » comme un dérapage. Si les politiques ont une parole enchanteresse, le citoyen lui vit la vraie vie et quand on lui demande de s’exprimer il le fait sans langue de bois. Oui je sais cela dérange. Le débat sur l’identité nationale ne me dérange personnellemnt pas, ce sont nos « elites » qui sont gênés par ce parler vrai considéré comme politiquement incorrect.

 PS : (1) et (2) Christian Salmon, Storytelling. La Machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits.

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