La recherche : guérir ou éradiquer ?

Un extrait du courrier d’un lecteur, que j’ai reçu sur mon adresse internet.

Je viens de lire ce que vous avez écrit sur le téléthon. Tous les ans j’envoyais par internet une somme relativement importante mais je ne sais pas ce que je vais faire cette année, mon frère trisomique adoré nous ayant quittés.
Je sais bien que la trisomie n’a pas bénéficié des sommes versées, seul, le Professeur Lejeune, dont l’assistante, M.O.Réthoré, suivait mon frère, avait découvert la cause de ce handicap. Je donnais par une sorte de solidarité.

La Solution ne serait-elle pas de faire un seul appel aux dons et de partager les sommes recueillies?

Cordialement,

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Même si vous m’avez envoyé ce courrier à titre privé, j’ai tenu à le mettre en valeur car il est courageux et vrai. Des gens comme vous qui vivent ou ont vécu le handicap d’un proche savent de quoi ils parlent. J’ai voulu faire part de votre courrier car vous posez là un vrai problème d’éthique en parlant de la trisomie 21, mais cela aurait pu être un autre handicap.

L’Église catholique s’est opposé au téléthon il y a quelques années parce que certaines recherches portent sur les embryons humains. L’Église a laissé à penser que l’argent récolté par le téléthon était donc, en fonction des recherches, pour partie utilisé afin de « supprimer les enfants myopathes » avant leur naissance.

Vous avez raison, c’est le professeur Lejeune qui a découvert ou plutôt qui est à l’origine de la découverte de la trisomie à savoir un surnombre total ou partiel du chromosone 21. Lorsque l’on a découvert l’origine de la trisomie le professeur Lejeune a cru que l’on pourrait et croit toujours à la possibilité de la guérir. En fait, ce n’est pas ce qui se passe. Dans la réalité lorsque l’anomalie chromosomique est détectée les médecins proposent aux parents de ne pas garder l’enfant et si ce handicap a tendance à disparaître, ce n’est pas parce que l’on guérit la maladie mais parce que on élimine les embryons porteurs du handicap. A noter que des parents refusent l’avortement qu’il soit dans les délais légaux ou hors délais parce que considéré comme thérapeutique. Ils veulent garder l’enfant.

Le professeur Lejeune refusait ce qu’il appelait une fatalité. Il a créé une fondation qui, plutôt que d’éliminer les embryons, travaille avec son équipe dans l’optique de permettre aux trisomiques d’avoir une vie la plus normale possible. Elle ne reçoit pas d’argent en provenance du téléthon. Alors doit-on laisser venir au monde un enfant dont on peut déceler à l’état embryonnaire qu’il sera trisomique ? Oui dit l’Eglise, non disent d’autres.

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Les lecteurs de ce blog savent que je n’hésite pas à prendre position sur bien des sujets et pourtant sur celui-ci j’hésite. Il est facile, pour ceux qui ne sont pas directement concernés, de faire la leçon aux autres, mais pour ceux qui vivent le handicap (parents, fratrie…) il ne s’agit pas de leçon mais de vivre une vie particulière. En France, on manque terriblement d’établissements si bien que pour de nombreux parents d’un enfant handicapé, c’est une vie de reclus: on ne sort plus, on n’a plus d’amis, c’est une présence permanente, une attention de tous les instants. Si le problème est génétique et que l’on s’aperçoit lors de l’amniocentése ou avant lors de la biopsie sur l’embryon que le handicap risque de se reproduire , est-il humain de demander à la jeune femme de garder son enfant alors qu’elle sait la vie qui l’attend parce qu’elle a vu ses parents vivre avec un fils ou une fille handicapé(e) et qui est son frère ou sa sœur . Il est facile de dire « gardez le » lorsque l’on est pas concerné.

Aujourd’hui, et ceux qui vivent dans le milieu du handicap le savent bien, la pression sociale est très forte et si l’amniocentèse se révèle positive, il faut alors faire preuve d’un immense courage pour garder son enfant. En effet si des parents refusent l’avortement et acceptent l’idée d’avoir un enfant handicapé parce qu’ils ne veulent pas supprimer la vie, ils sont alors traité d’égoïste.

En ce qui concerne la trisomie 21 le professeur Lejeune était dans le vrai.  » Il n’ y a aujourd’hui aucune volonté des autorités médicales de chercher à guérir cette maladie alors que cette volonté est bien réelle pour d’autres maladies d’origine génétique. « 

C’est à partir de cette constatation que j’ai moi même un problème d’éthique que je n’arrive pas à résoudre car je pense que si il est inhumain de laisser venir au monde des enfants dont on sait par avance qu’il auront une vie très difficile, que ce sera la fin d’une vie normale pour les parents et que la fratrie va également en souffrir, alors il ne faut pas les laisser venir au monde. Mais à l’inverse si l’objectif de notre politique sanitaire est d’éradiquer des maladies comme la trisomie 21 en faisant en sorte qu’aucun enfant porteur de ce handicap ne puisent venir au monde, je me dis qu’une fois que l’on aura éradiquer cette maladie on s’attaquera à d’autres maladies ou handicaps pour les mêmes motifs. Si on arrive là, alors on n’est plus très loin de l’eugénisme et là je dis non.

Je dirais pour conclure que Pierre Bergé n’a pas posé le vrai problème et l’AFM n’est pas bien claire sur ce sujet. Le vrai problème, celui qui à mon sens devrait être mis sur la table est celui-ci. La recherche, la génétique, la médecine sont-elles faites pour prévenir la maladie, la guèrir ou pour éliminer les malades ou les handicapés avant qu’ils ne viennent au monde ? De ce constat les vraies questions que j’aurais posées à Pierre Bergé et à l’AFM sont celle-ci :

Veut-on ou doit-on éradiquer les maladies en supprimant les malades avant leur naissance ?

Veut-on ou doit-on éradiquer le handicap en supprimant les handicapés avant leur naissance ?

Et prendre en compte le fait que si on sait ou ça commence, l’histoire nous a montré jusqu’où cela pouvait aller.

L’Eglise catholique a donné sa position et c’est la raison pour laquelle elle souligne les dangers de la recherche sur les embryons. La recherche doit à mon avis n’avoir qu’un seul objectif : celui de guèrir, en aucun cas celui de sélectionner.

On n’est plus dans un problème de mutualisation des dons,  mais bien au delà, tout simplement dans un problème d’éthique. C’est aussi un problème politique parce que si les pouvoirs publics avaient la volonté de créer des établissements ce serait certainement beaucoup plus simple pour les familles.

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