LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT LITTORAL ET MARIN
PAR LE JUGE JUDICIAIRE
Retranscription de la Conférence tenue à l’Université du littoral
– Côte d’Opale (ULCO), Boulogne-sur-Mer
Le 18 février 2014
Célia Callulier, étudiante en master 2ème année « Droit de la Prévention des Risques et Responsabilités », UHA
La conférence portant sur le thème « la protection de l’environnement littoral et marin par le juge judiciaire » s’est tenue dans les locaux de la toute nouvelle Université du Littoral et de la Côte d’Opale (ULCO) le 18 février dernier.
Monsieur le président du Groupement d’intérêt scientifique – Campus de la mer, et également directeur de l’Ifremer, Dominique Godefroy, ne manqua pas de nous présenter sa structure prometteuse, lors de la session d’accueil.
Le séminaire fut présidé tour à tour par Monsieur Bernard Drobenko, professeur des Universités en Droit public et directeur du Campus de la Mer, pour ce qui est de la session matinale, puis par monsieur Olivier De Baynast, Procureur général près la Cour d’appel de Douai pour sa session d’après-midi.
Les intervenants à la conférence étaient les suivants :
Dominique Godefroy, Président du Groupement d’intérêt Scientifique (GIS) Campus de la Mer
Olivier de Baynast, procureur général près la Cour d’Appel de Douai
Christophe Gibout, professeur des Universités en sociologie, Co-directeur du laboratoire TVES (Territoire, Ville, Environnement et Société) de l’ULCO et Président de la commission scientifique du GIS
Bernard Drobenko, Professeur des universités en droit Public, directeur du Campus de la Mer
Mme Evelyne Monteiro, Maître de Conférence – HDR, à l’ULCO, Spécialiste du Droit Pénal de l’Environnement
M. Pierre Boyer, Juriste à l’Office nationale des Milieux Aquatiques (ONEMA)
M. Jean-Philippe Rivaud, Substitut Général près la Cour d’Appel de D’Amiens et Vice-président du réseau des procureurs européens pour l’environnement
Mme Marie-Odile Bertella-Geffroy, Magistrat et ancienne juge d’instruction coordonnatrice du Pôle santé de Paris
M. Bernard-Marie Dupont, Psychologue, Médecin généticien et Agrégé de philosophie
Catherine Roche, Maître de Conférences – HDR Faculté de droit et de Sciences Sociales de Poitiers, Centre d’étude et de recherche sur les territoires et l’environnement
Marie-Pierre Camproux-Duffrène, Maître de Conférences – HDR à l’Université de Strasbourg, Centre de Droit de l’environnement de Strasbourg et Secrétaire générale de la Société Française de Droit de l’Environnement
Fabienne Fiasella, Substitut Général près la Cour d’Appel de Rennes, S’occupe spécialement des dossiers de pollution marine.
Monsieur le président Godefroy rompt le silence et présente les deux axes de recherches du Campus de la mer. Il s’agit d’atteindre une politique maritime et portuaire intégrée résolvant les problèmes actuels de gouvernance et de stratégie maritime, mais aussi d’élaborer une gestion optimale des ressources halieutiques afin d’atteindre une aquaculture intégrée soucieuse de la qualité des produits : objectifs tant locaux, qu’européens. Monsieur le président passe ensuite la parole à Monsieur Olivier De Baynast pour la suite de la présentation des débats.
Monsieur le procureur général s’attache à contextualiser judiciairement les joutes oratoires en perspective. Il relève que la protection de l’environnement est une priorité éminemment régionale pour ce qui est de la Picardie et du Nord-Pas-de-Calais. Bien qu’il note un déficit de textes pénaux applicables, sans dénigrer la qualité des textes existants, bien au contraire, il souligne leur « très haut niveau ». Il ne manque pas de mettre en exergue l’intérêt grandissant de l’Europe sur les questions découlant du droit pénal de l’environnement pour finir.
La parole est ensuite donnée à monsieur Gibout, qui nous a montré que la question ne pouvait être envisagée indépendamment de ses intérêts scientifiques et en matière d’urbanisme.
En dernier lieu, monsieur Drobenko, présidant la première partie du colloque, intervient pour clore le propos introductif. Sa problématique repose alors sur la question de savoir si le droit existant est suffisant et auquel cas, s’il pourrait alors être mieux appliqué. Sa réponse est sans conteste affirmative.
Il contribue dans un premier temps à la définition des pollutions littorales et maritimes en énonçant qu’elles relèvent de trois origines. Elles sont à la fois telluriques, issues de la gestion des déchets et maritimes intrinsèquement.
Après un point sur l’origine de l’évolution législative, issue des catastrophes et de l’impulsion donnée par la société civile et les associations, Monsieur le président nous donne son point de vue sur les conséquences de cette inflation : faut-il y voir une responsabilisation de l’Etat en tant que garant des principes objectifs énoncés ? En effet, droit conventionnel mais aussi constitutionnellement établi, l’appropriation de ce droit par les juges est progressive. Seulement, le recours au juge doit demeurer l’option de la dernière chance. Voilà pourquoi le développement d’une police administrative de l’environnement unique semble une bonne alternative à l’inflation législative. M. Drobenko prône ainsi un renforcement de l’efficacité des acteurs spécialisés plutôt qu’une simplification des outils, il va dans le même sens lorsqu’il réclame le développement d’une formation spécifique des magistrats.
Il termine son propos en relevant que le droit européen de l’environnement est un droit souple, qui permet aux Etats d’adapter les sanctions exigées aux nécessités des situations. Ces questions techniques impliquent donc la collaboration de tous les acteurs concernés.
Puis, c’est dans la perspective d’un avenir pour l’humanité incarnée dans la préservation de l’environnement que monsieur le président passe la parole à Madame le professeur Monteiro.
SESSION N°1 : Questions d’actualité du Droit répressif de l’environnement
Sous la présidence de Bernard DROBENKO
L’ordonnance du 11 janvier 2012 et les orientations de la politique pénale actuelle en matière d’atteintes à l’environnement
Intervention de Mme Evelyne MONTEIRO
Si Madame Monteiro déplore toujours l’absence de la circulaire d’application du ministère, et la méthode de législation employée, elle salue l’initiative de cette ordonnance entrée en vigueur le 1er juillet 2013, qui unifie enfin les 25 polices spéciales de l’environnement jusqu’alors en vigueur. En effet, ce texte génère un tronc commun de dispositions répressives à vocation générale désormais contenues dans le nouveau titre 7 du livre Ier du Code de l’environnement.
Dans le même temps et toujours dans un souci d’effectivité et d’efficacité, l’ordonnance abroge d’autres dispositions disparates et procède à la mise en concordance des textes extérieurs à ce même code. Cependant cette norme ne crée rien de nouveau mais étend à certains domaines les dispositifs estimés comme les meilleurs.
1ère partie. I – Une réforme a minima du droit répressif de l’environnement
A – L’harmonisation des dispositifs de recherche de constatation des infractions
L’innovation majeure du texte est l’introduction de l’article L. 172-1 du Code de l’environnement portant création des inspecteurs de l’environnement, agents spécialisés, chargés d’exercer des fonctions de police judiciaire dans ce domaine. Il s’agit là de regrouper des ingénieurs et techniciens existants, à qui l’on attribue des compétences déjà en vigueur dans la police de l’eau et des installations classées.
B – Le renforcement des mécanismes répressifs du droit de l’environnement
L’ordonnance procède à une harmonisation des sanctions pénales qui sont aujourd’hui regroupées des articles L. 173-1 à L. 173-12 du Code de l’environnement. L’esprit de la directive du 19 novembre 2008 semble alors pouvoir être respecté. En effet, celle-ci exigeait des états qu’ils prévoient des peines effectives, proportionnées et dissuasives. En plus d’une peine nouvelle très intéressante, figurant à l’article L. 173-3 1°, un système de peines aggravées a été prévu à la manière du système dit « du nœud coulant administratif », permettant l’aggravation respectivement, tant du non-respect de la police administrative, que des mises en demeure préfectorales.
Le dispositif dit « à double détente » a lui aussi été généralisé à toutes les polices. Aussi, le juge pénal peut sanctionner le non-respect d’une décision administrative, dans tous les domaines liés à l’environnement, y compris en usant de certains mécanismes de sanction propres à l’administration. Enfin, certains délits ont bénéficié d’une harmonisation globale comme le délit d’activités d’exploitation ou d’opérations non-autorisées, ou encore celui d’obstacle aux contrôles d’agents habilités à toutes les polices environnementales.
2ème partie. II – Les lacunes de l’ordonnance du 11 janvier 2012
A – Les véritables oublis
Madame Monteiro soulève que l’ordonnance n’a malheureusement pas supprimé l’irresponsabilité pénale et cas d’autorisation administrative, ce qui pourrait compromettre l’effectivité des textes répressifs.
Enfin, le second reproche sera celui de la transposition incomplète de la directive de 2008 précitée, négligeant la mise en danger d’autrui par le biais des atteintes à l’environnement. En effet, le ministère a procédé à l’interprétation de la notion d’incrimination du risque a minima sans prendre en compte concrètement l’éventualité d’une atteinte à la santé des personnes.
B – Les régressions paradoxales de cette ordonnance
Il convient de déplorer au sens de Madame Monteiro l’absence d’incrimination des conduites infractionnelles quand il y a cessation d’activité.
En outre, l’un des dangers de la généralisation de la transaction pénale, développée ensuite par Monsieur Boyer lors de son intervention, est l’aboutissement à une dépénalisation de facto. Madame Monteiro évoque même sur ce point une source de régression de l’ordonnance.
Contradictoire avec la directive de 2008, elle est même déconseillée en matière d’installation classée au regard de la circulaire du 19 juillet 2013.
En conclusion quelques mots sur l’émergence d’un modèle de réponse pénale fondée sur l’anticipation des risques :
Pour autant cette ordonnance constitue une réelle avancée législative en matière d’environnement. C’est un outil globalement intéressant et à la vision novatrice. En effet, comme le souligne Madame Monteiro, la responsabilité pénale ne se fonde plus seulement sur l’imputation des résultats dommageables, mais aussi sur une anticipation des risques créés envers les générations futures.
Sur cette conclusion, M. Drobenko ouvre le débat et plusieurs questions sont alors soulevées par le public.
Débat avec la salle :
Les questions ont tourné autour de certaines difficultés comme celles de la formation des agents de police judiciaire spécialisés, leur capacité à maîtriser des procédures judiciaires complexes et déterminantes, la réparation et la remise en état dans l’hypothèse de la cessation de paiement, la détermination d’une définition claire de la notion de remise en état, les alternatives aux poursuites et enfin l’implication des agents spécialisés sur les zones littorales et maritimes qui peut être limitée.
Les atteintes aux milieux aquatiques et la transaction pénale
Intervention de M. Pierre BOYER
Après nous avoir présenté l’établissement public de l’ONEMA, dont les agents ne sont compétents qu’en milieu fluvial, M. Boyer nous expose l’origine et les mécanismes de la transaction pénale. Prévue par l’article 6 du Code de procédure pénale, il s’agit d’une mesure, qui doit faire l’objet d’une disposition spéciale pour être applicable. Elle suspend l’action publique durant sa mise œuvre et l’éteint par son accomplissement intégral.
Cependant, M. Boyer ne manque pas de nous présenter ses avantages et ses inconvénients.
Les avantages relevés reposent essentiellement sur le désengorgement des tribunaux et l’augmentation du taux de réponse pénale, ainsi que sur l’opportunité qu’elle offre de fixer des modalités de remise en état en nature, c’est-à-dire par des obligations de faire. Ce dernier point étant toutefois critiqué en raison de la limitation scientifique actuelle du génie écologique. Elle offre toutefois au mis en cause la faculté d’opter pour une procédure moins onéreuse et offrant une grande discrétion, ce qui fait son succès mais aboutit à certains travers comme la généralisation d’amendes transactionnelles dérisoires (souvent forfaitaires) et tendant à être privilégiées par les mis en cause sur une remise en état intégrale du milieu. Ceci est d’autant plus inquiétant que dans les parquets où ce mode de règlement est pratiqué, il tend à se généraliser très rapidement.
Monsieur Boyer ouvre le débat sur la conciliation de cette alternative aux poursuites, avec l’exigence de la directive 2008 de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives, nous soumettant que cet objectif puisse ne pas être atteint.
Débat avec la salle :
Le débat alors ouvert, s’engage dans une critique décomplexée de la généralisation de cette mesure. Ceci ira jusqu’à dire que même la dimension de répression psychologique à l’encontre du délinquant au sein de la procédure pénale est anéanti. Le fait que les victimes ne soient pas informées de l’existence et du contenu de la transaction est aussi soulevé, quand bien même celle-ci n’éteint pas l’action civile.
Une perspective de Droit comparé
Interventions de M. Jean-Philippe RIVAUD, Mme Marie-Odile BERTELLA-GEFFROY et M. Bernard-Marie DUPONT
La parole est ensuite donnée à M. Rivaud afin qu’il présente à l’assistance le réseau européen des procureurs pour l’environnement.
Il s’agit d’une association récente de coopération internationale entre parquets, puisque constituée solennellement devant l’assemblée générale du 29 septembre 2012 tenue à Bruxelles. Celle-ci a pour objectif de contrer la principale difficulté commune à la faune ornithologique, aux échanges économiques et aux pollutions maritimes : l’ignorance des frontières. Elle regroupe déjà le savoir-faire de trois cent membres qui échangent sur leurs procédures, leurs jurisprudences et leurs législations en matière d’environnement.
Cet organisme développe les mécanismes de coopération au-delà de la sphère européenne, via des rapports étroits avec leurs homologues latino-américains notamment, mais aussi d’autres réseaux comme Interpol, Eurojust et l’IMP-MED.
Suivit l’intervention de Monsieur Drobenko qui rebondit sur le lien évoqué entre santé et environnement. Celui-ci présente alors Madame Bertella-Geffroy et Monsieur Dupont puis leur cède la parole afin qu’ils présentent la fondation pour une justice environnementale supranationale.
Cette fondation est à l’initiative d’une charte réclamant création d’un tribunal européen de l’environnement et de la santé. Celle-ci est déjà signée par une dizaine d’associations dont celle précédemment présentée par monsieur Rivaud. Ce lien entre pollution et cancer est important dans le sens où l’on peut encore constater, notamment, la réticence française à envisager le préjudice en termes de santé publique dans le dossier de l’amiante par exemple.
Monsieur Dupont y ajoute son point de vue de médecin en précisant qu’il est important que juristes et scientifiques collaborent étroitement sur ces dossiers face à l’enjeu de la durabilité. De son point de vue, dans certaines hypothèses, il sera impossible de revenir à « l’innocence biologique » initiale. D’où l’intérêt de créer une force académique européenne et transnationale sur ces questions.
Sur ces ambitions, Monsieur Drobenko prononce la césure matinale entre les deux cessions, les débats étant amenés à se poursuivre.
SESSION N°2 : Le contentieux judiciaire de l’environnement littoral et marin : quelles perspectives ?
Sous la présidence d’ Olivier DE BAYNAST
Après introduction de la cession par monsieur le procureur général, monsieur Rivaud reprend la parole pour nous exposer la nécessité d’une spécialisation accrue des magistrats.
Vers une spécialisation des magistrats dans le domaine des atteintes à l’environnement ?
Intervention de M. Jean-Philippe RIVAUD
Monsieur Rivaud appuie ses développements sur les aspects techniques liés aux questions environnementales abordées devant les tribunaux. Ces questions environnementales procèdent de fondements juridiques, scientifiques en raison de leur retentissement dans des domaines comme l’urbanisme ou la santé publique.
Cette spécialisation actuellement balbutiante et ayant tendance à péricliter regrettablement au sein de l’école nationale de la magistrature est pourtant nécessaire tant du point de vue du droit pénal que du droit civil, à l’image des suggestions émises par le rapport Jégouzo.
Bien que représentant une infime partie du contentieux, les questions environnementales doivent tendre à des mesures répressives effectives : on en revient aux objectifs fixés par la directive de 2008.
La parole est ensuite reprise par Monsieur De Baynast qui la cède immédiatement à Madame Catherine Roche.
La répression des pollutions maritimes par le juge pénal français : l’épilogue de l’affaire du pétrolier Erika
Intervention de Mme Catherine ROCHE
Madame Roche ne se revendique pas pénaliste et tient à le préciser.
Issu des grandes catastrophes maritimes de ces dernières années, le droit pénal de l’environnement repose essentiellement sur deux conventions internationales principales :
– la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de MONTEGO BAY de 1982,
– et la Convention MARPOL de 1973-1978 également appelée convention de Londres.
Au regard de ces conventions, l’affaire Erika posait devant les juridictions pénales, deux questions principales, à savoir la compétence des juridictions françaises, puis la conventionalité de l’article 8 de la loi du 5 juillet 1983 vis-à-vis de ces deux textes.
Dans le prolongement de l’arrêt rendu par le Cour de Justice de l’Union Européenne « Intertanko » le 3 juin 2008, l’un des moyens soulevé relevait de la non-compatibilité de la loi de 1983 avec les conventions susmentionnées.
La Cour écarta tout d’abord l’application de l’article 113-12 du Code pénal au profit de l’article 8 de la loi de 1983 conformément au principe specialia generalibus derogant.
Ensuite, elle raisonne comme la Cour d’appel sur l’objet et le but poursuivi par les deux conventions : elle retient alors la compétence française comme acquise au regard de la conciliation des articles 220-6 et 228 de la Convention de Montego Bay en s’appuyant sur le dommage grave causé à l’Etat côtier qui pourtant n’était pas un critère discriminent de compétence.
La Cour fait ensuite concorder l’objet de l’article 8 de la loi de 1983 avec le préambule de la Convention MARPOL visant tous les deux à la lutte contre les pollutions et plus spécifiquement par rejets d’hydrocarbures pour ce qui est de la Convention de Londres.
La Cour écarte ensuite assez succinctement les exceptions de compétence figurant à la règle 11 de la Convention, en précisant que toutes les précautions n’ont pas été prises après le naufrage.
En dernier lieu, la responsabilité est étendue en vertu de l’article 8 de la loi de 1983, à toute personne ayant « un pouvoir de contrôle ou de direction dans la gestion ou dans la marche d’un navire », ceci permet à la Cour donc de consacrer le principe selon lequel les Etats signataires n’ont pas voulu imposer une liste limitative de personnes pouvant être poursuivies aux législateurs nationaux.
Enfin le réel apport de l’arrêt au sens de Madame Roche, repose sur l’engagement de la responsabilité de la société Total en vertu du non-respect d’une obligation de sécurité qu’elle s’était elle-même imposée. Ceci permet alors de se questionner sur la portée juridique des règles de « RSE[1] » mises en place au sein des entreprises actuellement et leur retentissement sur la responsabilité de ces industries.
Madame Roche, sur cette ouverture, cède la parole à Madame Camproux-Duffrène pour les questions de réparation civile découlant de la même affaire.
La réparation civile du préjudice écologique : l’affaire Erika et ses suites
Intervention de Mme Marie-Pierre CAMPROUX-DUFFRÈNE
Madame Camproux-Duffrène commence par établir son postulat de départ : quand on parle de réparation, on est dans les suites de la responsabilité, c’est-à-dire que l’accident a eu lieu, le dommage est avéré. Nous ne sommes plus dans la prévention, la dissuasion, ou l’anticipation comme lorsque l’on parle de compensation environnementale dans le cadre d’installations classées.
Aussi nous ne sommes plus dans de la responsabilité civile mais dans de la réparation civile du préjudice écologique.
C’est ce même préjudice écologique que vient consacrer la jurisprudence Erika, seulement son régime juridique reste largement à définir. Aussi les développements de Madame Camproux visent à démontrer qu’il s’agit d’un préjudice distinct, dont les contours sont difficiles à préciser et dont les modalités de réparation doivent évoluer.
- Sur l’existence d’un préjudice distinct
Distinction est faite entre dommage environnemental, factuel, définit à l’article L. 161-1 §1 du Code de l’environnement, et préjudice écologique, fiction juridique, définit par la Cour comme un préjudice consistant en l’atteinte à la fois directe et indirecte à l’environnement et découlant de l’infraction.
Madame Camproux-Duffrène s’efforce de nous faire saisir qu’il existe des conflits de définition de la notion de préjudice écologique, ceci aboutissant à une certaine difficulté à le cerner précisément et donc à le caractériser puisqu’il tend à se détacher de l’atteinte aux droits patrimoniaux et de l’atteinte aux droits extrapatrimoniaux, faisant de lui un préjudice réellement unique appelant à une réparation spécifique.
- Sur la difficulté à cerner la notion de préjudice écologique
En effet au sens de l’article 1382 du Code civil, seul le dommage causé à autrui est réparable et cette notion d’autrui est définie restrictivement par la jurisprudence, de plus le préjudice écologique est collectif et non individuel. Ceci peut alors poser des difficultés procédurales : sur qui repose le droit d’agir ? Madame Camproux-Duffrène tente de répondre à cette problématique en s’appuyant sur l’hypothèse des victimes institutionnelles d’une part, et sur la décision du conseil constitutionnel du 8 avril 2011 d’autre part, conférant à chacun une obligation de vigilance à l’égard des atteintes faites à l’environnement qui pourraient résulter de son activité. Cependant elle rappelle que le conseil constitutionnel n’admet que l’action fondée sur la responsabilité civile, excluant la responsabilité pénale a fortiori. Les tribunaux ont donc plusieurs approches en fonction de leur admission extensive ou restrictive du droit d’agir.
- Sur les modalités de réparation
Madame Camproux nous démontre que le choix de l’indemnisation n’est pas adapté en vertu du principe de non-affectation de la réparation. En effet, elle reprend les suggestions de la loi LRE et du rapport Jégouzo, qui semblent des alternatives acceptables comme la remise en état initial et la réparation en national par équivalent.
Pour conclure sur ces aspects de réparation civile, madame Camproux-Duffrène salue l’audace de la Cour de cassation dans cette décision du 25 septembre 2012 devant la consécration du préjudice écologique et attend la piste prochainement choisie par le législateur afin d’atteindre une réparation des atteintes à l’environnement « juridiquement cohérente et écologiquement satisfaisante ». Le débat s’ouvre sur ces mots.
Débat avec la salle :
Les questions sont adressées à mesdames Roche et Camproux-Duffrène et s’attachent principalement à la qualification de faute pénale de non-respect du Vetting que Total s’impose d’une part et à la conciliation de la réparation et la faculté de résilience de l’environnement d’autre part.
Madame l’adjudant-Chef Tania Bernadine vient également éclairer les magistrats présents sur le fonctionnement de l’OCLAESP, regroupant des agents et officiers de police judiciaire spécialisés dans les atteintes environnementales et à la santé publique.
Monsieur De Baynast intervient ensuite pour redistribuer la parole et l’accorder à madame Fiasella.
Les juridictions françaises du Littoral Maritime Spécialisées : un modèle efficace de spécialisation
Intervention de Mme Fabienne FIASELLA
Madame Fiasella vient nous présenter la « juridiction spécialisée qui fonctionne et que le monde entier nous envie » selon les dires de Monsieur Rivaud.
En effet, ces juridictions sont compétentes en matière de pollution maritime volontaire ou involontaire en eaux territoriales, et de pollution maritime volontaire en zone économique exclusive ou zone de protection écologique. Pour les autres cas de pollution, c’est le Tribunal de Paris qui est alors compétent.
Seulement madame Fiasella nous expose des résultats probants, des méthodes et des moyens réellement dissuasifs, chiffres à l’appui.
Créés en 2001 et découlant de la ratification de la Convention MARPOL, ces tribunaux confrontés à un contentieux particulièrement technique, dont madame le magistrat, ne manque pas de nous préciser quelques termes, disposent de magistrats spécialisés et d’un arsenal juridique efficace, qui repose sur :
– Les dispositions de la Convention MARPOL intégrées au Code l’Environnement (Annexe I pour les hydrocarbures)
– L’accord international de Bonn
– La Convention de MONTEGO BAY
Ces textes délimitent précisément les interdictions et autorisations de rejets tant dans leur concentration, que leur zone et leur provenance.
A cet arsenal est assortie une procédure et des sanctions effectivement dissuasives issue de la loi de 1983. En effet, devant la dimension internationale que revêt de tels actes, il s’agit d’agir vite et avec fermeté, comme le montre le montant des amendes consignées dès l’arraisonnement du bateau en infraction. De plus les convocations aux audiences sont délivrées avant que le capitaine ne reparte selon une procédure d’urgence. Il en va de même pour les expertises. En découle une jurisprudence particulièrement cohérente.
La compétence dans ce type de contentieux est toutefois partagée entre Etat côtier et Etat du pavillon et assorti d’une clause de sauvegarde en faveur de l’Etat côtier s’il on est en présence d’un dommage grave ou d’un Etat voyou, c’est-à-dire plusieurs fois en infraction avec la Convention MONTEGO BAY.
Le système de preuve repose essentiellement sur les photos issues des dispositifs POLMAR, interprétées en fonction de la classification des accords de Bonn. Radicalement efficace de jour, ce dispositif montre ses limites lors des constatations de nuit, qui ne bénéficient pas de classification appropriée pour le moment, empêchant les condamnations dans ces dossiers.
Il n’en demeure pas moins que le cas d’une avarie exonératoire est admis, à condition que cette dernière remplisse les conditions de la force majeure. Ceci est d’autant plus difficile à démontrer que le nombre de fraudes à l’évacuation d’eaux polluées des navires est fréquent.
Enfin madame le magistrat nous signale qu’après une baisse continue des constatations de flagrant-délits, il n’y en a aucun à dénombrer pour l’année 2013, ce qui vient consacrer l’efficacité radicale de ces juridictions. Sur ce constat, s’ouvrent les ultimes débats de la journée.
Débat avec la salle :
Les questions posées à Madame Fiasella relèvent du recouvrement des amendes, les évolutions futures des modes de constatation des pollutions, et une ouverture est faite par monsieur Godefroy qui se questionne sur les systèmes existants chez nos voisins.
[1] Responsabilité Sociétale et Environnementale