La plainte pénale des autorités genevoises contre la centrale nucléaire du Bugey
Muriel RAMBOUR
Maître de Conférences à l’UHA
CERDACC
Mots-clés : Canton et ville de Genève – Centrale nucléaire du Bugey – CE n°373516 du 22 février 2016 – Action pénale – Mise en danger de la vie d’autrui et pollution des eaux.
Pour se repérer
Au début du mois de mars 2016, la ministre allemande de l’Environnement soutenait que la centrale nucléaire de Fessenheim « devrait être fermée le plus vite possible ». Quelques jours plus tard, la ville et le canton de Genève annonçaient qu’ils intentaient une action pénale contre X, visant la centrale nucléaire du Bugey dans l’Ain, pour mise en danger délibéré de la vie d’autrui et pollution des eaux.
Pour aller à l’essentiel
La centrale électronucléaire du Bugey, située à 70 kilomètres de Genève, se compose d’un réacteur en cours de démantèlement, trois en fonctionnement et un réacteur à l’arrêt depuis août 2015. En activité depuis la fin des années 1970, l’installation est régulièrement la cible de l’action militante et judiciaire d’associations anti-nucléaires et de protection de l’environnement qui soulignent sa localisation en zone sismique, exposée aux risques de crue du Rhône, ainsi que sa vétusté (incidents répétés, fuites de tritium, corrosion des enceintes de confinement…).
Dans son arrêt n°373516 du 22 février 2016, le Conseil d’Etat a eu à statuer sur l’action introduite par la République et canton de Genève qui demandait l’annulation de plusieurs décisions prises par l’Autorité de sûreté nucléaire et le ministère français de l’Ecologie à propos de la poursuite d’exploitation des réacteurs n°2 et 4 du site du Bugey. La haute juridiction administrative a tout d’abord admis que les autorités politiques genevoises justifiaient d’un intérêt suffisant à demander l’annulation des mesures visées. Il s’agit là d’un revirement en comparaison de la jurisprudence posée dans l’arrêt n°358882 rendu le 24 mars 2014 concernant la requête par laquelle le canton et la ville de Genève sollicitaient l’annulation du décret de création de l’Installation de conditionnement et d’entreposage de déchets activés. En l’espèce, le Conseil d’Etat avait estimé que, compte tenu de l’activité hébergée par le site, des caractéristiques de l’installation et de son éloignement géographique, les requérants n’avaient pas la qualité pour agir contre l’implantation de ce site d’accueil provisoire des matières issues d’opérations de démantèlement, dont celle du réacteur n°1 de la centrale du Bugey (pour un commentaire, cf. Muriel Rambour, « L’intérêt à agir des tiers face aux risques potentiels du stockage des déchets radioactifs », Petites Affiches, n°101, 21/05/2014).
Après avoir admis la recevabilité des requêtes, le Conseil d’Etat a cependant débouté les autorités cantonales genevoises de leur demande d’annulation des décisions de l’ASN et du ministre chargé de la sûreté nucléaire autorisant la poursuite de l’exploitation, pour une décennie, de la centrale du Bugey (pour une analyse plus détaillée de l’arrêt du Conseil d’Etat du 22 février 2016, cf. Muriel Rambour, « Canton et ville de Genève contre la centrale nucléaire française du Bugey. Poursuite du contentieux au pénal », Droit de l’environnement, n°244, avril 2016).
Pour aller plus loin
Les procédures administratives intentées par les autorités helvétiques contre l’exploitant de la centrale du Bugey n’ayant pas abouti, Genève se déclare aujourd’hui prête à exploiter toutes les pistes possibles pour contrer la poursuite de l’exploitation sur le site nucléaire français voisin. La Constitution du canton précise d’ailleurs, en son article 169 dédié à l’énergie nucléaire, que « les autorités cantonales s’opposent par tous les moyens à leur disposition et dans la limite de leurs compétences aux installations de centrales nucléaires, de dépôts de déchets radioactifs et d’usines de retraitement sur le territoire et au voisinage du canton ».
Forts de cette obligation constitutionnelle, le canton et la ville de Genève ont déposé, le 2 mars dernier, auprès du pôle « santé » du tribunal de grande instance de Paris, une plainte pénale contre X notamment pour mise en danger délibéré de la vie d’autrui et pollution des eaux. Selon les requérants, la centrale du Bugey expose la population de Genève – incluse dans la zone d’évacuation en cas d’accident grave – à des risques multiples d’origine tant externe (situation en zone sismique et inondable, proximité avec d’autres sites industriels présentant des risques accidentels majeurs, forte densité urbaine…) qu’interne (problèmes d’étanchéité du radier et des enceintes de confinement, fuites de tritium…).
A leur action pénale, le canton et la ville de Genève ont associé quatre riverains de la centrale. Le fait que les collectivités publiques soient appuyées dans leur démarche par des personnes physiques sécurise la recevabilité de la plainte par les juridictions françaises, particulièrement exigeantes lorsqu’il s’agit d’admettre une action en matière pénale. Cela ne préjuge évidemment pas de l’issue qui sera réservée à la plainte, du classement à la saisine d’un juge d’instruction dont la mission sera d’établir l’identité des responsables à l’issue d’une procédure qui s’inscrira nécessairement dans le temps long judiciaire.