La crise de l’euro vue par Jacques Sapir

Jacques Sapir a écrit un article intéressant sur Marianne 2 et je vous invite à en prendre connaissance. Je ne suis, d’une manière générale, pas d’accord avec cet économiste issu de l’ultra gauche. Malgré tout j’ai relu plusieurs fois cet article tant j’ai cru rêver en me voyant des points communs sur l’analyse que fait Sapir. Je vous rassure, il y a aussi de nombreux désaccords. Ce billet se veut donc une explication de texte de l’article de Sapir.

Mes points d’accord

Je suis d’accord avec Sapir sur ce qu’il nomme l’eurodivergence et je m’en suis expliqué. Je crois qu’il a tout à fait raison sur ce point.

Je suis encore d’accord avec lui quand il dit que la BCE a pris une décision importante d’acheter des titres publics et privés. Dans mon billet du 12 mai j’écris « Il y a une mesure qui a été prise et qui pour le moins n’est pas passée inaperçue. En effet la BCE a revu sa position. elle va maintenant acheter des bons du trésor, c’est à dire de la dette, des pays en difficulté. Elle va accepter de prendre en garantie des dettes publiques et privées et ça, c’est exactement le scénario américain ou anglais qui avaient accepté de monnétiser les dettes pour préserver l’économie, la liquidité des marchés et pour protéger la reprise. »

Je suis toujours d’accord et j’ai été à la fois satisfait mais surtout surpris de le lire venant de quelqu’un comme Sapir  » Ce ne sont pas les traders ou les spéculateurs qui portent une réelle responsabilité. En un sens, ils n’ont fait que leur travail qui est de chercher à gagner de l’argent et à éviter d’en perdre » et il ajoute en parlant de la classe politique « Elle a instauré les règles du jeu dans lesquelles traders et spéculateurs de tout poil n’ont eu qu’à jouer. » Heureusement que mon billet date du 7 mai sinon on aurait pu croire que j’ai plagié Sapir en effet j’écris au tout début  » Les spéculateurs sont les agents d’un système qu’ils n’ont seulement pas inventé, mais de plus, qu’une  fois inventé  ils n’en ont pas fixé les règles du jeu. »

Mes points de désaccord

Le premier d’entre eux est que je ne suis pas du tout favorable à la sortie de la France de l’euro. On connaît la thèse des défenseurs de cette position qui est d’affirmer que si un pays retrouve sa monnaie cela lui permettra de dévaluer et de relancer son économie et par suite sa croissance. C’est simple pour ne pas dire simpliste mais ça peut passer dans l’opinion, justement tellement ça paraît évident. Et pour appuyer un peu plus dés fois qu’on aurait pas compris, ils ajoutent que pour un pays  la perte de sa monnaie c’est la perte de sa souveraineté. A la suite de quoi de quoi d’autres encore pourront ajouter que la perte de la souveraineté, de Gaulle ne l’aurait pas accepté. On peut continuer comme ça tellement tout à l’air de se tenir. Discours classique, connu et pratiqué par les tenants du sophisme.

Jacques Sapir comme d’autres donne, hélas, dans la germanophobie. En effet pour lui, c’est la faute à l’Allemagne. J’ai déjà traité le sujet ici, et je préfére et de loin la position de la députée européenne Sylvie Goulard qui rejoint la mienne et qui défend comme je l’ai fait dans ce billet la position qui veut que l’Allemagne n’est en rien responsable. La France et les autres pays ont une part énorme de responsabilité parce que pour que ça marche, il faut de la solidarité. On peut admettre qu’en Allemagne il y a eu un petit retard à l’allumage, encore faut-il savoir que la cour constitutionnelle avait mis le pays dans une situation extrêmement difficile, il faut le rappeler (ce que Sapir ne fait pas). Mais surtout lorsque nous avons fait l’euro, nous avions dit aux allemands que nous ferions tout pour que la monnaie soit préservée et que les accords soient respectés. On a en Allemagne un phénomène de doute sur la construction européenne parce que ses partenaires n’ont pas respecté leur parole pour ce qui est des conditions dans lesquelles nous avons fait la monnaie unique. Il y a une part de responsabilité de l’Allemagne dans le cadre du rythme de la réponse à chaud et il fallait y répondre plus vite, c’est vrai mais si on a eu la crise c’est aussi parce que les autres partenaires de l’Allemagne n’ont pas été sérieux. Sapir fait une impasse totale sur cet aspect des choses.

Au sujet de l’euro Sapir écrit qu’il a repris sa chute alors que quelques lignes après il reconnaît sa surévaluation. Il aurait dû alors employer l’expression plus adaptée de  »remise à niveau » mais le mot « chute » aprobablement été soigneusement choisi. Mais, et surtout Sapir aurait pu et dû ajouter que d’autres économistes que lui estiment que un euro qui baisse de 10%, c’est un point de croissance en plus. Donc un euro qui tomberait à 1 dollar aprés avoir atteint 1,50 dollard c’est plus de 5 points de croissance. Pas besoin de sortir de l’euro pour dévaluer. Il ne faut évidemment donc pas compter sur lui pour donner ce type d’information fourni par ses collègues économistes.

Je ne suis pas d’accord avec Sapir lorsqu’il dit que les socialistes ont commis une faute politique en votant le plan de rigeur de la Grèce parce qu’ils ne pourront pas s’opposer à la rigueur en France. Je ne crois pas que les socialiste aient commis une faute politique. Ils sont incohérents c’est tout. J’ai d’ailleurs fait un billet sur cette incohérence.

La monétisation de la dette

J’aurais aimé que Sapir aille plus loin dans le concept de la monétisation. En effet on parle également de la monétisation de la dette des Etats-Unis, or ce type de monétisation n’a rien à voir avec ce que Sapir propose pour la BCE. Il aurait dû expliquer que les Etas-Unis monétisent leur dette par les banques centrales des autres pays et en particulier la Chine qui accumulent les réserves de change pour éviter la dépréciation du dollar alors que la BCE si elle doit monétiser une dette, ce sera celle d’un pays ou plusieurs pays interne à la zone euro.

Sapir constate , mais ne développe pas

Il écrit en début de texte que la spéculation contre l’euro a repris. Les faits sont sans appel et il a raison, mais il pourrait expliquer pourquoi car ce n’est pas sans raison. En ce qui me concerne j’en vois deux. La première c’est que les marchés craignent que la rue n’accepte pas la rigueur imposée et que cela se passe mal et la seconde est le corollaire de la première, c’est que les marchés craignent que face à la contestation les gouvernements ne mettent pas en place les plans annoncés. C’est le serpent qui se mord la queue et dans les deux cas, l’euro est alors attaqué et c’est ce qui explique ces mouvements.

Sapir écrit : « La seule solution qui nous est pour l’instant proposé est le retour rapide à l’équilibre budgétaire. » Mais il ne signale pas comme je l’ai fait, que depuis 1974 aucun budget n’a été voté à l’équilibre si ce n’est celui de 1980. En ce qui me concerne je propose que l’obligation de voter un budget en équilibre soit inscrit dans la constitution.

Sapir voltairien

Il considére comme une faute morale le fait que nous empruntions entre 1,5% et 3,3% pour reprêter ce même argent à 5%. C’est pas moral, mais il ne va tout de même pas nous jouer le rôle de Candide, pas lui.

Finalement, ce n’est pas parce que j’ai quelques points d’accord que je vais me convertir. On peut constater que sur les points essentiels je suis en complet désaccord : sur la sortie de la zone euro et le report de la faute sur l’Allemagne, Jacques Sapir ne m’a absolument pas convaincu. En revanche et quand on connaît l’homme je suis agréablement surpris qu’il reconnaisse plus la faute des états que celle des spéculateurs et ça c’est bien et compte tenu de ses positions sur l’europe il aurait pu être très critique sur ce que certains appellent les transgression de la BCE. Sur ce sujet il a même une attitude compréhensive.

Je trouve que nous avons à faire avec ce billet à un Jacques Sapir qui garde ses convictions mais qui est relativement mesuré et en tout cas bien plus mesuré et bien plus lucide que certains de ses collègues économistes de gauche. Je le pensais plus sectaire aussi, je suis agréablement surpris.

Hélas cette pondération, il la perd sur la fin et je trouve par ailleurs tout à fait déplacé voire lamentable de la part d’un homme comme Sapir de faire le parallèle entre la situation d’aujourd’hui et celle qui a amené Hitler au pouvoir. Probablement encore la germanophobie. Ça, je dois dire, que dans tout son texte, c’est ce qui me gêne le plus. On s’aperçoit que pour beaucoup, l’anti américanisme et la germanophobie sont hélas sans limite y compris parmi les intellectuels qui à priori sont des gens qui devraient savoir faire la part des choses. Dommage, car ça me gâche tout le texte.

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