La Cour des comptes souligne les incertitudes pesant sur le programme de maintenance du parc nucleaire français
Muriel RAMBOUR
Maître de Conférences à l’UHA
CERDACC
Mots-clés : Coût de la filière nucléaire – Loi du 17 août 2015 sur la transition énergétique pour la croissance verte – Plafonnement de la production nucléaire en France – Sûreté nucléaire – Gestion des risques nucléaires.
Pour se repérer
Dans son rapport public annuel présenté le 10 février dernier, la Cour des comptes s’est intéressée à la stratégie industrielle du groupe EDF en matière de maintenance du parc nucléaire français. Cette analyse a été l’occasion pour la Cour de relever le poids de l’incertitude affectant ce secteur compte tenu de l’adoption, en 2015, de la loi sur la transition énergétique. Celle-ci prévoit une réduction de 75% à 50% de la part du nucléaire dans la production française d’électricité, sans pour autant en avoir tiré les conséquences sur le plan des investissements à réaliser pour garantir la sûreté des installations.
Pour aller à l’essentiel
La partie du rapport annuel public (RAP) 2016 de la Cour des comptes consacrée à la maintenance des centrales nucléaires françaises s’inscrit dans la continuité des précédentes publications sur le coût de la filière électronucléaire (Cour des comptes, Rapport public thématique. Les coûts de la filière électronucléaire, janvier 2012 et Communication à la commission d’enquête de l’Assemblée nationale. Le coût de production de l’électricité nucléaire, mai 2014). La Cour rappelle que le secteur nucléaire français représente un volume de 220 000 emplois directs et indirects, pour un chiffre d’affaires global de 46 milliards d’euros.
EDF a lancé en 2011 un projet de « Grand Carénage » qui regroupe l’ensemble des investissements de maintenance et de modernisation des centrales nucléaires jusqu’en 2025. De l’ingénierie à l’application sur site, ce programme, d’un montant estimé au moment de son lancement à 55 milliards d’euros, a pour objectif de consolider les performances d’exploitation, renforcer la sûreté des installations et rendre envisageable la prolongation du parc au-delà de la durée de vie originelle des centrales de 40 ans. D’ici 2030, 100 milliards d’euros d’investissement seront indispensables pour assurer la maintenance du parc nucléaire actuel, en conformité avec les normes de sûreté renforcées après Fukushima (RAP 2016, p. 123). Les projets industriels d’EDF nécessiteront le recrutement de 110 000 agents directs et indirects à l’horizon 2020 (RAP 2016, p. 126).
Toutes ces projections présentées par l’exploitant reposent cependant sur l’hypothèse d’un maintien du parc dans son périmètre actuel. La loi du 17 août 2015 sur la transition énergétique pour la croissance verte comporte pourtant deux dispositions ayant modifié le Code de l’énergie, qui conduisent à redéfinir la place du nucléaire dans la production d’électricité (sur le débat parlementaire relatif à l’adoption de cette loi et sur ses implications, cf. Muriel Rambour, « D’une politique énergétique à l’autre. La part du nucléaire au Japon et en France », JAC, n°157, octobre 2015 et « Les Droits & Contentieux Nucléaires (Partie 6) – La transition énergétique. CEA-Marcoule, 22/10/2015 », JAC, n°158, novembre 2015).
D’une part, l’article 1er de la loi détermine les objectifs de la politique énergétique française et prévoit notamment la réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50% d’ici 2025 (nouvelle rédaction de l’article L. 100-4-I.5° du Code de l’énergie). A niveaux constants de consommation et d’exportation d’électricité, cela aurait pour effet de réduire du tiers la production d’origine nucléaire, soit un impact concernant 17 à 20 réacteurs sur les 58 qui composent le parc français.
L’article 187 de la loi de transition énergétique établit, d’autre part, un seuil maximal de capacité de production d’origine nucléaire. Selon la nouvelle rédaction de l’article L. 311-5-5 du Code de l’énergie qui en résulte, l’exploitation de toute nouvelle installation de production d’électricité est soumise à une autorisation administrative qui ne peut être délivrée lorsqu’elle aurait pour conséquence de porter la capacité totale autorisée de production d’électricité d’origine nucléaire au-delà de 63.2 GW.
Ainsi que le relève la Cour des comptes dans son rapport annuel public (RAP 2016, p. 129), ces deux dispositions pourraient avoir pour conséquence une réduction de la durée potentielle de fonctionnement de plusieurs réacteurs, avec une fermeture avant l’échéance prévue par l’exploitant EDF qui se trouverait ainsi contraint d’apporter de substantiels ajustements à son programme initial de maintenance du parc nucléaire. Or, « les conséquences économiques d’une modification du projet de maintenance ne sont pas encore évaluées », aucune estimation n’ayant encore été réalisée « ni par l’Etat, ni par EDF, sur les conséquences économiques potentielles de l’application de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte » (RAP 2016, p. 131).
L’arrêt de plusieurs réacteurs nucléaires aurait indéniablement un impact sur les produits aussi bien que sur les charges d’exploitation – et en particulier celles de démantèlement qu’il conviendrait d’anticiper. La Cour des comptes estime ainsi qu’à compter de 2025, les charges d’exploitation seraient réduites jusqu’à 3.9 milliards d’euros par an et que les pertes de recettes pour EDF s’élèveraient annuellement à près de 5.7 milliards d’euros (RAP 2016, p. 132). A ces chiffres, il conviendrait d’ajouter l’indemnisation que l’Etat français devrait verser à l’exploitant pour le préjudice subi par la cessation imposée d’une part de son activité.
Pour aller plus loin
La Cour des comptes a rappelé que les hypothèses de fermeture de plusieurs réacteurs supposent de mettre en place un programme modifié de maintenance pour garantir une exploitation des réacteurs restant en service dans des conditions de rentabilité et surtout de sûreté suffisantes. Les mêmes exigences de sûreté doivent accompagner la fermeture programmée de certains sites.
Toutefois, la loi sur la transition énergétique ne prévoit pas les étapes et les moyens précis de réduction du quart de la production d’énergie d’origine nucléaire à l’horizon 2025. L’incertitude demeure également concernant plusieurs points : l’indemnisation de l’exploitant EDF pour les pertes consécutives à la fermeture anticipée des centrales, les prévisions relatives aux besoins industriels du groupe et l’évolution du référentiel de sûreté (RAP 2016, p. 124).
Deux jours après la publication du rapport annuel de la Cour des comptes, une dizaine de militants de Greenpeace ont mené une action près de Caen pour bloquer le convoi exceptionnel transportant le couvercle de la cuve du réacteur nucléaire EPR en construction à Flamanville (Manche). Un chantier qui a accumulé un retard de près de 7 ans par rapport au calendrier prévu avec une mise en service reportée à fin 2018 et dont le coût, désormais évalué à 10.5 milliards d’euros, a triplé depuis le devis initial (« Nucléaire : la facture de l’EPR s’alourdit encore », Le Monde Economie, 03/09/2015). Greenpeace entendait souligner que, par-delà le cas de l’EPR, c’est l’ensemble du secteur nucléaire français qui se trouve confronté à une « intenable équation » (« EPR. Action coup de poing de Greenpeace près de Caen », Ouest France, 12/02/2016). La cohérence entre des orientations de politique énergétique qui supposeraient la fermeture de 17 à 20 réacteurs d’ici 2025 – avec des conséquences en termes d’emplois et d’investissements, et la stratégie industrielle d’EDF sera en tout cas prochainement ajustée à l’occasion du débat sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). La loi de transition énergétique prévoit en effet que la PPE sera accompagnée d’une étude de ses conséquences aux plans économique, social et environnemental, ainsi que d’une analyse de son impact sur les finances publiques.