L’avis de l’Autorité environnementale sur la prolongation illimitée du stockage souterrain sur le site Stocamine
Muriel RAMBOUR
Maître de Conférences à l’UHA
CERDACC
Mots-clés
Stocamine – Stockage et traitement des déchets industriels dangereux – Sécurité industrielle – Autorité environnementale.
Pour se repérer
L’Autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable a rendu, le 9 septembre dernier, son avis sur la prolongation pour une durée illimitée du stockage souterrain de produits dangereux sur la commune de Wittelsheim, sur le site Stocamine. Cet avis ne se prononce pas sur l’opportunité du projet mais évalue la qualité de l’étude d’impact proposée par le maître d’ouvrage, à savoir le liquidateur des Mines de Potasse d’Alsace (MDPA) placé sous la tutelle du ministre chargé de l’Energie. En ce sens, il recommande de préciser plusieurs points du dossier relatifs au programme de déstockage partiel des déchets contenant du mercure.
Pour aller à l’essentiel
La société Stocamine, filiale des Mines de Potasse d’Alsace (MDPA), a été constituée à la fin des années 1990 pour exploiter un site de stockage souterrain de déchets industriels sur l’ancien bassin potassique alsacien. Le site de stockage, localisé à 600 mètres de profondeur sous quatre concessions minières des MDPA, est la seule installation française de stockage de déchets dangereux « ultimes » de « classe 0 », autrement dit des déchets contenant des substances impossibles à enfouir dans une installation de sub-surface (mercure, arsenic, cyanure, chrome notamment).
De 1999 à 2002, 44.000 tonnes de déchets ont été entreposées. En septembre 2002, un incendie se déclenchait dans l’un des casiers de stockage, obligeant l’exploitant à interrompre le stockage. En avril 2009, la Cour d’appel de Colmar a reconnu la société Stocamine responsable de manquements aux obligations de sécurité et de prudence en matière d’hygiène et de sécurité, suspendant l’activité de stockage (Madeleine Lobé-Fouda, « Affaire Stocamine : aggravation en appel », JAC 96).
L’article 20 de la loi n°2004-105 du 3 février 2004 a modifié le régime du stockage souterrain en couches géologiques profondes de produits dangereux. L’article L. 515-7 du Code de l’environnement dispose que « si l’apport de déchets a cessé depuis au moins un an, l’autorisation peut être prolongée pour une durée illimitée, sur la base d’un bilan écologique comprenant une étude d’impact et l’exposé des solutions alternatives au maintien du stockage et de leurs conséquences ». C’est dans ce contexte législatif et réglementaire que les MDPA ont déposé une demande pour fermer le site de stockage souterrain et prolonger son autorisation pour une durée illimitée.
En 2010 et 2011 s’est déroulée une concertation sous l’égide de la Commission locale d’information et de surveillance et d’un comité de pilotage afin de déterminer le devenir des déchets industriels. L’Institut national de l’environnement industriel et des risques considérait alors que l’excavation serait délicate. C’est pourquoi il préconisait un enfouissement définitif des déchets – à l’exception de ceux contenant de l’arsenic et du mercure – associé à une surveillance constante de la nappe phréatique.
Par courrier aux élus locaux en date du 5 août 2014, le Ministère de l’Ecologie a retenu le scénario d’un déstockage partiel prévoyant le retrait de 93% des déchets mercuriels et arséniés, ce qui représente près de 8.500 tonnes de déchets qui seront enfouis à Sondershausen, dans une ancienne mine de sel allemande de Thuringe. Le scénario de repli de déstockage porte sur au moins 56% du mercure en cas d’impossibilité de retrait plus complet. Le chantier de déstockage a débuté en novembre 2014 pour une durée de 5 ans. Toutefois, une fissure transversale et un décollement du toit d’une vingtaine de centimètres dans l’une des allées du chantier ont considérablement dégradé les conditions du déstockage des déchets entreposés. Par endroits, les fûts à déstocker – représentant environ 100 kg de mercure – sont en contact direct avec la galerie. Cette situation a conduit les MDPA à suspendre partiellement mi-mai 2015 les opérations de retrait des déchets industriels enfouis, dans l’attente d’une solution de sécurisation (Muriel Rambour, « Le stockage des déchets industriels dangereux : le cas Stocamine », JAC 154).
Dans son avis rendu sur le projet de prolongation du stockage souterrain, l’Autorité environnementale estimait que « le concept de ‘‘déstockage partiel’’ est défini de façon variable, selon les différentes pièces du dossier » (Avis délibéré n°2015-58 de l’Autorité environnementale sur la prolongation pour une durée illimitée du stockage souterrain de produits dangereux sur la commune de Wittelsheim (68) adopté lors de la séance du 9 septembre 2015, p. 9). Elle recommande de préciser pour chaque bloc le nombre de colis à déstocker par groupe de déchets ; le scénario de déstockage partiel et la destination des déchets déstockés ; les modalités de gestion de ces déchets en l’absence de renouvellement des autorisations de stockage dans les mines de sel allemandes ; le rythme du déstockage.
L’Autorité environnementale suggère de « clarifier le caractère ultime des déchets présents dans le centre de stockage et notamment de justifier l’absence d’alternative à leur stockage définitif ». Elle invite l’exploitant à « expliciter les situations qui pourraient conduire à ne pas respecter l’objectif de retrait de 93% du mercure stocké ». L’Autorité souhaiterait voir mieux définies les conditions de protection de la nappe phréatique d’Alsace en tenant compte « d’un renforcement possible du niveau d’exigence des générations futures et d’éventuels progrès dans la connaissance des effets des substances toxiques » (Avis délibéré n°2015-58, p. 3-4). L’Autorité environnementale préconise de réaliser des analyses des teneurs en mercure par type de déchet afin de vérifier que certains lots n’en contiennent pas. Elle invite à garantir la protection des travailleurs chargés des interventions sur le site de stockage en étant attentif à la rapidité avec laquelle les opérations de déstockage seront conduites pour atteindre l’objectif défini par le maître d’ouvrage.
Pour aller plus loin
Par un arrêté du 23 juillet 2015, le directeur régional de l’environnement, de l’aménagement et du logement d’Alsace a ordonné la suspension des travaux de déstockage des colis de déchets là où ils sont coincés et déformés en raison de la convergence des terrains et de la chute de bancs du toit de la galerie. Ce contretemps aura un impact sur le coût financier du chantier (Cour des Comptes, Traitement du dossier des déchets de Stocamine, filiale à 100% des Mines de Potasse d’Alsace (MDPA), référé n°68814, 16/06/2014 ; Muriel Rambour, « Stocamine. Du temps de la concertation au coût de l’inaction », Petites Affiches, n°196, octobre 2014, p. 6-7). L’Autorité environnementale, dans son avis, a rappelé l’actualisation des coûts effectuée par le maître d’ouvrage, allant de 122 millions d’euros pour un confinement sans déstockage à 218 millions d’euros pour un déstockage total excepté le bloc concerné par l’affaissement minier (p. 21).
L’exploitation du site Stocamine continue d’être problématique aussi bien sur les plans techniques qu’économiques. Au-delà de ces considérations, l’Autorité environnementale met également, dans son avis, l’accent sur l’« enjeu majeur » que constitue la « restauration de la confiance dans l’expertise et la parole publiques ». Pour cela, elle incite à un « devoir de prudence » quant aux prévisions annoncées dans le dossier du maître d’ouvrage ainsi qu’à une « écoute attentive des parties prenantes » (p. 4).