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L’absence de responsabilité de l’Etat dans la survenance de la catastrophe A.Z.F.

Par un arrêt rendu le 17 décembre 2014 (C.E., 17 décembre 2014, n°367202 et n°367203, Ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie contre M. D. et autres), le Conseil d’Etat a refusé de reconnaître la responsabilité de l’Etat dans la catastrophe survenue le 21 septembre 2001 qui a causé la mort de 31 personnes, fait 2500 blessés et des dégâts matériels considérables.

Deux points méritent l’attention.

En premier lieu, après avoir, de manière classique, mentionné les textes de références en matière de contrôles des installations classées pour la protection de l’environnement (I.C.P.E.) (L. 511-1, L. 512-1, L. 512-3 du code de l’environnement et L. 514-5 du même code alors en vigueur), le Conseil d’Etat énonce les obligations à la charge des services de l’Etat. Anotre connaissance, c’est la première fois que le Conseil d’Etat présente la méthode que tous les juges administratifs doivent utiliser et que l’Etat doit respecter.

La lecture rapide du 3ème considérant pourrait laisser croire que les obligations pesant sur les services compétents de l’Etat sont au nombre de trois. Or, il n’en est rienpuisque, selon le Conseil d’Etat, il existe, dans le cadre de ce contrôle des I.C.P.E A.S., seulement deux étapes.

Tout d’abord, au stade de l’autorisation, l’Etat doit définir des « prescriptions encadrant les conditions d’installations et d’exploitation de l’installation qui soient de nature à prévenir les risques susceptibles de survenir ». La tâche qui lui incombe, si elle est logique, car il ne s’agit d’autoriser l’exploitation qu’après avoir veillé à ce qu’un maximum de sécurité soit assuré, amène à considérer qu’il ne s’agit que d’une logique de prévention et non de précaution. Pourtant, l’Etat n’échappe pas à la difficileidentification des risques avérés et connus et alors à leur prise en compte avant le début de l’exploitation, au risque, dans le cas contraire, d’actions en illégalité ou en responsabilité.

Ensuite, au cours de l’exploitation, les services de l’Etat doivent, d’abord, contrôler les installations et ainsi le respect par l’exploitant des prescriptions qui lui sont imposées, tout en veillant à l’adéquation de celles-ci avec la protection, selon l’article L. 511-1 du code de l’environnement, de « la commodité du voisinage… [de] la santé… [de] la sécurité…[de] la salubrité publiques… [de] l’agriculture… [de] la protection de la nature, de l’environnement et des paysages… [de] l’utilisation rationnelle de l’énergie… [de] la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique ». Le Conseil d’Etat ajoute qu’il appartient aux services de l’Etat d’user des pouvoirs qui leur sont reconnus sous l’empire de l’article L. 514-5 du code de l’environnement, en vigueur jusqu’au 1er juillet 2013, selon lequel « Les personnes chargées de l’inspection des installations classées… peuvent visiter à tout moment les installations soumises à leur surveillance ».Pour la haute juridiction, le choix en termes de périodicité et de nature des contrôles doit prendre appui sur le type, le danger et la taille de l’activité industrielle. On peutêtre étonné que le Conseil d’Etat s’appuie seulement sur ces critères. Certes, ils sont, d’évidence, importants. D’ailleurs, parmi ceux-ci, celui tenant à la dangerosité est suffisamment malléable pour concerner les intérêts énoncés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement. Néanmoins, ce même article fait état non seulement « des dangers » mais aussi « des inconvénients » que peuvent faire courir les I.C.P.E., impliquant de les soumettre au respect des dispositions les concernant prévues par le code de l’environnement. On pourrait alors croire que le Conseil d’Etat n’a pas souhaité retenir, parmi les critères aboutissant à déclencher des contrôles, celui tenant aux inconvénients d’une activité. Peut-être serait-ce tout simplement par réalisme, en ce sens qu’il paraitrait plus opportun que soit décidé une visite ou un contrôle d’une I.C.P.E. en fonction de sa dangerosité et non des inconvénients qu’elle pourrait produire. A moins que la nécessité d’adapter la périodicité et la nature des contrôles en fonction de « la nature… et [de] la taille de ces installations » concerne justement aussi les inconvénients de l’installation classée…

Dans le cadre du contrôle des I.C.P.E. A, les services de l’Etat doivent ensuite, selon le Conseil d’Etat, tenir compte « dans l’exercice de cette mission de contrôle, des indications dont ils disposent sur les facteurs de risques particuliers affectant les installations ou sur d’éventuels manquements commis par l’exploitant ». C’est sur ce point que le Conseil d’Etat va appuyer son analyse et casser l’arrêt d’appel.

En second lieu, le Conseil d’Etat écarte toute responsabilité de l’Etat.Statuant sur le fond, il va, d’abord, insister sur la particularité du site de l’usine A.Z.F. (composé de 82 installations sur près de 70 hectares), classé dans sa totalité « SEVESO seuil haut » avec servitudes d’utilité publique, pour juger alors, que si 11 visites d’inspection ont effectivement eu lieu entre 1995 et 2001, les contrôles ont seulement porté sur les installations « identifiées comme étant intrinsèquement les plus dangereuses ». Ainsi, pour les juges du Palais Royal, il est inconcevable d’obliger l’Etat à contrôler toutes les installations situées sur une zone dédiée à une I.C.P.E. AS. En conséquence, dès lors que celui-ci ne décèle pas de dangerosité particulière, rien ne l’oblige à réaliser des visites de l’ensemble des activités menées sur le site comprenant de nombreuses installations classées pour la protection de l’environnement. Dès lors, l’Etatn’est pas obligé d’assurer un contrôle de l’ensemble d’un territoire couvert par des installations classées pour la protection de l’environnement, mais seulement des installations « identifiées comme intrinsèquement les plus dangereuses ». Ainsi, dans les I.C.P.E. « seuil haut » au sein desquelles il n’existe pas de dangerosité particulière identifiée la survenance d’un accident ne permet pas d’engager la responsabilité de l’Etat qui n’avait pas à réaliser un contrôle comme en atteste l’arrêt commenté. En revanche, s’il existe un tel danger, l’inaction de l’Etat, dans sa mission de contrôle, conduira le juge administratif à identifier une « carence fautive » permettant d’engager la responsabilité de ce dernier.

Mais alors, comment les services étatiques compétents peuvent-ils établir l’existence ou non d’une particulière dangerosité ? Deux solutions existent. La première consiste à ce qu’ils réalisent les investigations nécessaires. La seconde passe par des informations transmises aux services de l’Etat par des tiers, voire grâce aux documents dont l’élaboration est à la charge de l’exploitant comme l’étude de dangers. C’est cette position que le Conseil d’Etat retient.Mais, il donne aussi une place de premier plan à toutes les personnes physiques ou morales, qui peuvent alerter les services compétents de l’Etat. L’alertepeutêtre lancée par les salariés lesquels travaillant au sein de l’installation classée connaissent mieux parfois que leurs dirigeants, les non-respects des règles industrielles. Le Conseil d’Etat consacre, dès lors, le statut de lanceurs d’alerte. L’arrêt du Conseil d’Etat fait donc écho à la loi du 16 avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte(Loi n° 2013-316 du 16 avril 2013, J.O.R.F. n°0090 du 17 avril 2013 page 6465 et s. Cf. Articles L 4133-1 et s. du code du travail). Or, ce dispositif législatif et les décrets d’application(Cf. Loi sur les lanceurs d’alerte et l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement : les décrets enfon publiés !, Marie-Béatrice Lahorgue, JAC, janvier 2015)trouvent un champ d’application dans le domaine des installations classées pour la protection de l’environnement.

En définitive, si on doit être satisfait de l’adoption de la loi du 16 avril 2013 puis de la position retenue par le Conseil d’Etat le 17 décembre 2014, donnant un statut juridique aux lanceurs d’alerte, l’analyse de ce dernier ne peut qu’arranger l’Etat. En effet, incapable d’assurer aux services en charge du contrôle des I.C.P.E., les moyens en personnel adaptés pour permettre des contrôles suffisamment nombreux et répétés sur tout le territoire, le salut de l’Etat proviendra (souvent, parfois ?) non pas de ses services mais de tiers.

Hervé ARBOUSSET

Maître de conférences (H.D.R.) à l’Université de Haute-Alsace

Directeur du Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (CERDACC, EA3992)