L’ABSENCE D’INFRACTION A LA LEGISLATION RELATIVE A LA SECURITE DES TRAVAILLEURS N’EMPECHE PAS LA CONDAMNATION POUR FAUTE CARACTERISEE Crim. 12 mai 2015, n° 13-80.345
Marie-France Steinlé-Feuerbach
Professeur émérite en Droit privé et Sciences criminelles à l’UHA
Directeur honoraire du CERDACC
La Chambre criminelle, en rejetant le pourvoi formé contre une décision de la cour d’appel de Nîmes en date du 11 décembre 2012, confirme, à juste titre, que la condamnation pour faute caractérisée du responsable du poste de secours d’une plage n’est pas conditionnée par la violation d’un règlement relatif à la sécurité des travailleurs.
Mots clés :
Accident de quad – Articles 121-3 du code pénal – Collectivité territoriale – Employée saisonnière – Faute caractérisée – Homicide involontaire – Responsabilité pénale
Le 24 juillet 2004, une jeune secouriste, employée saisonnière de la commune du Grau-du-Roi décédait lors d’un accident de quad. Elle avait utilisé l’engin, mis à la disposition du poste de secours, pour permettre l’accès à la plage d’une ambulance. Coupant à travers les dunes, elle avait perdu le contrôle du véhicule et avait été victime d’une blessure à la tête, aucun casque n’étant fourni. A la suite de cet accident, la maire, la commune ainsi que Frédéric X., chef de secteur pour l’ensemble des postes de secours de la commune avaient fait l’objet de poursuites pénales. Le tribunal correctionnel de Nîmes avait relaxé le maire et condamné Frédéric X. ainsi que la commune pour homicide involontaire. La commune, condamnée à 10 000 euros d’amende n’avait pas interjeté appel, contrairement à Frédéric X. La cour d’appel de Nîmes a confirmé la culpabilité de ce dernier, le condamnant à une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis et à 5000 euros d’amende. La Chambre criminelle, dans son arrêt du 12 mai 2015 (J. Gallois, « La chambre criminelle précise les contours d’appréciation d’une faute caractérisée en matière de délits non intentionnels », D. actu. 5 juin 2015 ; Observatoire SMACL des risques de la vie territoriale www.observatoire-collectivites.org, juill. 2015, note L. Brunet) rejette l’argument relatif à l’impossibilité de poursuites sur le fondement des infractions à la législation relative à la sécurité des travailleurs (I) pour confirmer la condamnation sur le fondement d’une faute caractérisée (II).
I) L’absence d’infractions relatives à la sécurité des travailleurs dans les collectivités territoriales…
Les collectivités territoriales ont retenu l’attention du législateur qui avait pris soin de leur accorder un régime de faveur dans le cadre de la responsabilité pénale des personnes morales, le deuxième alinéa de l’article 121-2 du Code pénal précisant que les poursuites à leur encontre sont cantonnées aux « infractions commises dans l’exercice d’activités susceptibles de faire l’objet de conventions de délégation de service public ».
Un des intérêts de cet arrêt est d’attirer l’attention sur une autre particularité de ces collectivités, à savoir l’absence de sanction pénale en cas de violation de la législation relative à la sécurité des travailleurs. De manière générale, lorsqu’un accident du travail trouve sa source dans l’inobservation des règles protectrices de la sécurité des travailleurs, des poursuites peuvent avoir lieu à la fois sur le fondement de la violation des règles précitées et sur celui des délits d’imprudence. Tel n’est pas le cas en l’espèce puisque les sanctions pénales prévues par le Code du travail ne s’appliquent pas aux collectivités territoriales. Plus précisément, ne sont pas applicables aux collectivités territoriales les livres VI à VII de la partie IV du Code du travail (Cf. L. Brunet, note préc.). C’est pour cette raison que le juge d’instruction a dit qu’il n’y avait pas lieu à poursuivre les prévenus du chef des infractions relatives à la sécurité des travailleurs alors que l’information avait été ouverte des chefs d’homicide involontaire, fourniture à salarié d’équipement de travail mobile sans respect des règles d’utilisation et fourniture à salarié d’équipement de travail sans respecter les règles d’utilisation. En définitive, les poursuites seront exercées uniquement pour « homicide par imprudence ou négligence, caractérisée par la notion factuelle d’absence de fourniture de casque et de formation ».
Frédéric X. a cru pouvoir échapper à la condamnation pour homicide involontaire en arguant du non-lieu prononcé par le juge d’instruction pour infraction à la législation relative à la sécurité des travailleurs, considérant que la condamnation pour homicide involontaire ne pouvait reposer sur des faits qui relevaient également de l’infraction au code du travail, non punissable en raison du particularisme du droit du travail appliqué aux collectivités territoriales.
Ce raisonnement ne pouvait bien évidemment pas prospérer au regard des règles de la procédure pénale, le juge d’instruction, saisi in rem, n’est pas lié par la qualification des faits visée par la poursuite. Au-delà, les faits reprochés au prévenu peuvent fonder un délit d’homicide involontaire. Il n’est donc nullement surprenant que la Chambre criminelle énonce : « dès lors que la circonstance que le juge d’instruction ait dit n’y avoir lieu de suivre du chef des infractions à la législation relative à la sécurité des travailleurs, au motif qu’une telle réglementation n’est pas applicable aux collectivités territoriales, ne faisait pas obstacle à ce qu’il pût retenir le comportement visé par lesdites infractions comme constitutif d’une faute caractérisée fondant le délit d’homicide involontaire, la cour d’appel a justifié sa décision ».
II) … ne protège pas les agents d’une condamnation pour homicide involontaire
Il convient de préciser que si les sanctions pénales prévues au code du travail ne s’appliquent pas aux collectivités territoriales, les règles protectrices de la sécurité des travailleurs s’appliquent en revanche bel et bien. Il n’est donc pas exclu que la violation de ces règles puisse fonder des condamnations pour faute délibérée si les éléments d’une telle faute sont réunis, à savoir la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement (art. 121-3 al. 4 C.P.). Dans la présente affaire, le prévenu avait été condamné pour faute dite « caractérisée », c’est-à-dire une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer (art. 121-3 al. 4 C.P.). La faute, ainsi que sa gravité, relève de l’évidence dès lors que le prévenu lui-même avait décidé de ne pas acheter de casque et n’a pas assuré une formation à la conduite du quad alors que le vendeur avait bien spécifié que le port du casque était recommandé ainsi que la projection d’une cassette de formation. Lorsque la question du port d’un casque a été abordée par un élu, M. X. a rétorqué qu’il faisait trop chaud !!!
La gravité de la faute en lien avec le dommage (ce qui est ici médicalement établi) ne suffit pas à qualifier une faute caractérisée. Il faut encore que le prévenu ait eu connaissance du risque auquel il avait exposé la jeune secouriste. Là encore, la cour d’appel avait aisément établi les éléments d’une telle connaissance. Sapeur-pompier professionnel, Frédéric X. « devait être particulièrement rompu aux impératifs de sécurité », les dangers de la conduite du quad n’avaient pu lui échapper, d’autant que le vendeur avait attiré son attention sur les mesures de sécurité à prendre. Par ailleurs, il ne pouvait ignorer que lors des interventions d’urgence, les utilisateurs de l’engin pouvaient être amenés à rouler à grande vitesse sur un terrain accidenté.
Imposer le port d’un casque aux jeunes utilisateurs d’un quad relève du bon sens, ne même pas avoir fait l’acquisition de cet élément indispensable de protection apparaît un rien « surréaliste » de la part d’un responsable de postes de secours. Si les sanctions propres à la législation du travail n’ont pu s’appliquer en raison d’un régime particulier aux collectivités territoriales, le prévenu a été justement condamné sur le fondement des délits d’imprudence.