L’INTERVIEW DU MOIS
Collectif DESTOCAMINE
44 000 tonnes de déchets industriels ultimes non recyclables et hautement toxiques dorment depuis 1999, à 550 m de profondeur dans les anciennes mines de potasse de Wittelsheim, site Joseph Else en Alsace (Haut-Rhin). La société Stocamine, filiale de l’entreprise publique Les Mines de potasse d’Alsace (MDPA), y a entreposé pendant 3 ans 19 500 tonnes de déchets de classe 0 qui sont les plus dangereux (mercure, arsenic, cyanure…) et 24 500 tonnes de résidus d’incinération et d’amiante de classe 1.
Le JAC, dans ses anciennes éditions (http://www.iutcolmar.uha.fr/jac), a relaté les événements successifs qui ont touché ce centre de stockage unique en France : incendie en 2002, fermeture du centre en 2003, effondrement du toit du bloc 15 en 2011 à la suite des mouvements de terrain….
Dans un rapport publié le 16 juin 2014, La Cour des Comptes a mis en cause l’inertie des pouvoirs publics et l’absence de décision concernant le sort du site : remonter les déchets à la surface ou les confiner sous terre ? Une partie ou la totalité des déchets ? Selon la Cour des Comptes, cet attentisme coûte 5,5 millions d’euros par an, depuis 12 ans, d’entretien de la mine, des structures et de personnels.
Le collectif DESTOCAMINE, constitué d’associations et organisations syndicales dont certaines s’étaient opposées au centre de stockage dès 1991, s’est constitué en 2010 pour réclamer le déstockage total des déchets, notamment au nom du principe de réversibilité (retrait des déchets en cas de besoin). Nous avons rencontré l’un de ses porte-paroles et plusieurs de ses membres : Etienne Chamik, porte-parole, ancien mineur, CLCV-68 ; Josiane Kieffer, CLCV-68 ; Myriam Grosz, PAC Cernay et Environs ; Jean-Marie-Dubel, CFTC Mineurs. Voici leur analyse.
Photo M. Buanic
Le puits Joseph Else à Wittelsheim (Haut-Rhin, 68)
« Stocamine, rien de nouveau » ?
Josiane Kieffer – Nous avons du mal à nous faire entendre par les pouvoirs publics. Nous avons porté plainte auprès de la Commission européenne en 2012 pour « non respect du principe de précaution » et « non respect de la directive eau ». L’affaire Stocamine a aussi donné lieu à des articles dans la presse suisse et allemande.
Etienne Chamik – Tous les élus, qu’ils soient au Conseil général ou régional, demandent le déstockage total. Mais l’Etat reste sourd. En décembre 2012, la ministre de l’Ecologie Delphine Batho a demandé à Stocamine d’envisager le retrait partiel des déchets contenant du mercure et de confiner le reste. « Un début, on pourrait aller plus loin ». Puis, une nouvelle concertation a été lancée par Delphine Batho du 15 novembre 2013 au 15 février 2014 pour élaborer 5 scénarii de fermeture. Le déstockage de 6,5 % des déchets dont 56 % du mercure a commencé. Mais le Collectif réclame toujours le déstockage total des déchets.
Quelles sont les raisons, selon vous, de l’inertie des pouvoirs publics ?
Myriam Grosz – Il ne s’est rien passé entre 2002 et 2010. Les pouvoirs publics espéraient que ce dossier tomberait dans l’oubli. Les choses ont commencé à bouger en 2010 avec la création du Collectif. L’Etat ne peut pas faire sembler d’ignorer le problème.
Jean-Marie Dubel – Les MDPA-Stocamine ne veulent pas de déstockage. Mais pourquoi cet acharnement à vouloir tout confiner ? Pour l’instant, nous n’avons pas la réponse à cette question.
Un autre élément de blocage tient au fait que les administrations en France, le corps des mines, les fonctionnaires se retranchent derrière des experts qui ne connaissent pas la mine. Or,il faut tenir compte de l’expertise acquise par les mineurs. Cette expertise a été occultée dans le dossier Stocamine.
M. G. – Nous ne savons pas tout des déchets qui ont été stockés dans le fond…
Quels sont les risques pour l’environnement de ce confinement des déchets ?
E.C. – Nous avons la plus grande nappe phréatique d’Europe. Tous les experts du COPIL (Comité de pilotage) ont admis que la nappe phréatique sera polluée mais « on ne sait pas quand ». Aujourd’hui, on peut encore sortir les déchets.
J.-M. D. – Il n’est pas tenu compte non plus du risque sismique qui est réel. On relève tous les ans plusieurs secousses de magnitude 4.
M. G. – Les études de l’INERIS (Institut National de l’Environnement Industriel et des Risques) ont défini des seuils de potabilité. Mais ces seuils sont évolutifs… L’effet cocktail des poisons auquel s’ajoutent les pollutions de l’agriculture ne sont pas pris en compte.
E. C. – C’est la saumure qui va contaminer la nappe phréatique. A terme, toutes les mines seront noyées et avec elles les déchets. L’eau contaminée va remonter à la surface et contaminer la nappe phréatique.
J.-M. D. – Tous les puits des mines d’Ungersheim, Bollwiller, Wittelsheim, Staffelfelden ont été bouchés hermétiquement mais l’eau s’y infiltre tout de même. Les terrains s’écrasent également. Le modèle du site de stockage allemand de Herfa Neurode n’est pas du tout comparable avec les conditions de sécurité minière et de tenue de terrain de Wittelsheim. La mine de Wittelsheim est aussi grisouteuse, ce qui n’est pas le cas en Allemagne.
Comment êtes-vous tenus informés de l’état du site ?
J.-M. D. – La CLIS (Commission Locale d’Information et de Surveillance) a obtenu la mise en place d’un Comité de suivi du déstockage qui vient de démarrer. Le Collectif en fait partie.
M. G. – Nous recevons les newsletters de Stocamine.
E. C. – Nous sommes aussi informés par les personnes qui travaillent sur le site.
Quel est l’état d’esprit de la population locale ? Pas d’inquiétudes particulières ?
E. C. – On ne voit rien, ce n’est pas visible, il n’y a pas de fumée… C’est pratique pour ne pas y penser. Globalement, la population nous dit : « Vous êtes à la CLIS, on vous fait confiance ».
J-M. D. – Au moins 90 % de la population souhaite le déstockage total des déchets mais c’est plus difficile de la mobiliser.
Sur quel(s) front(s) allez-vous agir dans les mois qui viennent ?
E. C. – Nous attendons LA décision de la Ministre de l’environnement, avant la fin du mois de juillet, sur le choix d’un scénario qui va du déstockage partiel au déstockage quasi-total pour un coût variant entre 84 et 150 millions d’euros sur une durée de 7 à 11 ans. Nous attendons aussi une réaction européenne.
En attendant, le déstockage des 6 % a démarré.
J. K. – « Le principal risque de pollution du Rhin et de la nappe phréatique, c’est Stocamine », selon le rapport du SAGE (Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux). Nous voulons nous appuyer sur ces conclusions pour poursuivre notre action.
Propos recueillis par Myriam Buanic, rédactrice en chef du JAC
Collectif DESTOCAMINE, 2, rue de Lucelle, 68310 Wittelsheim
Yann Flory et Etienne Chamik, porte-paroles
Le Collectif est constitué d’associations et organisations syndicales suivantes : ACCES, AC Langenzug, Alsace Nature, BUND, CLCV-68, GAIA, AC Cernay et Environs, CFDT Mineurs, CFTC-CMTE, CFTC Mineurs, CGT Mines, TET.
http://www.concertation-stocamine.fr