L’INTERVIEW DU MOIS
SOPHIE LAMBOTTE, BCSF-RéNaSS
Bureau Central Sismologique Français – Réseau National de Surveillance Sismique
Le 7 avril a eu lieu un tremblement de terre de magnitude 5 dans le sud-est de la France. Il a été ressenti à Lyon, Grenoble, Marseille et Nice. L’épicentre du tremblement de terre était situé dans la vallée de l’Ubaye, à une dizaine de kilomètres de Barcelonette (Alpes-de-Haute-Provence). Il y actuellement encore des répliques (cf. les derniers tremblements de terre en France métropolitaine sur renass.unistra.fr).
L’Alsace est aussi une zone d’activité sismique. Elle héberge à Strasbourg, dans les locaux de l’Université, le site central du Réseau National de Surveillance Sismique (RéNaSS) créé dans les années 1980 pour fédérer les réseaux régionaux déjà existants, ainsi que le Bureau Central Sismologique Français (BCSF) créé en 1921.
Quelles sont les missions du BCSF-RéNaSS ? Quels sont les risques sismiques en Alsace ? Sophie Lambotte, physicienne adjointe et membre de l’équipe du BCSF-RéNaSS, a accepté de répondre à nos questions et nous a fait visiter les lieux.
Comment fonctionne le réseau ?
Photo Myriam Buanic
Chaque triangle correspond à une station sismologique installée de préférence loin des villes où l’activité humaine produit trop de bruits. Les stations sont réparties en France métropolitaine, avec une densité plus importante dans les zones les plus actives sismiquement : les Pyrénées, les Alpes, le fossé rhénan, et le Massif central. De nouvelles stations seront installées, notamment dans l’Ouest où elles sont encore peu nombreuses aujourd’hui, dans le cadre du projet RESIF (REseau SIsmologique et géodésique Français) qui va permettre une rénovation et une extension du réseau actuel.
Nous échangeons des données avec nos voisins (Espagne, Italie, Allemagne, Angleterre, Suisse). En effet, une part importante de la sismicité est localisée aux frontières.
Dans chaque station, il y a un vélocimètre qui mesure la vitesse de déplacement du sol. Chaque ligne correspond à une station. Pour une grande partie des stations, les données arrivent en temps réel par ADSL, radio, ou satellite. Le signal n’est jamais plat car il est généré par différentes sources de bruit : les activités humaines, avec plus d’ampleur aux périodes travaillées ; le bruit des océans qui se propage assez loin ; le vent qui souffle ; un animal qui passe à côté d’une station.
Le système analyse le signal en continu et de façon automatique. Il détecte une anomalie si l’amplitude du signal devient plus grande. La cohérence d’anomalies sur plusieurs stations crée un événement sismique et le localise. Quotidiennement, les signaux de la nuit, de la journée précédente ou du week-end sont analysés par l’équipe du BCSF-RéNaSS.
Les séismes mondiaux d’une magnitude supérieure à 5,5 sont également enregistrés par notre système.
Le système enregistre également l’activité sismique qui résulte de l’activité humaine et industrielle, comme l’exploitation des carrières (ex. de Merlebach en Lorraine) et parfois l’exploitation géothermique (ex. Soultz-sous-Forêts en Alsace).
Photo Myriam Buanic
Enregistrements en temps réel du mouvement du sol, chaque ligne correspond au signal vertical enregistré à une station sismologique.
Document remis par le BCSF-RéNaSS
Enregistrements du séisme du 7 avril 2014 (21h26m59 heure locale) de magnitude ML = 5.2. L’épicentre est situé dans la Haute-vallée de l’Ubaye, à une dizaine de kilomètres de Barcelonette (Alpes-de-Haute-Provence). Chaque ligne correspond à l’enregistrement d’une station sismologique.
Etes-vous en relation permanente avec la préfecture de la Région Alsace ?
Longtemps, nous avons eu un rôle d’alerte auprès des autorités. Depuis 2010, c’est le CEA-LDG (Commissariat à l’Energie Atomique / Laboratoire de Détection et de Géophysique), situé à Bruyères-le-Châtel en région parisienne, qui est en charge de cette alerte auprès des autorités (notamment le COGIC, en charge de la transmettre auprès des préfectures), ainsi que de l’alerte tsunami en Méditerranée occidentale et Atlantique nord-est (CENALT).
De notre côté, nous continuons à faire le suivi de l’activité sismologique en France métropolitaine et dans les zones frontalières. Nous sommes également chargés de la construction du bulletin de référence de la sismicité de la France métropolitaine, notamment en intégrant les données du BCSF-RéNaSS, du CEA-LDG, des observatoires sismologiques régionaux et des stations des pays frontaliers.
D’autre part, le BCSF-RéNaSS collecte et analyse les données macrosismiques pour chaque séisme ressenti (effets sur les personnes, les objets et les constructions). Pour cela, il mène des enquêtes dans les différentes communes et une mission de terrain en cas de dégâts, et il collecte également les témoignages des citoyens via son site (www.franceseisme.fr) et un questionnaire. Ces données permettent d’estimer en chaque commune une intensité (sévérité de la secousse).
Quelle est la différence entre l’aléa sismique et le risque sismique ?
L’aléa sismique est lié au phénomène sismique. Il est défini par la probabilité d’avoir un niveau de mouvement du sol dans une région sur une période de temps. Les cartes de zonage sismique qui permettent de définir des zones auxquelles sont associées des réglementations parasismiques (cf. www.planseisme.fr) sont établies à partir de ces probabilités. Dans l’aléa, il faut également intégrer l’aspect de réponse du sol : l’amplification du mouvement varie selon le type de sol (géologie) et de la topographie, et les dégâts sont donc plus ou moins importants.
En France, l’évaluation de l’aléa sismique reste difficile. La récurrence, c’est-à-dire le temps qui sépare deux séismes importants, est très grande, et nous n’avons donc pas une image complète de la sismicité à partir de quelques décennies avec les réseaux sismologiques. L’Alsace est une zone de sismicité modérée à moyenne. L’aléa sismique est considéré plus important dans le sud de l’Alsace.
Le risque sismique est la combinaison de l’aléa sismique, de la vulnérabilité des constructions, de la valeur des biens et des personnes. La vulnérabilité des constructions existantes est très variable dans la région.
Y a-t-il lieu de s’inquiéter en Alsace ?
Le fossé rhénan supérieur s’étend de Bâle à Francfort. C’est un ancien « rift ». Des failles sont présentes en bordure et à l’intérieur du rift. L’activité passée de ces failles et leur potentiel sismogène (capacité à produire un séisme destructeur) reste difficile à évaluer, car la déformationen Alsace est très lente (inférieure à 1 mm/an), et donc encore mal connue.
La sismicité observée est plus importante dans le sud du fossé rhénan, dans les massifs des Vosges et de la Forêt-Noire. Je vous rappelle les tremblements de terre récents les plus importants dans le fossé rhénan : Sierentz en 1980 (magnitude 4,9), Remiremont en 1984 (magnitude 4,5), Ramberviller dans les Vosges en 2003 (magnitude 5.4), Waldkirch en Forêt-Noire en 2004 (magnitude 5.3). Dans le fossé rhénan, il y a une petite activité régulière, mais qui n’est pas forcément ressentie.
Historiquement, les séismes qui ont fait date sont ceux de : Bâle, le 18 octobre 1356, qui a détruit une grande partie de la ville (magnitude estimée selon les études entre 6,2 et 7) ; Remiremont en 1682.
En France et dans les zones frontalières, les derniers séismes les plus sévères ont été ceux de Lambesc en 1909 (magnitude 6) et de la Mer Ligure en 1963 (magnitude 6).
Propos recueillis par Myriam Buanic.
Le Bureau Central Sismologique Français
CEA-LDG
RESIF :