Information et sobriété en matière d’exposition à des ondes électromagnétiques (loi n°2015-136 du 9 février 2015)
Benoit Steinmetz
Maître de conférences HDR en Droit privé – Université de Haute Alsace
Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (EA3992)
Rédacteur en chef de la revue Riseo – Risques, études et observations
La multiplication des sources d’émission électromagnétique et de l’implantation des antennes relais nécessaires à la 4G s’accompagne depuis quelques années d’une appréhension croissante et médiatisée vis-à-vis des effets sanitaires des ondes. Le refus de l’exposition à un risque, même incertain, n’a par ailleurs d’égal que d’une part, l’incertitude scientifique en la matière, d’autre part, la perte de confiance dans la parole des autorités publiques.
C’est dans ce contexte, et suite à un long processus législatif, que la loi n°2015-136 relative à la sobriété, à la transparence, à l’information et à la concertation en matière d’exposition aux ondes électromagnétiques (connue sous le terme de loi Abeille, du nom de la Députée à l’origine du texte) a été votée le 9 février et publiée le 10 février 2015.
Ensemble relativement disparate de mesures, la loi obéît en réalité à deux fils conducteurs qui sont l’encadrement de l’utilisation des téléphones portables et l’acceptabilité sociale des antennes relais de téléphonie mobile. A ces fins, le texte impose un ensemble de mesures et actions à visée informative (I) et installe dans le paysage législatif un principe nouveau, celui de sobriété qui permettra la prise en compte du niveau d’émission d’ondes provenant des antennes relais environnantes (II).
I) Une finalité d’information et non de réduction du seuil d’émission d’ondes électromagnétiques
La loi du 9 février 2015 instaure un ensemble d’exigences quant à l’information qui doit être portée à destination des riverains, et plus largement, de l’ensemble des citoyens. Elles sont la conséquence de la faible acceptabilité sociale aux ondes électromagnétiques, du fait notamment d’un manque, réel ou supposé, de transparence. Ce constat avait été fait à plusieurs reprises dans des travaux parlementaires, mais aussi dans le rapport parlementaire intitulé « Développement des usages mobiles et principe de sobriété », remis au Premier Ministre en novembre 2013. L’objectif premier poursuivi par une amélioration de l’information était donc d’améliorer cette acceptabilité sociale, plus que de prendre en compte une incertitude scientifique ou sanitaire.
L’Agence Française Nationale des Fréquences (AFNR) est mise à contribution, tout comme l’Anses ou les opérateurs téléphoniques. Même les maires, dont la voix n’est pas souhaitée quand ils s’opposent à l’implantation d’une antenne relais, sont sollicités en vue de favoriser la concertation et de pacifier les relations entre riverains et opérateurs téléphoniques… du moment que cela ne nuit pas au projet d’installation d’une antenne relais.
L’AFNR devra procéder chaque année à un recensement des lieux atypiques, entendus comme ceux où le niveau d’exposition aux champs électromagnétiques dépasse substantiellement celui observé à l’échelle nationale (L. 34-9-1 CPCE). Les opérateurs auront alors six mois pour procéder aux adaptations nécessaires pour réduire ce niveau, sous réserve de faisabilité technique.
Plus largement, toutes les mesures effectuées seront accessibles aux propriétaires et occupants d’un immeuble chaque fois qu’une nouvelle installation émettant des ondes sera réalisée afin de mesurer l’exposition globale aux ondes.
Dans la même optique de transparence et d’information, la loi prévoit que l’Anses doit assurer une veille en matière d’émission d’ondes et évaluer périodiquement les risques potentiels. On remarquera cependant que cette problématique fait déjà l’objet d’un suivi par l’Agence et a donné lieu à plusieurs rapports ces dernières années (pour un aperçu des différents avis et rapports : https://www.anses.fr/fr/content/radiofréquences-téléphonie-mobile-et-technologies-sans-fils).
L’installation d’une antenne relais de téléphonie mobile devra également faire l’objet d’une information préalable aux maires ou présidents d’EPCI qui pourront ensuite organiser une concertation avec les habitants. Rôle de concertation donc, de décision certainement pas, puisque le maire ne dispose pas du pouvoir de police pour s’opposer à une telle implantation (il « ne saurait, sans porter atteinte aux pouvoirs de police spéciale conférés aux autorités de l’Etat, adopter sur le territoire de la commune, une réglementation portant sur l’implantation des antennes de téléphonie mobile et destinées à protéger le public contre les effets des ondes émises par ces antennes », CE, Ass., 26 octobre 2011, Commune de Saint-Denis, req. n° 326492).
La loi comporte enfin plusieurs dispositions concernant la vente et l’usage du téléphone portable et des équipements terminaux radioélectriques. Les notices doivent indiquer de manière claire comment activer ou désactiver le wifi et inciter à l’utilisation d’un accessoire limitant l’exposition de la tête. De même, les publicités doivent faire apparaitre l’utilisateur avec un kit mains libres.
Les mesures d’information, accessoirement celles qui incitent à limiter l’exposition aux ondes provenant des téléphones, ne sont pas anodines. D’un point de vue juridique, l’élément central ne réside pas en ces points, mais dans l’émergence d’un nouveau principe, celui de sobriété.
II) La prise en compte du niveau cumulé d’ondes provenant des antennes relais environnantes
La loi du 9 février 2015 introduit ou conforte un certain nombre de prescriptions qui, au nom du principe de précaution, doivent réduire l’exposition aux ondes électromagnétiques. La contrainte ne s’exerce pas à titre principal à l’encontre des opérateurs de téléphonie mobile et ne vise pas l’émission provenant des antennes relais.
On notera par exemple que les installations, notamment en wifi, émettant des ondes sont prohibées dans les lieux accueillant des enfants de moins de trois ans et doivent être désactivées dans les écoles primaires en dehors des activités à visée pédagogique.
La loi de février 2015 aborde également la problématique de l’hypersensibilité et impose que la question fasse l’objet d’un rapport remis au parlement avant février 2016, lequel déterminera s’il est opportun et faisable d’instaurer des zones à rayonnements électromagnétiques limités. Cette prise en compte constitue une avancée par rapport à la situation actuelle qui niait en grande partie, du moins au niveau législatif et réglementaire, l’existence d’une possible pathologie.
En se fondant sur un principe de sobriété (A), la prise en compte de l’environnement, notamment électromagnétique, dans le projet d’installation d’une nouvelle antenne relais constitue probablement l’avancée majeure du texte de loi. Ce principe, même décrié, constituera probablement un outil à disposition des requérants qui contestent l’implantation d’une antenne relais et, peut-être, à disposition des magistrats amenés à se prononcer (B).
A) La référence nouvelle à un principe de sobriété
Le principe de sobriété était abordé dans le rapport « Développement des usages mobiles et principe de sobriété » de novembre 2013, lequel recommandait de l’exclure du futur texte législatif, au motif qu’il n’était pas pertinent de « faire figurer dans la loi un principe de sobriété en tant que tel, par rapport auquel les exégètes et les juristes se perdraient en conjectures et en contentieux sans que l’exposition en soit diminuée ou que le débat public local y gagne ».
A ce principe, le rapport préférait le simple recours au bon sens, notamment en ne recourant pas aux ondes quand une solution filaire était possible (par exemple dans les crèches ou les écoles).
Le législateur a pourtant fait le choix d’intégrer ce principe dans la loi, tout en omettant soigneusement d’en préciser les contours et la définition.
A vrai dire, et bien que le terme de sobriété ne s’y trouve pas à proprement parler, une notion approchante existait déjà dans un cas de figure précis. On la retrouve dans l’article 5 du décret 2002-775 du 3 mai 2002, relatif aux valeurs limites d’exposition du public aux champs électromagnétiques émis par les équipements, en ces termes : « les actions engagées pour assurer qu’au sein des établissements scolaires, crèches ou établissements de soins qui sont situés dans un rayon de cent mètres de l’équipement ou de l’installation, l’exposition du public au champ électromagnétique émis par l’équipement ou l’installation est aussi faible que possible tout en préservant la qualité du service rendu ».
Sur le principe de sobriété, les parlementaires se sont accordés dès l’origine pour souligner qu’il ne s’agissait pas d’instaurer un seuil d’émission plus faible que celui actuellement en vigueur, au grand dam de nombreuses associations environnementales ou de riverains d’antennes relais. Plus que de l’émission d’ondes, appréciée à partir d’une installation déterminée, le texte est en réalité axé sur le niveau d’ondes subi par une personne déterminée, par rapport à un environnement global.
De la même manière, la question des antennes relais a été considérée comme non primordiale, avec une finalité manifeste de ne pas accentuer les contraintes pour une implantation et de ne pas favoriser un démantèlement par voie de justice.
Au contraire, une hiérarchisation des questions à traiter fut mise en avant pour se concentrer sur l’émission d’ondes dans les foyers par les terminaux privés ou résultant de l’emploi du téléphone portable, dont le risque apparaissait prioritaire par à celui résultant des ondes provenant des antennes relais de téléphonie mobile.
B) La mise en œuvre du principe dans le cadre d’un contentieux
Dans un premier temps, la réaction face au principe de sobriété a été l’interrogation, voire le scepticisme, d’autant plus que le texte ne satisfaisait ni les associations qui souhaitaient un abaissement du seuil d’émission des ondes, ni les opérateurs téléphoniques qui se voyaient confronter à un nouveau principe, s’ajoutant à celui de précaution, dont ils ignoraient l’emploi possible par les juges.
On pourrait y ajouter l’étonnement des juristes face à ce principe non défini, dont il est raisonnable de penser qu’il constituera un outil propice à un développement du contentieux, sorte de principe ALARA bis, alors même que le risque en matière d’ondes n’est à ce jour pas certain comme l’est l’exposition à des radiations.
Pour autant, il ne faut pas négliger a priori ce principe. Le principe de précaution, dont le législateur était loin de deviner l’usage qui en serait fait par les juridictions nationales, constitue en ce sens un précédent qu’il faut garder en mémoire.
Le principe de sobriété pose la question de sa qualification et le fait de savoir s’il est créateur d’obligations et donc d’une éventuelle sanction dans le cadre d’un contentieux. La question se pose avec d’autant plus d’acuité que l’obligation ne porte pas sur le respect d’un seuil d’émission d’ondes électromagnétiques, mais finalement sur une auto-limitation, une auto-régulation par rapport à ce qui est nécessaire ou possible techniquement.
Dans le cadre d’un litige, se posera aussi la question de la preuve. S’agissant d’une obligation de moyens, il appartiendra aux requérants de démontrer que l’opérateur n’a pas mis en œuvre tous les moyens à sa disposition pour assurer une exposition aussi faible que possible. Cela promet de belles batailles d’experts, du moins dans l’hypothèse où le requérant aura une connaissance suffisante d’un point de vue technique et sanitaire, ce qui est loin d’être certain.
L’intérêt du principe de sobriété n’est pas négligeable pour autant, notamment en présence de plusieurs relais sur un lieu déterminé. La contestation de l’implantation d’une antenne ne pouvait s’appuyer sur l’absence de mutualisation entre opérateurs d’une antenne déjà existante et ne pouvait pas se fonder sur un niveau global d’ondes trop important, le seul élément pris en compte étant celui des émissions de la nouvelle installation.
Le principe de sobriété pourrait être un outil juridique utile dans ce cas de figure et conduire à rejeter l’implantation d’une antenne, au motif que le cumul des ondes électromagnétiques contrevient au principe en question. Ce sera d’autant plus le cas lorsque, lors de l’implantation d’une installation radioélectrique et sur demande du maire, son exploitant a dû joindre au dossier d’information une simulation de l’exposition dont l’objectif est de donner une estimation des niveaux de champs électromagnétiques. Cette information portera en effet sur l’installation radioélectrique, compte tenu des paramètres d’émission envisagés par l’exploitant, mais surtout de l’environnement dans lequel elle s’insère.