Faut-il nationaliser les banques ?

Cette interrogation peut en effet paraître évidente : les banquiers ont gagné beaucoup d’argent eux-mêmes en en faisant perdre à tous, et lorsqu’ils ont été au bord du dépôt de bilan, ils ont fait appel à l’État qui a dû les secourir, car l’économie ne peut survivre sans les banques. Conclusion : que l’État prenne les commandes à la place des banquiers qui ont démontré leur incompétence, et que les profits, quand ils reviendront, aillent dans les poches de l’État, c’est-à-dire de nous tous…tel est le discours des partisans de la nationalisation des banques. Mais, comme toujours, il faut se méfier de la simplicité des évidences. Les deux questions que quelqu’un de sérieux doit  implicitement se poser  ici sont : « Serait-il plus juste que l’État soit le propriétaire et le patron des banques ? », et : « Les banques seraient-elles plus performantes dans l’accomplissement de leur mission de financement de l’économie, si l’État en était le propriétaire et le patron ? » Bien que la première question ressorte de la morale, dont on sait qu’elle n’a que peu de chose à voir avec la performance, elle mérite d’être posée. Les actionnaires des banques, les banques et les banquiers eux-mêmes ont gagné beaucoup d’argent ces dernières années, particulièrement aux États-Unis, pour, au final, avoir fait perdre des milliers de milliards de dollars aux économies du monde entier. Il serait injuste qu’ils n’en subissent pas les conséquences. Or, si l’on veut bien ouvrir les yeux, on se rend compte que les actionnaires des banques et les banques elles-mêmes, du moins celles qui ont « fauté », sont sévèrement punis. Quand le cours de la Bourse d’une banque s’écroule de 90 %, quand le capital d’une banque en difficulté est repris pour quelques euros symboliques par l’État où se situe son siège social, ou par un concurrent, ce sont tous les actionnaires de cette banque qui voient leur fortune disparaître en fumée. C’est bien ce qui a été le cas, et on peut considérer que la « punition » est bien réelle. Nationaliser les banques pour cette seule raison apparaît donc comme inutile. Reste les banquiers eux-mêmes, les patrons, les traders, les gestionnaires de hedge funds et autres, qui ont gagné des fortunes en faisant perdre la leur à nous tous. Eux aussi, pour la plupart, ont perdu beaucoup d’argent et pour certains, même leur emploi. Quant à la seconde question, celle de savoir si l’État ne serait pas plus performant s’il était propriétaire et dirigeait les banques, elle appelle deux réponses :

Une réponse d’expérience d’abord : chaque fois que l’État s’est mêlé de diriger lui-même les banques, l’expérience s’est révélée soit désastreuse (voir l’histoire de la faillite du Crédit Lyonnais), soit sans incidence sur la conduite de la banque, qui a été gérée comme n’importe quelle banque. À ceci près que, dans le second cas, celles qui se trouvaient dans cette situation, se sont retrouvées handicapées par rapport à leurs concurrentes par leur incapacité à lever les fonds nécessaires à leur développement sur le marché. Quand l’État ne peut apporter de nouveaux capitaux au capital des banques, parce qu’il n’en a pas de disponible pour cet usage, et qu’il veut garder la majorité ou la totalité du capital pour lui, on se trouve dans une impasse ! C’est la raison pour laquelle on a privatisé les banques qui avaient été nationalisées en 1981, et c’est la raison pour laquelle tous les pays dont les États sont rentrés dans le capital des banques en difficulté se sont engagés à les privatiser dès que la confiance du marché sera rétablie.

La seconde réponse est celle qui explique la réponse précédente : pourquoi l’État est-il au mieux un « patron » de banques comme les autres, et, au pire, un patron inconséquent et très peu performant ? Pour une raison simple. L’État apporte certes une garantie, mais quand les choses vont normalement bien, elle est inutile. Reste alors la question de sa gestion au quotidien d’un établissement bancaire. Dans ce cas, de trois choses l’une:

• soit l’État n’intervient pas dans la gestion de la banque, ce qui veut dire que cela ne change rien à la pratique du métier de banquier. Dans ce cas, sa détention du capital de la banque est une immobilisation qui porte bien son nom : de l’argent appartenant à nous tous est immobilisé, alors qu’il pourrait servir à d’autres investissements plus conformes aux missions de l’État ;

• soit l’exécutif n’est pas contrôlé et peut faire ce qu’il veut (c’est ce qui s’est passé dans le cas du Crédit Lyonnais) ;

• soit, enfin, l’État intervient, mais en fonction de ses propres objectifs qui ne sont pas simplement ceux qui consistent à faire du profit. Et l’expérience prouve que les politiques qui sont à la tête de l’État, quelles que soient leurs couleurs politiques, dévoient la mission première d’un établissement bancaire en lui demandant ou en lui imposant des objectifs politiques qui, la plupart du temps, consistent à soutenir des canards boiteux, ou à se lancer dans des politiques d’investissement hasardeuses.

Bref, l’État est un mauvais actionnaire… mais une bonne caution en période de crise de confiance. C’est ce rôle qu’il joue avec sagesse aujourd’hui, en ce que nulle part au monde, il ne prétend vouloir rester au capital des banques qu’il peut être conduit à nationaliser.

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