EXPULSION DE DEUX CAMPEMENTS POUR INSECURITE : Commentaire de Cass. 3e civ., 22 octobre 2015, n° 14-11.776
Isabelle Corpart
Maître de conférences en droit privé à l’UHA CERDACC
Une cour d’appel a légitimement justifié sa décision de faire expulser des familles occupant des campements illicites établis dans une zone dangereuse et vivant dans des conditions très précaires afin de prévenir un danger imminent.
Mots clefs : Cabane – campement – Convention européenne des droits de l’homme – danger imminent – domicile – expulsion – insécurité – risque sanitaire – vie privée
Pour se repérer
Deux familles occupaient une cabane sur un terrain de la ville de Paris, situé à proximité d’une bretelle de sortie du boulevard périphérique. Ces campements ne disposaient ni de sanitaires ou d’eau courante, ni d’électricité, aussi l’éclairage se faisait-il à la bougie et un chauffage au bois avait-il été installé dans les cabanes. Les chiens des occupants avaient également agressé des agents municipaux lors de travaux sur la voirie. Pour mettre fin à ces désordres, la ville de Paris avait ordonné en référé l’expulsion des occupants pour installation illicite de campements sur le terrain d’autrui.
Pour aller à l’essentiel
Pour la Cour de cassation, dans son arrêt rendu le 22 octobre 2015 par la troisième chambre civile (n° 14-11.776), la nécessité de prévenir un dommage imminent caractérisé par un danger pour la sécurité tant des usagers du boulevard périphérique que des familles occupant deux campements établis dans une zone dangereuse et dans des conditions très précaires justifie l’expulsion immédiate des occupants qui voient aussi leur demande de délai rejetée.
Pour aller plus loin
L’expulsion est ici justifiée par le danger imminent lié à l’installation de ces familles dans une zone dangereuse. Plusieurs arguments pouvaient être invoqués. D’une part, leur mode de vie présentait un risque sanitaire faute d’accès à l’eau courante ou aux sanitaires. N’ayant pas non plus l’électricité, les occupants risquaient d’autre part, de provoquer des incendies car ils s’éclairaient à la bougie et utilisaient un chauffage au bois dans leurs cabanes. En outre, leurs chiens avaient déjà agressé des agents municipaux et auraient pu s’en prendre à d’autres usagers.
Ces éléments pouvaient caractériser un danger pour autrui mais aussi pour les occupants eux-mêmes et leurs familles en raison de ces conditions de vie insalubres et de l’insécurité liée à ces campements de fortune.
Pour s’y opposer, les deux familles invoquaient une atteinte au respect du domicile et de la vie privée qui est écartée par la Cour de cassation. Elles n’ont pas été admises de se prévaloir d’un droit à mener une vie familiale normale sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elles n’occupaient pas en effet un local à usage d’habitation mais un terrain nu sur lesquelles des cabanes avaient été édifiées.
Si la perte d’un logement est une des atteintes les plus graves au droit au respect du domicile, cet argument est toutefois sans effet dès lors que l’occupation sans droit ni titre de la propriété d’autrui constitue en soi un trouble manifestement illicite justifiant une mesure d’expulsion. L’argument général – les campements présentant un danger pour la sécurité – l’emporte sur la violation de l’article 8 de la Conv. EHD pour privation de domicile.
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LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Donne acte à M. Iordache X… du désistement de son pourvoi en ce qu’il est dirigé contre Mmes Y…, Z…et A…, et contre MM. Nicolae, Gabriel et Radu X… ;
Vu la connexité, joint les pourvois n° A 14-21. 515 et Q 14-11. 776 ;
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 23 avril 2013), que la Ville de Paris, invoquant l’installation illicite de campements sur des terrains lui appartenant, a assigné en expulsion M. Ciuraret Mme A… (les consorts X…-A…) devant le juge des référés ; que les consorts X… A… se sont opposés à la demande et ont, subsidiairement, demandé des délais d’expulsion ;
Attendu que les consorts X…-A…font grief à l’arrêt d’ordonner leur expulsion et de rejeter leur demande de délai, alors, selon le moyen :
1°/ que, selon les circonstances, une cabane peut constituer un domicile et un logement relevant du droit au respect de la vie privée et familiale consacré par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, que la perte d’un logement est une des atteintes les plus graves au droit au respect du domicile, indépendamment de la légalité de l’occupation, que toute personne qui risque d’être victime d’une atteinte au droit au respect du domicile doit en principe pouvoir faire examiner la proportionnalité de cette mesure à la lumière des principes qui découlent de l’article 8 de la convention et qu’en statuant ainsi, sans examiner la situation de fait des occupants, la cour d’appel a donc violé ce texte ;
2°/ qu’en vertu du même texte, une cabane peut constituer une habitation au sens des articles L. 613-1 du code de la construction et de l’habitation ainsi que des articles L. 411-1, L. 412-1, L. 412-3 et L. 412-4 du code des procédures civiles d’exécution et qu’en lui déniant cette qualification, la cour d’appel a de nouveau violé l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu qu’ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que deux campements se trouvaient sur des espaces situés à l’angle d’avenues et à proximité d’une bretelle de sortie du boulevard périphérique, que ces campements ne disposaient ni de sanitaires, ni d’eau courante, ni d’électricité, que l’éclairage se faisait à la bougie et le chauffage au bois dans des cabanes et que deux agents municipaux venus effectuer des réparations sur la voirie avaient été agressés par des chiens appartenant aux occupants, la cour d’appel, qui a retenu, par un motif non critiqué, que la nécessité de prévenir un dommage imminent caractérisé par un danger pour la sécurité tant des usagers du boulevard périphérique que des intéressés eux-mêmes et de leurs familles, exigeait leur expulsion sans délai, a légalement justifié sa décision au regard des droits fondamentaux protégés par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Condamne M. Iordache X… et Mme Sedra A…aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes (…)