Les services de l’Assemblée nationale viennent de publier en ligne l’audition du général Philippe Boutinaud, commandant la brigade de sapeurs-pompiers de Paris, devant la commission de la défense nationale et des forces armées, à propos de leur intervention lors des attentats de novembre 2015 à Paris.
http://www.assemblee-nationale.fr/14/cr-cdef/15-16/c1516029.asp
Nous ne saurions que trop conseiller au lecteur d’aller consulter dans leur intégralité les propos du général, tant ils témoignent du climat mental qui régnait en ces moments dans les esprits des intervenants et de leur aptitude à tenir sous le choc. Nous prenons toutefois la liberté d’en extraire ces quelques lignes, riches d’enseignements :
« Permettez-moi de vous présenter en quelques mots la BSPP. C’est Napoléon Ier qui créa le bataillon de pompiers de Paris en 1811 et le plaça sous l’autorité du préfet de police. La BSPP est aujourd’hui forte de 8 600 hommes et femmes, dont 8 000 à Paris. Elle est chargée de la sécurité des personnes et des biens dans la capitale et les trois départements de la petite couronne. Elle constitue la plus grosse unité de sapeurs-pompiers en Europe et la troisième dans le monde après celles de Tokyo et de New York. Elle effectue près de 460 000 interventions annuelles, soit environ 1 250 par jour.
L’opération du 13 novembre constitue assurément la plus grosse opération de secours par le nombre de victimes depuis les années quatre-vingt et peut être la plus importante jamais effectuée par les pompiers de Paris si l’on exclut les bombardements de la seconde guerre mondiale. Ce qui est certain, c’est que jamais nous n’avions dû traiter autant de victimes en aussi peu de temps. Pour prendre en charge les blessés des sept attentats simultanés perpétrés à Saint-Denis d’un côté, et dans les Xe et XIe arrondissements de Paris de l’autre, la BSPP a dépassé les exigences posées par son contrat opérationnel. Ces attaques ont été concentrées en 40 minutes. Dans les Xe et XIe arrondissements, six sites d’interventions sont répartis sur à peine quatre kilomètres carrés. L’identification des sites en a été d’autant plus ardue que les adresses se trouvaient très proches les unes des autres, et l’on nous en donnait parfois deux pour des établissements situés à l’angle de deux rues.
À partir de 22 heures, l’action s’est fixée au Bataclan, ce qui nous a aidé à concentrer nos moyens. L’ensemble de l’opération a duré huit heures, puisqu’elle a débuté à 21 heures 19, heure de la première explosion au Stade de France, et s’est achevée à 5 heures 30 le 14 novembre, moment où nous avons clos les opérations de secours au Bataclan.
L’action d’ensemble des secours de la BSPP s’articule en quatre phases successives :
• De 21 heures 19 à 22 heures, nous étions dans la phase de réaction, qui s’est avérée tumultueuse car nous devions faire face à de très nombreuses demandes de secours. Ces moments sont chaotiques pour tous les services et le resteront toujours dans de pareilles circonstances. J’ai été affecté chez les pompiers de Paris pour la première fois il y a 26 ans où j’ai fait de très nombreuses interventions, j’ai participé à plusieurs opérations extérieures (OPEX) dans les forces armées et j’ai toujours été confronté au chaos du premier quart d’heure. La différence entre une unité d’élite et une autre réside dans le temps nécessaire au rétablissement. Nous avons mis environ vingt minutes pour y parvenir, ce qui, de mon point de vue, constitue une performance.
• De 22 heures à 0 heure 20, c’est la phase de reprise d’initiative, puisque nous commencions à savoir précisément ce qui se passait et à quels endroits. Dans cette phase, à en juger par le nombre d’appels de services extérieurs, il semble que seuls les pompiers de Paris avaient une vue à peu près claire des événements.
• De 0 heure 20, heure de l’assaut au Bataclan, à 4 heures 21, c’est la phase de concentration des efforts sur deux sites majeurs avec d’un côté l’évacuation des spectateurs du Stade de France et de l’autre la prise en compte des très nombreuses victimes du Bataclan.
• Enfin de 4 heures 30 à 8 heures, c’est la phase de retour à la normale. À 8 heures du matin, tous les véhicules de la BSPP avaient retrouvé l’intégralité de leur potentiel, c’est-à-dire que le stock de produits pharmaceutiques et des consommables des ambulances de réanimation et des véhicules de secours aux victimes avait été reconstitué.
À 4 heures 21, j’ai transmis au préfet de police un bilan de 381 victimes comptabilisées par les pompiers, dont 124 décès, 100 urgences absolues et 157 urgences relatives. À ce bilan il faut ajouter les nombreuses personnes qui se sont présentées spontanément dans des hôpitaux pour faire soigner diverses blessures sans avoir été prises en compte par les sapeurs-pompiers. Au total, 430 pompiers de Paris et 125 engins ont été dépêchés sur les lieux des attentats ; 250 personnes travaillaient derrière eux dans la chaîne de commandement et de soutien. Plusieurs véhicules ont essuyé des tirs dont deux sont sévèrement impactés par balles.
Alors quelles sont les difficultés initiales que nous avons rencontrées ?
Tout d’abord il s’agit de comprendre ce qui se passe en pareilles circonstances. Entre 21 heures 30 et 22 heures, nous avons reçu 700 appels, dont certains faisaient état de fusillades, d’autres d’explosions, d’autres de scènes de panique ou de prises d’otages. On nous indiquait de très nombreuses adresses différentes, car, outre les angles de rue, de nombreuses personnes, blessées et échappées du Bataclan par exemple, se réfugiaient sous des portes cochères dans les rues voisines ou montaient dans la première voiture qui passait.
En second lieu, il y avait 72 000 personnes au Stade de France, dont les plus hautes autorités de l’État. Nous avons demandé et obtenu que le stade ne soit pas évacué. En effet, pendant que les spectateurs regardaient le match, dès lors qu’aucune explosion n’avait eu lieu à l’intérieur, les gens risquaient moins dans le stade que dehors où des kamikazes auraient pu se mêler à la foule pour alourdir le bilan. Par ailleurs ça laissait aux secours et aux policiers un répit pour travailler plus sereinement après les deux premières explosions commises par des kamikazes.
Globalement, cette opération de secours fut réussie grâce à notre anticipation, notre organisation, notre préparation opérationnelle et nos décisions, planifiées et prises durant l’intervention ».
« Nous avons été efficaces le 13 novembre dernier, et il aurait été difficile de faire mieux. Il ne s’agit pas d’une autocélébration et nous devons nous pencher non pas sur la guerre que nous venons de vivre, mais sur la prochaine. Il faut se préparer à toutes les hypothèses, même les pires, afin de garantir la capacité à mener des opérations de secours dans des contextes très complexes. Il faut continuer à réfléchir, à s’entraîner et à s’adapter, car ce n’est pas à un risque que nous devons faire face, mais à une menace, ce qui change tout ».