Electro-hypersensibilité et reconnaissance de l’incapacité
Benoit Steinmetz
Maître de conférences HDR en Droit privé – Université de Haute Alsace
CERDACC (EA3992)
Rédacteur en chef de la revue Riseo – Risques, études et observations
L’écho dans la presse concernant des cas d’électro-hypersensibilité est de plus en plus fort et préfigure d’une véritable question de santé publique. Parallèlement aux travaux initiés par différentes agences de santé et à la prise en compte de cette réalité par le législateur, les litiges se développent pour demander soit l’aménagement du logement pour réduire l’intensité des ondes électromagnétiques, soit la reconnaissance d’un handicap comme nous pouvons le voir dans une décision du 8 juillet 2015 rendue par le Tribunal du contentieux de l’incapacité de Toulouse.
En date du 8 juillet 2015, un jugement du Tribunal du contentieux de l’incapacité de Toulouse a accordé un taux d’incapacité de 85 % à Marine Richard, en raison de son hypersensibilité aux ondes électromagnétiques. Pour cela, la juridiction s’est basée sur une expertise judiciaire relevant un « syndrome d’hypersensibilité aux ondes électromagnétiques » dont « la description des signes cliniques est irréfutable ». Citant le médecin-expert mandaté, le tribunal a également souligné que la symptomatologie disparaît dès que les causes sont éliminées et que cela impose un mode de vie et des sacrifices qui ne permettent pas la moindre suspicion de simulation. En l’occurrence, la plaignante a du se réfugier dans une ancienne bergerie de montagne, sans électricité, ni route d’accès carrossable.
La décision ne va pas sans rappeler un arrêt de la Cour de cassation italienne du 12 octobre 2012, reconnaissant le lien de causalité entre l’usage du téléphone et un cancer, qualifié de maladie professionnelle, alors même que l’organisme public en charge des accidents de travail et des maladies professionnelles (INAIL) avait refusé de reconnaître le caractère professionnel de la maladie, au motif que le lien de causalité entre sa pathologie et son activité n’était pas établi (B. Steinmetz, Téléphone portable et maladie professionnelle : la reconnaissance d’un lien de causalité par la Cour de cassation italienne, JAC n°129, décembre 2012).
Toujours est-il que ce jugement conforte la prise en compte de la problématique des ondes électromagnétiques et de la réalité de l’électro-hypersensibilité. Bien que très ponctuellement, cette question avait déjà fait l’objet de décisions favorables, y compris de la Cour de cassation (par exemple : Civ. 1ère, 17 octobre 2012, pourvoi 10-26854).
En l’espèce, un riverain électro-sensible avait assigné plusieurs opérateurs téléphoniques sur le fondement du trouble anormal de voisinage, aux fins d’obtenir la réparation du trouble de jouissance et du préjudice physique et moral subi, ainsi que la condamnation des opérateurs à procéder au blindage de son domicile.
La Cour de cassation admettait le principe d’une réparation dans le cadre de la responsabilité civile et l’octroi de dommages et intérêts en réparation du préjudice d’angoisse en rejetant le pourvoi intenté contre l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 1er octobre 2010.
Pour autant, le simple fait d’alléguer cette pathologie est largement insuffisant. Il est en effet nécessaire de l’appuyer par des attestations médicales sérieuses sous peine de voir la demande rejetée (en ce sens, à propos d’un litige entre une locataire et un bailleur social, Cour d’appel de Colmar, 15 décembre 2008 : « l’appelante produit quelques certificats médicaux qui, à l’exception de celui établi le 31 janvier 2007 ne se rapportant pas à la période pour laquelle elle allègue un préjudice, ne font pas état de problèmes d’hypersensibilité médicalement constatés… Au surplus, et même si cette pathologie existe, Mme R. ne démontre pas que celle-ci est imputable aux antennes relais… Aucune mesure sérieuse n’a été réalisée sur la puissance des ondes émises par ces antennes ni sur leur incidence sur la santé de l’appelante. Si le Dr S. a constaté un léger œdème digital, il ne se prononce pas sur l’origine de celui-ci, l’hyperesthésie n’étant pas exclusivement provoquée par les antennes de téléphonie… Dès lors que Mme R. est défaillante dans l’administration de la preuve qui lui incombe…, B. Steinmetz, Les antennes relais de téléphonie mobile : espèce menacée ? JAC n°91, février 2009).
Il faut dire, qu’au niveau international, si l’Organisation mondiale de la santé n’avait classé les champs électromagnétiques comme » cancérigènes possibles » qu’en 2011, elle avait souligné dès 2005 que les symptômes des électro-hypersensibles étaient avérés et potentiellement graves. Plus récemment, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) concluait que les données scientifiques disponibles ne montraient pas » d’effet avéré sur la santé « , tout en recommandant de limiter les expositions aux radiofréquences, en particulier pour les populations les plus fragiles.
Alors que les études précitées ont en commun de ne pas exclure des effets sanitaires à long terme, sans pour autant établir l’existence d’un danger, le rapport Bio-initiative de janvier 2012, publié en janvier 2013, va plus loin dans l’exposé des risques liés à l’utilisation du téléphone. Récapitulant près de 1800 études scientifiques sur la question, le rapport met en avant l’existence de risques non négligeables, notamment de développer une tumeur cérébrale maligne, de modification de l’ADN ou de diminuer la fertilité masculine en cas d’utilisation du téléphone portable ou le wifi (« base station »).
Ces études ne pouvaient pas laisser le législateur silencieux. La loi n°2015-136 relative à la sobriété, à la transparence, à l’information et à la concertation en matière d’exposition aux ondes électromagnétiques (connue sous le terme de loi Abeille, du nom de la Députée à l’origine du texte) qui a été votée le 9 février et publiée le 10 février 2015 aborde ainsi la problématique de l’hypersensibilité et impose que la question fasse l’objet d’un rapport remis au parlement avant février 2016, lequel déterminera s’il est opportun et faisable d’instaurer des zones à rayonnements électromagnétiques limités.
Dans le même ordre d’idée, l’AFNR devra procéder à un recensement annuel des lieux atypiques, entendus comme ceux où le niveau d’exposition aux champs électromagnétiques dépasse substantiellement celui observé à l’échelle nationale. Les opérateurs auront alors six mois pour procéder aux adaptations nécessaires pour réduire ce niveau, sous réserve de faisabilité technique.
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