du code du transport au code du tourisme et vogue le bateau

DU CODE DU TRANSPORT AU CODE DU TOURISME : ET VOGUE LE BATEAU !

Commentaire d’arrêt de la première Chambre civile de la Cour de Cassation du 9 décembre 2015

Marie-France STEINLE-FEUERBACH

Professeur émérite à l’UHA

CERDACC

La responsabilité du croisiériste en cas d’accident survenu à un passager ne relève définitivement pas de la loi du 18 juin 1966 mais de celle du 13 juillet 1992.

Mots-clefs : accident – agence de voyage – croisière –croisiériste- responsabilité

 

Cet arrêt (Civ. 1ère, 9 déc. 2015, n° 14-20.533 ; Dalloz actualité, 24 déc. 2015, obs. X. Delpech) se prononçant sur la responsabilité d’une agence de voyage et d’un croisiériste s’inscrit dans le sillage d’un autre arrêt (Civ. 1re, 15 déc. 2011, n° 10-10.585) analysé notamment par notre collègue Eric Desfougères (« Intoxication lors d’une croisière : le Droit du Tourisme esquive le Droit Maritime », JAC n° 121, fév. 2012) que je remercie de m’avoir cédé provisoirement la barre.

La présente affaire, comme la précédente a trait à une croisière sur un bateau Costa Crociere, ladite croisière étant inclue dans un forfait touristique proposé par une agence, en l’espèce la société Karavel. Mme X…, qui a conclu un tel forfait, est victime d’une chute sur le pont du bateau dès le deuxième jour de la croisière, le 2 février 2011. La passagère ayant recherché à la fois la responsabilité de l’agence de voyage et celle de la société Costa Crociere, se posait une nouvelle fois la question des dispositions légales applicables aux croisières conclues dans un forfait touristique, l’hésitation étant permise entre celles du Code du transport et celles du Code du tourisme (I). C’est sans ambiguïté aucune que la première Chambre civile confirme son choix pour le Code du tourisme, plus favorable aux victimes (II).

I. La croisière entre deux Codes

La société Costa Crociere, qui nie tout lien contractuel avec Mme X…, avance que la responsabilité de l’organisateur de croisière ne peut être régie que par les article 47 à 49 de la loi n° 66-420 de la loi du 18 juin 1966 qui, s’agissant des dommages corporels subis pendant l’exécution du contrat de transport, renvoient aux articles 37 et 38 de cette loi, codifiés aux articles L. 5421-3 et L. 5421-4 du Code des transports depuis l’ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 (V. E. Desfougères, « L’émergence d’un véritable Code des Transports : un premier sentiment de satisfaction inachevée » JAC n° 109, déc. 2010). Ces dispositions maintiennent, en cas de transport maritime, un régime de responsabilité pour faute. En effet, aux termes de l’article L. 5421-3 du Code « L’accident corporel survenu en cours de voyage, ou pendant les opérations d’embarquement ou de débarquement, soit aux ports de départ ou de destination, soit aux ports d’escale, donne lieu à réparation de la part du transporteur, s’il est établi qu’il a contrevenu aux obligations prescrites par les dispositions de l’article L. 5421-2 ou qu’une faute a été commise par lui-même ou un de ses préposés. »

L’obligation de sécurité du transporteur n’est donc que de moyens et c’est uniquement en cas de sinistre majeur, comme un naufrage, qu’elle s’alourdit en une obligation de résultat, toutefois allégée, puisque le transporteur maritime peut s’exonérer en démontrant son absence de faute (art. L. 5421-4).

Dès lors, il incomberait à la passagère, ayant simplement glissé sur le pont du bateau de démontrer une faute de l’organisateur de la croisière. Il est donc bien plus avantageux pour elle de pouvoir profiter de la responsabilité de plein droit prévue à l’article L. 211-6 du Code du tourisme à la charge des vendeurs et organisateurs de forfaits touristiques. Cet article est issu de la loi n° 92-645 du 13 juillet 1992 ayant transposé en droit interne la directive 90/314 CEE du Conseil du 13 juin relative aux opérations mentionnées à l’article L. 211-1 du même Code. Ces opérations consistant notamment en l’organisation ou la vente de voyages, de services pouvant être fournis à l’occasion de voyages ou de séjour, de services liés à l’accueil touristiques. La responsabilité instaurée par l’article L. 211-1 ne cède que devant la preuve de la faute de la victime ou de la survenance d’un cas de force majeure.

S’il ne fait guère de doute que l’agence de voyage est soumise à une responsabilité de plein droit, il était permis d’hésiter quant au régime applicable au croisiériste.

II. Le Code du tourisme, vainqueur judiciairement désigné de la bataille navale

Dans son arrêt du 15 décembre 2011, la Cour de cassation avait déjà opté pour la responsabilité de plein droit en qualifiant la croisière de forfait touristique, mais la situation n’était pas totalement identique. Tout d’abord, les circonstances génératrices du dommage n’étaient pas les mêmes. La première affaire concernait une intoxication alimentaire laquelle n’est pas directement liée au transport et consiste bien en un service rendu à l’occasion d’une activité touristique. Dans l’affaire qui nous occupe, l’accident avait eu lieu lors de l’exercice de sécurité imposé par la Convention internationale SOLAS (Safety of Life At Sea) pour la sauvegarde de la vie humaine en mer adoptée le 1er novembre 1974, entrée en vigueur le 25 mai 1980, et qui s’applique aux navires à passagers. L’accident pouvait donc paraître davantage lié au Droit maritime qu’à celui du tourisme. Ensuite, la preuve de la faute du croisiériste, qu’elle soit contractuelle ou extra contractuelle, était bien plus aisée à apporter dans le cas de cette chute que dans celui de l’intoxication alimentaire. En effet, des témoignages confirment que le sol du pont était mouillé lors de l’exercice de sauvetage, qu’aucun revêtement antidérapant n’y était installé et que la signalisation du danger n’a été affichée que postérieurement à la chute de Mme X…

Il est donc probable qu’au regard du Code du transport, la responsabilité de la société Costa Crociere aurait pu être établie. Mais, gardant certainement en mémoire le terrible naufrage du Costa Concordia survenu au large de l’île de Giglio le 13 janvier 2012, les juges du fond ont choisi d’appliquer le Code du tourisme.

La Cour de cassation, rejetant le pourvoi formé par le croisiériste contre l’arrêt du 13 mai 2014 rendu par la cour d’appel de Toulon, leur a donné raison en affirmant de manière générale que « relève du régime de la responsabilité de plein droit institué par l’article L. 211-16 du code du tourisme, issu de la loi n° 92-645 du 13 juillet 1992 fixant les conditions d’exercice des activités relatives à l’organisation et à la vente de voyages ou de séjours, laquelle a transposé en droit interne la directive 90/ 314/ CEE du Conseil, du 13 juin 1990, concernant les voyages, vacances et circuits à forfait, l’organisateur d’une croisière qui présente les caractères d’un forfait touristique, au sens de l’article L. 211-2 du même code 

Ainsi, le Code du tourisme l’a emporté, facilitant l’indemnisation des victimes d’un accident à bord d’un bateau lors d’une croisière.

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Cour de cassation chambre civile 1 Audience publique du mercredi 9 décembre 2015

N° de pourvoi: 14-20533 Publié au bulletin Rejet

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Toulouse, 13 mai 2014), que, le 2 février 2011, Mme X… a conclu auprès de la société Karavel un contrat ayant pour objet un forfait touristique comprenant une croisière sur un bateau de la société Costa Crociere ; qu’ayant fait, le deuxième jour du voyage, une chute sur le pont du bateau, elle a assigné la société Karavel, l’assureur de celle-ci, la société Hiscox Insurance Company Limited, ainsi que la société Costa Crociere, en réparation des préjudice subis ; que Mme X… a saisi le juge de la mise en état d’une demande visant à l’institution d’une expertise et à l’allocation d’une provision ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses première, deuxième, troisième et cinquième branches :

Attendu que la société Costa Crociere fait grief à l’arrêt de la condamner à payer à Mme X… une provision à valoir sur l’indemnisation de son préjudice, alors, selon le moyen :

1°/ que toute décision de justice doit, à peine de nullité, être motivée ; que dans ses écritures d’appel, la société Costa Crociere faisait valoir qu’en l’absence de lien contractuel entre elle et Mme X…, qui avait contracté avec la seule société Karavel, celle-là ne disposait d’aucune action directe à son encontre ; que dès lors, en condamnant la société Costa Crociere au bénéfice de Mme X…, sans répondre à ce moyen opérant, la cour d’appel a violé les articles 455 et 458 du code de procédure civile ;

2°/ que la responsabilité de l’organisateur de croisière est régie exclusivement par les articles 47 à 49 de la loi n° 66-420 de la loi du 18 juin 1966 qui renvoient, s’agissant des dommages corporels résultant de l’exécution du contrat de transport, aux articles 37 et 38 de la loi, devenus articles L. 5421-3 et L. 5421-4 du code des transports ; qu’en retenant, après avoir relevé la qualité d’organisateur de croisière de la société Costa Crociere, que cette dernière ne pouvait se prévaloir des dispositions du code des transports qui se limitent aux opérations de transport de personnes, sans l’ensemble des prestations complémentaires offertes dans le cadre de la croisière et était dès lors soumise à l’article L. 211-16 du code du tourisme, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l’article L. 211-16 du code du tourisme par fausse application, ensemble les articles 47 à 49 de la loi du 18 juin 1966 et L. 5421-3 et L. 5421-4 du code des transports par refus d’application ;

3°/ qu’en l’absence de sinistre majeur, le croisiériste victime d’un dommage corporel résultant d’un sinistre survenu dans le cadre de l’exécution du contrat de transport maritime proprement dit ne peut engager la responsabilité de l’organisateur de croisière qu’à charge d’établir la faute de ce dernier ou un manquement aux obligations qui lui sont imposées par l’article L. 5421-2 du code des transports ; qu’en se fondant, après avoir rappelé que la chute était intervenue pendant le voyage maritime, lors d’un exercice de sécurité, et pour dire que n’était pas sérieusement contestable l’obligation de la société Costa Crociere d’indemniser Mme X… des préjudices consécutifs à sa chute, sur des motifs inopérants tirés de ce que n’étaient établis ni la force majeure, ni le fait d’un tiers, ni la faute de la victime, sans caractériser la faute de l’organisateur de la croisière, la cour d’appel a violé les articles 49 de la loi n° 66-420 du 18 juin 1966 et L. 5421-3 du code des transports ;

4°/ qu’en l’absence de sinistre majeur, le croisiériste victime d’un dommage corporel résultant d’un sinistre survenu dans le cadre de l’exécution du contrat de transport maritime proprement dit ne peut engager la responsabilité de l’organisateur de croisière qu’à charge d’établir la faute de ce dernier ou un manquement aux obligations qui lui sont imposées par l’article L. 5421-2 du code des transports ; qu’en se fondant, pour dire non sérieusement contestable l’obligation de la société Costa Crociere d’indemniser Mme X… des préjudices consécutifs à sa chute sur le pont n° 4 lors d’un exercice de sécurité, sur le fait qu’il n’est pas établi que le pont était recouvert d’un revêtement antidérapant alors que la signalisation du danger n’avait été affichée que postérieurement à la chute, la cour d’appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les articles 49 de la loi n° 66-420 du 18 juin 1966, L. 5421-3 du code des transports et 1315 du code civil ;

Mais attendu, d’abord, que relève du régime de la responsabilité de plein droit institué par l’article L. 211-16 du code du tourisme, issu de la loi n° 92-645 du 13 juillet 1992 fixant les conditions d’exercice des activités relatives à l’organisation et à la vente de voyages ou de séjours, laquelle a transposé en droit interne la directive 90/ 314/ CEE du Conseil, du 13 juin 1990, concernant les voyages, vacances et circuits à forfait, l’organisateur d’une croisière qui présente les caractères d’un forfait touristique, au sens de l’article L. 211-2 du même code ; qu’après avoir constaté que la société Costa Crociere avait organisé, non le seul transport des passagers, mais la totalité des opérations composant la croisière, en ce compris l’ensemble des services touristiques complémentaires offerts à ce titre, la cour d’appel en a déduit à bon droit que, dès lors que la combinaison de ces opérations constituait un forfait touristique, au sens de l’article L. 211-2, précité, la société Costa Crociere, en sa qualité d’organisateur de voyages, était responsable de plein droit de la bonne exécution des obligations résultant du contrat conclu par Mme X… ;

Attendu, ensuite, qu’il résulte des articles L. 211-16 et L. 211-1, I du code du tourisme, que toute personne physique ou morale qui se livre à une opération consistant en l’organisation ou la vente de voyages ou de séjours individuels ou collectifs est responsable de plein droit à l’égard de l’acheteur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat ; que, par suite, la mise en oeuvre de cette responsabilité à l’encontre de l’organisateur du voyage ou du séjour n’est pas subordonnée à l’existence d’un lien contractuel entre ce dernier et l’acheteur ; que ce motif de pur droit permettant de répondre aux conclusions de la société Costa Crociere, le moyen ne peut être accueilli en ce qu’il invoque l’absence d’action directe de Mme X… à l’encontre de cette société ;

Attendu, enfin, qu’ayant retenu l’absence des causes exonératoires prévues par le second alinéa de l’article L. 211-16 du code du tourisme, la cour d’appel en a déduit à bon droit, sans inverser la charge de la preuve, que la responsabilité de plein droit de la société Costa Crociere n’était pas sérieusement contestable ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en ses deux premières branches :

Attendu que les sociétés Karavel et Hiscox Insurance Company Limited font grief à l’arrêt de les condamner in solidum avec la société Costa Crociere à payer à Mme X… une provision à valoir sur l’indemnisation de son préjudice, alors, selon le moyen :

1°/ que, lorsque le dommage subi par le voyageur résulte de l’exécution du contrat de transport maritime proprement dit et non d’une prestation annexe, la responsabilité de l’organisateur du voyage comme de l’agence de voyage est une responsabilité pour faute prévue aux articles L. 5421-3 et L. 5421-4 du code des transports ; qu’en l’espèce, bien qu’ayant constaté que la chute de la victime était intervenue pendant le voyage maritime, lors d’un exercice de sécurité et donc qu’il s’agissait d’un dommage corporel résultant de l’exécution du contrat de transport maritime proprement dit et que « les dispositions du code des transports (…) se limitaient aux opérations de transports de personne, sans l’ensemble des prestations complémentaires offertes dans le cadre de la croisière », l’arrêt attaqué a cependant considéré que les prestations proposées par l’agence de voyage et l’organisateur de la croisière relevaient des dispositions des articles L. 211-1, L. 211-2 et L. 211-16 du code du tourisme, refusant ainsi de leur appliquer une responsabilité pour faute pour en inférer que les obligations de ces sociétés n’étaient pas sérieusement contestables ; qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé les articles L. 5421-3 et L. 5421-2 du code des transports ainsi que L. 211-1, L. 211-2 et L. 211-16 du code du tourisme ;

2°/ qu’elles faisaient valoir que les dispositions du code des transports, prévoyant une responsabilité pour faute des organisateurs de croisières, leur étaient applicables et soutenaient plus précisément que, dès lors que l’accident litigieux était survenu au cours du transport maritime, seules devaient s’appliquer les dispositions spéciales de la loi du 18 juin 1966 (ses articles 37 à 44), codifiées aux articles L. 5421-3 et L. 5421-4 du code des transports ; qu’en se bornant à affirmer que l’organisateur de la croisière ne pouvait se prévaloir des dispositions du code des transports sans rechercher si l’agence de voyage pouvait en bénéficier, délaissant ainsi le moyen dont elle se trouvait saisie, la cour d’appel a méconnu les exigences de l’article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu’après avoir constaté que les prestations proposées par la société Karavel relevaient du champ d’application des articles L. 211-1 et L. 211-2 du code du tourisme, dès lors qu’elles constituaient un forfait touristique, la cour d’appel, qui n’avait pas à procéder à la recherche visée par la deuxième branche, que ses constatations rendaient inopérante, a exactement décidé que la société Karavel était responsable de plein droit, en sa qualité de vendeur, des préjudices subis par la victime, peu important que le dommage soit survenu au cours du transport, dès lors que cette opération était l’une de celles composant le forfait touristique ; que le moyen n’est pas fondé ;

Et attendu que le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa quatrième branche, et le moyen unique du pourvoi incident, pris en sa troisième branche ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;

Condamne la société Karavel, la société Costa Crociere et la société Hiscox Insurance Company Limited aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société Karavel, la société Costa Crociere et la société Hiscox Insurance Company Limited à payer à Mme X… la somme globale de 4 000 euros ; rejette les autres demandes ;