Droite contre gauche ou libéralisme contre étatisme

Avant hier un lecteur écrivait dans un commentaire  » Pendant très longtemps j’ai moi-même caché mes opinions, me déclarant «  centriste  », alors que mon penchant naturel allait depuis toujours vers une véritable droite. » Je suis resté perplexe devant ce commentaire et je me suis demandé si aujord’hui au lieu de penser Gauche/droite, il fallait  penser étatiste/libéral. Il n’y a, à mon sens, rien de honteux à se dire de droite mais c’est peut être plus facile de se réclamer du libéralisme.

L’éditeur du livre les droites en France de René Rémond fait la présentation suivante : Publié pour la première fois en 1954, La Droite en France s’est rapidement imposée comme l’analyse de référence sur les droites françaises. Cet ouvrage fut le premier à définir trois composantes (légitimiste, orléaniste et bonapartiste) qui perdurent depuis 1789. Avec Les Droites aujourd’hui, René Rémond parachève son essai en s’intéressant aux droites depuis un quart de siècle, de la perte du pouvoir à sa reconquête fragile. S’interrogeant sur la pertinence et la pérennité du clivage gauche-droite de nos jours, il passe au crible de son analyse les vingt-cinq dernières années de la vie politique française et l’évolution des droites. Un ouvrage indispensable pour comprendre les rouages, évolutions et enjeux de la droite aujourd’hui dans un contexte de très vive interrogation sur le politique.

Alors c’est quoi être de droite ? Quand on cite certains noms par exemple Barrès où Poujade, il faut développer, sinon c’est à la fois trop simple et réducteur. Et certaines prises de positions peuvent classer quelqu’un dans un camp alors que ce n’est pas le cas. Par exemple selon que l’on emploie le terme  « préférence  nationale » ou « protectionnisme » on est immédiatement catalogué.  J’y reviendrai.

Commençons par Barrès. Il fut une figure du nationalisme français, ce qui ne signifie pas « fasciste ». Il avait simplement la particularité d’être très attaché à ses racines, à sa famille et à l’armée. Il était ce que l’on appelle un traditionaliste, rien de plus. Mais étrangement, à gauche, on assimile le traditionalisme ou le nationalisme au fascisme. En 1929 il est élu sur les listes « boulangistes », mouvement politique porté par les socialistes. A la suite de cette élection il siégera avec l’extrême gauche. Par la suite il refusera de soutenir ceux qui voulaient réhabiliter Dreyfus et écrivit des propos antisémites. Barrès n’a jamais été membre de l’action française, même s’il reconnaît avoir eu de la sympathie pour ce mouvement. Il ne faut pas confondre avec Charles Maurras dont il fut un moment proche et de qui il s’éloigna  en rendant un hommage appuyé aux juifs, aux traditionalistes, aux socialistes et aux protestants, alors que Maurras les qualifiait d’être anti-français. Léon Blum lui rendit un vibrant hommage. Barrès n’était pas de droite.

Poujade, c’est tout à fait différent. Pierre Poujade était un papetier conseiller municipal d’un petit village du Lot « Saint-Céré ». En juillet 1953 il prit la tête de la révolte des commerçants qui en avaient assez des contrôles fiscaux. Ce mouvement était complètement apolitique, il symbolisa les prémices de la lutte des petits commerçants contre les grandes surfaces, à l’époque on disait les succursales multiples. En novembre 1953 fut créée l’UDCA (Union de défense des commerçants et des artisans) dont Poujade prit le commandement. Au fil des mois, ce mouvement corporatiste de contribuables en colère se politisa. Il est devenu nationaliste parce qu’opposé à l’Europe. Il dénonçait le parlementarisme incapable de les défendre. Poujade s’en est pris à tout le monde, fonctionnaires, philosophes, économistes, et (je le cite dans un de ses discours) « à la bande d’apatrides et de pédérastes qui gouverne le pays ». Poujade reprit alors les propos traditionnels de l’extrême droite xénophobe et antisémite. Bien entendu Mendès-France représentait cette anti-France. Ses deux principaux collaborateurs étaient Le Pen et Demarquet. Poujade représentait la droite extrémiste.

Lors de l’élection présidentielle de 1965, et au premier tour le 5 décembre 1965, l’extrême droite a été représentée par Jean-Louis Tixier Vignancour (1907-1989), qui fit 5,2% des voix. Son directeur de campagne était Jean-Marie le Pen. Puis en 1974 c’est Le Pen  lui-même qui se présenta, son score fut de 0,75%. 

En 1969 Ordre Nouveau voit le jour. Son créateur, Jean-François Galvaire, rejoindra des années plus tard le MNR de Bruno Mégret. Ce mouvement d’extrême droite donna dès son deuxième congrès en 1972 naissance au Front National pour l’Unité Française (FNUF) en vue de préparer les élections législatives l’année suivante en 1973. L’extrême droite ne fit une nouvelle fois que 0,5% des voix.  Cette extrême droite était inexistante à tel point qu’il n’y eut  personne pour la représenter en 1974. Aux élections législatives de 1978, donc sous le septennat de VGE, son score a été de 0,8, puis 0,3 en 1981. Cette idéologie avait quasiment disparu de l’échiquier politique français.

C’est sous le premier septennat de François Mitterrand que l’on entend  à nouveau parler de l’extrême droite en France. Après son élection en 1981, la gauche subit un échec électoral sévère lors des municipales de 1983. Cette année-là les socialistes et leurs experts électoraux font les comptes. Jamais depuis 1968 l’écart entre gauche et droite n’avait été aussi important, et ce au détriment de la gauche. Les élections législatives s’annonçaient désastreuses. Mais Le FN avait montré le bout du nez lors d’une élection municipale à Dreux.  

Mitterrand avait une botte secrète : dans ses 110 propositions, la 47ème était la proportionnelle. Les socialistes firent donc cette réforme dans les derniers mois précédant les législatives en toute moralité. Claude Estier, expert du PS, fit les comptes. Avec leur 32% de voix, au scrutin majoritaire les socialistes auraient eu entre 125 et 130 députés, avec le scrutin proportionnel à un tour il en ont eu 212. Par ailleurs cela  a permis au Front National d’obtenir 35 élus, de quoi former un groupe parlementaire. La droite républicaine n’a eu la majorité que de 4 voix. A quelques voix près, c’est le FN et ses 35 députés qui aurait eu pouvoir de décision. Comme sous la IVème république la proportionnelle intégrale montrait ses limites. Le PS n’en eu cure, il venait de jouer un bon tour à ses opposants : les socialistes étaient hilares malgré la défaite et la droite républicaine déprimait malgré la victoire. 

Cette flèche décochée par le PS aurait pu être mortelle pour les républicains de droite, elle les a anesthésiés pendant 20 ans. La gauche faisait le jeu du FN par de subtils stratagèmes, sachant que les républicains ne feraient jamais alliance avec lui. Il n’empêche que le PS dénonçait de virtuelles alliances qui n’existaient que dans sa logique de nuisance, ce qui obligea un jour un élu RPR, Michel Noir, à dire qu’il préférait perdre une élection plutôt que de perdre son âme. La droite républicaine était pris dans le piège diabolique dressé par Mitterrand dont le passé pourtant est loin d’être exemplaire dans les relations avec l’extrême droite. On ne pouvait même plus aborder certains thèmes sans se faire traiter de « fasciste ».

Durant ces 20 ans la droite aura été gênée par des triangulaires avec le FN. C’est de cette période qu’est née l’expression de « droite complexée ». L’exemple type est le résultat des élections législatives de 1997 où les triangulaires ont fait perdre selon les experts entre 30 et 40 sièges à la majorité sortante, et c’est ainsi que Lionel Jospin devient premier ministre. Les dernières  élections régionales en 2004  avec un FN à un niveau encore très élevé ont de nouveau anéanti les républicains de droite. Le FN a pu se maintenir dans 17 régions et la gauche en a gagné 9 à la majorité relative.

C’est Nicolas Sarkozy qui, sans faire la moindre concession au FN, mais en osant parler vrai – y compris des problèmes d’immigration et de sécurité a brisé ce tabou. D’où la nouvelle expression de « droite décomplexée ». Les socialistes, fidèles à leur méthode, ont essayé de le faire passer pour un fasciste : que n’a t-on pas lu sur divers blogs, combien de liens nous menaient sur des sites du IIIème Reich ou sur Hitler ? Mais cette fois-ci, au grand désarroi du PS, Sarkozy par son parler-vrai s’est sorti du piège et a été élu. 

Un nouveau danger se profile : celui de la sémantique. Un seul exemple : si vous êtes pour la préférence communautaire, « attention danger » car vous risquez de passer pour un dangereux fasciste, par contre si vous êtes protectionniste, vous devriez avoir les faveurs de vos interlocuteurs de gauche ou du centre. Question de vocabulaire « préférence communautaire ou protectioniste » vous classe immédiatement. En politique il faut faire très attention au vocabulaire , les fusils verbaux sont prêts à cracher leur feu d’ignominies.

Le clivage gauche / droite n’est plus entretenu aujourd’hui que pour des faits de société généralement  liés à la sécurité ou à l’immigration. Pour le reste les choses ont bien changé, surtout en économie, il ne s’agit plus de savoir si on est de droite ou de gauche mais tout simplement si on est libéral ou étatiste. On peut en effet être de droite sans être libéral. On possède deux exemples avec François Fillon et Alain Juppé :

Le premier ministre François Fillon se référe au général de Gaulle et dit  » je me suis rarement présenté comme un responsable de droite. Cette étiquette ne me semble pas recouvrir un contenu théorique clair, ni suffisamment large. Par conviction, je m’efforce de définir les voies politiques susceptibles de rassembler  ». Il n’est donc ni de droite, ni de gauche. Ce qui me paraît certain c’est qu’il n’est pas libéral . 

Alain Juppé ne fait pas dans la dentelle et attaque les libéraux «  » Je ne partage pas forcément toutes les théories des penseurs de droite. Contrairement à certains penseurs ultra-libéraux, je ne crois pas que le marché soit un instrument parfait et infaillible. »

Un vrai libéral c’est Alain Madelin « Il y a une droite jacobine et bornée, parfois archaïque et il y a une droite libérale : j’en suis. Cette droite-là incarne à la fois l’idée de liberté et la responsabilité individuelle. » 

Voici trois exemples. Personnellement je ne pense pas que nous ayons aujourd’hui un gouvernement libéral mais au contraire relativement étatiste.

Et notre président qu’est ce qu’il est ? J’ai toujours pensé et je l’ai écrit, je crois que Nicolas Sarkozy n’est pas un idéologue. Je le crois libéral mélangé de bonapartisme ou si vous préférez bonapartiste ayant intégré le libéralisme. Il me paraît incontestable qu’il est bien trop autoritaire et interventioniste pour pouvoir se réclamer du libéralisme, à contrario, il est tout aussi incontestable qu’il est acquis à la mondialisation, à la concurrence et par suite à l’économie de marché pour être qualifié de bonapartiste. Le sarkozysme pourrait donc être un mélange des deux, aujourd’hui on dit un hybride. On pourrait donc finalement définir le sarkozysme comme étant un hybride du libéralisme et du bonapartisme.

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