droit du dommage corporel libre chronique novembre 2015

DROIT DU DOMMAGE CORPOREL

 

Libre Chronique

Novembre 2015

par

 

Claude Lienhard

Professeur des Universités

Avocat

 

Et

 

Catherine Szwarc

Avocat

 

 

 

En partenariat avec le guide du dommage corporel

(www.guidedudommagecorporel.com)

Novembre 2015

1-   Dommage psychique, préjudice d’affection et préjudice professionnel : encore d’utiles précisions :

Par un arrêt du 13 octobre 2015 la Cour d’Appel de Paris (dossier n°14/07850 – arrêt n°4) sur appel d’un jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris (chambre 13/1 du 25.08.2014) a été amenée à apporter d’intéressantes précisions sur l’articulation entre l’indemnisation du préjudice d’affection et l’indemnisation des préjudices découlant d’un dommage psychique.

La Cour avait été saisie dans le contexte d’un accident dramatique de la circulation qui fait partie des violences routières quotidienne.

La victime âgée de 83 ans, qui se trouvait en compagnie de son épouse, avait été percutée par un véhicule conduit par un chauffeur de taxi alors qu’il traversait un passage piéton.

Le décès était survenu un peu plus de 24 heures après la survenance de l’accident.

La victime était mariée depuis 58 ans et laissait deux filles âgées de 51 et 47 ans ainsi qu’un petit-enfant âgé de 8 ans.

La Cour a confirmé que les victimes soutenaient à juste titre, au visa du principe de la réparation intégrale du préjudice, que le traumatisme psychique subi par la victime par ricochet du fait du décès de la victime directe est distinct du préjudice moral.

Le premier juge avait, quant à lui, estimé que le préjudice lié au stress post-traumatique faisait partie intégrante du préjudice d’affection. En infirmant cette décision le Cour confirme la distinction dans le sillage d’une jurisprudence de plus en plus affirmée.

La Cour a rappelé qu’il appartenait aux victimes indirectes d’établir l’existence d’un tel préjudice.

Les victimes produisaient à l’appui de leur demande un rapport d’expertise privé d’un médecin psychiatre qui avait été rédigé un mois après l’accident à un moment où le travail de deuil ne fait que commencer et est loin d’être achevé.

La Cour a donc estimé, mais uniquement sur le terrain de la charge de la preuve, que le rapport apparemment perçu comme trop précoce ne suffisait pas à faire la démonstration de l’existence du dommage permettant d’aller vers une expertise.

Mais le temps écoulé permettra nécessairement de reprendre l’analyse médico-légale sur la base d ‘éléments probatoires complémentaires.

On signalera également l’arrêt du 10 septembre 2015 (Cass. civ. 2ème 10 sept. 2015 n°14-24116) par lequel la Cour de Cassation rappelle qu’on n’est plus dans le registre du préjudice d’affection dès lors qu’il existe un retentissement pathologique constituant une maladie traumatique.

En l’espèce, il s’agit d’une victime directe à laquelle va s’appliquer la méthodologie indemnitaire afférant à cette qualité pour qu’elle puisse obtenir réparation de tous les aspects des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux, ce qui permet l’indemnisation d’un préjudice professionnel découlant d’un deuil pathologique mis en évidence par une expertise psychiatrique médico-légale démonstrative.

2 – Parties civiles et familles recomposées :

Par une décision du 1er septembre 2015 la Chambre criminelle de la Cour de Cassation (Cass. crim. 1er sept. 2015, n°14-83357) vient rappeler à juste titre une pertinente articulation entre l’évolution sociologique de la famille et la qualité de créancier indemnitaire.

La Chambre criminelle confirme que c’est à raison que les juges du fond avaient admis au regard de leur pouvoir souverain d’appréciation les constitutions de parties civiles émanant de demi-frères et demi-sœurs mineurs de la victime, ainsi que de l’enfant du concubin de la mère.

Il est peut-être simplement regrettable qu’il ait fallu en arriver jusqu’à un pourvoi devant la Chambre criminelle pour rappeler ce qui est une évidence au quotidien mais il est vrai que les débiteurs indemnitaires institutionnels ne fréquentent pas journellement les cabinets des Juges au Affaires Familiales.

3 – Des décisions quotidiennes exemplaires :

Ce sont les juges du fond qui « fabriquent » le droit, du moins sont-ils ab initio à la manœuvre. Dès lors une lecture attentive de ces décisions rendues journellement est toujours riche de rappels ou de découvertes.

On signalera deux décisions, l’une du Tribunal de Grande Instance de Créteil (28 novembre 2014 – 13/06355) et l’autre du Tribunal de Grande Instance de Paris du 25 septembre 2015 (RG : 14/08867).

Le Tribunal de Grande Instance de Créteil a eu à arbitrer une demande indemnitaire entre une victime conductrice de motocyclette et le Fonds de Garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO).

La décision est rendue au seul visa du principe de la réparation intégrale et rappelle qu’afin de garantir l’effectivité de ce principe le préjudice corporel subi par la victime est liquidé suivant les chefs de préjudices énumérés par la nomenclature Dintilhac.

On relèvera une fois encore que la nomenclature est devenue une norme, et ce sans intervention législative ou réglementaire.

Entre autres les points suivants méritent d’être relevés :

–       prise en charge des frais divers des honoraires d’un médecin conseil lors des opérations d’expertise, incluant les honoraires correspondant aux réunions préparatoires, ces réunions étant nécessaires à une assistance effective et efficace ;

–       rappel que la demande concernant les honoraires d’avocats doit être formulée au titre de l’article 700, le Tribunal pouvant requalifier en ce sens ;

–       prise en charge de l’assistance tierce personne à titre temporaire, le coût de cette assistance ne pouvant être minoré du seul fait que l’aide a été apportée bénévolement par une personne de l’entourage familial ou amical de la victime ;

–       reconnaissance d’une incidence professionnelle au motif que l’accident a entraîné non seulement une augmentation de pénibilité de travail de la victime et une diminution de l’intérêt de ce travail mais également une réelle perte de chance de développer son activité et d’en accroître la rentabilité ;

–       enfin la mise à la charge du Fonds de Garantie, au visa de l’article 6 de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales et au regard du principe de procès à égalité et d’égalité des armes, à la fois des dépens et d’une indemnité pour frais irrépétibles, le Fonds étant condamné au visa des articles 696 et 699 du Code de procédure civile aux entiers dépens de l’instance et également à une indemnité au titre de l’article 700 à hauteur de 5 000 € le tout avec exécution provisoire.

Le jugement du 25 septembre 2015 est relatif à un accident de la circulation concernant un cycliste et un conducteur de scooter.

On retiendra notamment les éléments suivants :

–       le rappel concernant l’assistance temporaire de tierce personne pour les besoins de la vie courante, à savoir que l’indemnisation s’entend en fonction des besoins et non en fonction de la dépense justifiée ;

–       le montant de l’indemnité allouée au titre de l’assistance d’une tierce personne ne saurait être subordonné à la production de justificatifs des dépenses effectives.

C’est l’appréciation médicolégale qui permet d’établir l’amplitude de la nécessité de l’aide d’une tierce personne et sa qualification.

On relèvera également l’indemnisation d’une incidence professionnelle avant la consolidation, le Tribunal estimant que ce poste d’indemnisation a notamment pour objet d’indemniser l’augmentation de la pénibilité de l’emploi occupé par la victime imputable au dommage. Il n’existe aucune considération justifiant que soit exclue la période avant la consolidation dès lors qu’il est établi que la victime a recommencé à travailler très rapidement après son accident mais que cette reprise a été difficile notamment de ses difficultés à se servir de ses bras blessés.

Il s’agit là d’une juste reconnaissance des efforts que font de nombreuses victimes pour ne pas se maintenir dans une situation de non travail et souhaitant reprendre dès que la médecine les y autorise éventuellement de façon partielle leur activité professionnelle.

Il est juste que cet effort soit « identifié » et « récompensé ».

La décision retient également un préjudice esthétique temporaire ce qui est classique, ainsi qu’un préjudice d’agrément résultant de l’interruption et la pratique d’activité sportive.

En ce qui concerne l’exécution provisoire, l’ancienneté de l’accident justifie que soit ordonnée l’exécution provisoire à concurrence de moitié des indemnités allouées et en totalité en ce qui concerne l’article 700 CPC.