« Défense verte » et risques liés au changement climatique
Muriel RAMBOUR
Maître de Conférences à l’UHA
CERDACC
Mots-clés
Changement climatique – Risques environnementaux – Défense et stratégie.
Pour se repérer
Le changement climatique fait apparaître de nouveaux enjeux : catastrophes naturelles extrêmes mobilisant les forces de secours aux populations, tensions alimentaires et difficultés d’accès aux ressources hydriques attisant les conflits, migrations forcées… L’amplification des risques sécuritaires appelle une rénovation de la réflexion stratégique pour permettre aux forces armées d’anticiper les futurs bouleversements mondiaux.
Pour aller à l’essentiel
La Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) s’ouvrira à Paris fin 2015 avec pour but la formalisation d’un accord contraignant limitant les émissions de gaz à effet de serre et le réchauffement climatique.
D’ores et déjà, l’assemblée parlementaire de l’OTAN s’est saisie de la problématique en adoptant une résolution dans laquelle les risques liés au changement climatique sont considérés comme des « multiplicateurs importants de menace », affectant la sécurité internationale « par un accroissement des catastrophes naturelles, des tensions sur la sécurité économique, alimentaire et hydrique, des risques pour la santé publique, des migrations internes et internationales, et de la concurrence pour les ressources » (Nato Parliamentary Assembly, Resolution 427 on climate change and international security, Stavanger, 12/10/2015).
En France, la réflexion stratégique sur les risques potentiels ouverts par le changement climatique s’inscrit dans le cadre de la loi n°2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale (pour une présentation des risques engendrés par les évolutions du climat, cf. Special Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, Managing the Risks of Extreme Events and Disasters to Advance Climate Change Adaptation, Cambridge University Press, March 2012 ; Muriel Rambour, « Le risque climatique existe-t-il ? », JAC n°125, juin 2012).
Le rapport annexé au projet de loi de programmation militaire établissait la liste des risques susceptibles d’affecter la sécurité de la France. Aux menaces classiques (guerres interétatiques, Etats défaillants, terrorisme, cyberconflits, prolifération des armes de destruction massive), les parlementaires avaient à l’époque ajouté le changement climatique : « Si le changement climatique ne fait pas spécifiquement apparaître de nouveaux risques environnementaux ou stratégiques, il les exacerbe et augmente leur probabilité d’occurrence ainsi que leur impact, tant au plan sanitaire qu’énergétique » (amendement n°43 adopté par l’Assemblée Nationale le 03/10/2013).
Le dérèglement climatique est ainsi érigé en risque à part entière pour la défense et la sécurité, créant une tension particulière (désordres hydriques, alimentaires, démographiques, problématique des ressources énergétiques), notamment dans des zones du globe instables comme le Moyen-Orient, l’Afrique centrale ou la Corne de l’Afrique (Muriel Rambour, « Le changement climatique, facteur de risque pour la sécurité nationale selon la loi de programmation militaire 2014-2019 », JAC n°140, janvier 2014).
Les débats parlementaires ont ainsi mis en exergue la notion de « défense verte » fondée sur une approche préventive des conflits faisant du changement climatique un risque stratégique. Le concept de Green Defense est déjà bien présent dans les réflexions stratégiques aux Etats-Unis : la défense américaine développe en effet les recherches visant à adapter ses missions opérationnelles aux effets du changement climatique (Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire, Réflexion stratégique sur le changement climatique et les implications pour la défense, juillet 2011).
Le Livre vert de la défense à l’initiative du Sénat disposait en février 2014 qu’« il est fondamental que les questions écologiques et environnementales soient davantage prises en compte par [le] système de défense et l’ensemble de l’appareil militaire » français (p. 12). La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat vient de publier un rapport d’information sur les « conséquences géostratégiques du dérèglement climatique » (rapport d’information n°14 par C. Perrin, M. Aïchi, E. Giraud, 06/10/2015). Les sénateurs se sont intéressés à deux problématiques majeures : la montée des océans comme facteur du dérèglement géopolitique emportant des risques accrus d’instabilité et de conflictualité ainsi que l’évolution de la région arctique qui, au gré du réchauffement climatique, serait susceptible de devenir un nouvel espace d’échanges et d’activités économiques. Le rapport parlementaire préconise une adaptation des attributions des forces armées. La fonction de prévention devrait ainsi être orientée vers le renforcement des capacités de surveillance des espaces nationaux notamment en matière de contrôle des flux migratoires. Il conviendrait également d’anticiper le fait que la mission d’intervention sera nécessairement sollicitée pour des opérations de maintien de la paix et d’évacuation des ressortissants en situation de crise.
Pour aller plus loin
Le changement climatique constitue une « variable supplémentaire » que les études stratégiques devraient mieux cerner afin de mettre en place des plans d’action adaptés en matière de sécurité et de défense (Assemblée nationale, Rapport d’information de la commission des affaires européennes sur l’impact du changement climatique en matière de sécurité et de défense – A. Schneider, P. Tourtelier, 28/02/2012).
La réduction des risques climatiques accompagnerait donc également une atténuation des risques militaires. Dans cette attente, le principe de réalité a conduit 75 pays à adopter, mi-octobre à Genève, un « agenda de protection des personnes déplacées dans le contexte des désastres naturels et du changement climatique ». Le déploiement des bonnes pratiques en matière de gestion des réfugiés environnementaux anticipe l’intensification des conflits liés à la raréfaction des ressources et aux mutations foncières générées par le changement climatique qui ne manqueront pas de s’imposer à la réflexion stratégique dans le cadre de la « défense verte ».