d une politique energetique a l autre la part du nucleaire au japon et en france

D’une politique énergétique à l’autre. La part du nucléaire au Japon et en France

 

Muriel RAMBOUR

Maître de Conférences à l’UHA

CERDACC

 

 

Mots-clés

Redémarrage d’un réacteur au Japon – Plafonnement de la production nucléaire en France – Loi sur la transition énergétique pour la croissance verte – Décision n°2015-718 DC du Conseil constitutionnel du 13 août 2015 sur la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte – Risques nucléaires.

Pour se repérer

Dans sa décision n°2015-718 DC du 13 août 2015, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte dont il avait été saisi par plus de 60 députés et sénateurs en application de l’article 61 al. 2 de la Constitution de 1958. Il a notamment déclaré conformes deux articles contestés portant sur la part du nucléaire dans la production énergétique française. Cette décision juridique intervient quelques jours seulement après la décision, politique cette fois, du redémarrage d’un réacteur nucléaire au Japon, quatre ans après la catastrophe de Fukushima.

Pour aller à l’essentiel

Au Japon, avant la catastrophe de Fukushima, la filière électronucléaire devait représenter la moitié du mix énergétique à l’horizon 2030. Depuis mars 2011, cet objectif n’est bien évidemment plus d’actualité, les 48 réacteurs ayant été arrêtés après l’accident. C’est en avril 2014 que le gouvernement de Shinzo Abe a pris la décision de relancer la filière nucléaire, l’énergie atomique étant considérée comme une ressource de base importante permettant de contrebalancer l’importation de sources fossiles dont le coût se fait toujours plus pesant. La relance de la filière nucléaire s’est matérialisée le 11 août 2015 par le redémarrage du réacteur à eau pressurisée n°1, d’une puissance de 890 MW, de la centrale de Sendai, sur l’île de Kyushu.

De l’autre côté du globe, la loi sur la transition énergétique et la croissance verte, adoptée le 22 juillet 2015 par l’Assemblée nationale française, se propose de réduire et plafonner la part du nucléaire dans le mix énergétique. Saisi par des sénateurs qui contestaient la procédure d’adoption de cette loi et par des députés qui mettaient notamment en cause la conformité à la Constitution de ses articles 1er et 187, le juge constitutionnel s’est prononcé le 13 août dernier par sa décision n°2015-718 DC.

L’article 1er de la loi détermine les objectifs de la politique énergétique française et prévoit, entre autres mesures, la réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50% d’ici 2025 (nouvelle rédaction de l’article L. 100-4-I.5° du Code de l’énergie).

Dans leur requête, les députés soulignaient la contradiction existant entre les objectifs et les moyens mis en œuvre ; ils mettaient en avant une difficulté constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. L’optique de réduction de la part du nucléaire ne serait pas en accord avec les objectifs visés de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de garantie d’un prix compétitif de l’électricité et de sécurisation de l’approvisionnement en électricité.

De même, cet article méconnaîtrait le principe constitutionnel de libre entreprise en créant un préjudice anormal et spécial à l’encontre de la société Areva en la privant de la filière de retraitement des combustibles nucléaires sans prévoir, au préalable, une indemnisation juste, tout ceci en contradiction avec le droit de propriété garanti par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. L’article 1er porterait, en outre, atteinte au droit de propriété d’EDF en impactant la valeur des actions du groupe, créant un préjudice réel pour les actionnaires. L’article 1er serait également contraire aux articles 3 et 6 de la Charte de l’environnement selon lesquels, respectivement, « toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences » et « les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise de valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social ».

Le Conseil constitutionnel a écarté l’ensemble de ces griefs, rappelant notamment la nature programmatique de cet article 1er.

L’article 187 de la loi de transition énergétique établit un seuil maximal de capacité de production d’origine nucléaire. Selon la nouvelle rédaction de l’article L. 311-5-5 du Code de l’énergie qui en résulte, l’exploitation de toute nouvelle installation de production d’électricité est soumise à une autorisation administrative qui ne peut être délivrée lorsqu’elle aurait pour conséquence de porter la capacité totale autorisée de production d’électricité d’origine nucléaire au-delà de 63,2 GW.

Ce plafonnement contraindrait les titulaires des autorisations d’exploitation à renoncer à certaines installations et porterait par conséquent atteinte au droit de propriété. Il méconnaîtrait le principe d’égalité en instaurant un délai dérogatoire dans le dépôt d’une demande d’autorisation d’exploitation pour une installation nucléaire de grande puissance. Un grief rejeté par le Conseil constitutionnel qui fait observer que c’est au nom de l’intérêt général, et en rapport proportionné avec l’objet de la loi en question, que le législateur a entendu traiter de façons différentes des situations particulières, tout particulièrement pour l’instruction des demandes complexes.

Les députés notaient aussi la contradiction de cet article avec les conditions non discriminatoires de la directive européenne 2009/72/CE du 13 juillet 2009 sur les règles communes pour le marché intérieur de l’électricité. EDF se retrouverait en effet en situation d’exploitant monopolistique des centrales nucléaires en France dans la mesure où toute nouvelle structure ne pourrait être mise en service que si l’opérateur historique français s’accordait à fermer certains de ses réacteurs pour respecter le plafonnement de la capacité de production. Sur ce dernier point, le Conseil constitutionnel a fait valoir que les dispositions contestées n’ont pas pour objet de transposer une directive communautaire.

En conséquence, le juge constitutionnel a estimé conformes à la Constitution les articles L. 311-5-5 et L. 311-5-6 du Code de l’énergie dans leur rédaction résultant de l’article 187.3° de la loi déférée sur la transition énergétique.

Pour aller plus loin

Au Japon, l’estimation de la part future du nucléaire dans la production énergétique reste incertaine. Après plusieurs années d’arrêt, les réacteurs ne seront sans doute pas tous immédiatement opérationnels. Il faudra aussi compter avec une opinion publique hostile à la reprise de la production d’origine nucléaire et aux risques (climatiques, sismiques) pesant sur les centrales.

En France, la réflexion sur la transition énergétique conduit à une réduction de la part du nucléaire dans l’approvisionnement en énergie et au plafonnement de la production. Toutefois, la loi récemment validée par le juge constitutionnel ne prévoit pas les étapes et les moyens précis de réduction du quart de la production d’énergie d’origine nucléaire à l’horizon 2025. L’incertitude demeure également concernant l’indemnisation de l’exploitant EDF pour les pertes consécutives à la fermeture anticipée des centrales. L’avenir du site de Fessenheim, présenté comme emblématique de la transition énergétique dès 2012, reste d’ailleurs lui aussi toujours en suspens (sur les conséquences économiques et financières d’une fermeture de cette centrale, voir le rapport n°2233 des députés Marc Goua (PS) et Hervé Mariton (UMP), Rapport d’information déposé par la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire sur le coût de la fermeture anticipée de réacteurs nucléaires : l’exemple de Fessenheim, Assemblée nationale, 30/09/2014).

Le 3 septembre dernier, EDF annonçait que la mise en service de l’EPR de Flamanville (Manche) serait reportée au quatrième trimestre 2018. Or, le décret d’autorisation de création de l’installation – signé le 10 avril 2007 – stipule que « le délai pour réaliser le premier chargement en combustible nucléaire du réacteur est fixé à 10 ans à compter de la publication du présent décret au Journal officiel de la République française », soit au plus tard le 10 avril 2017. Il apparaît désormais clairement que ce délai ne pourra être tenu, obligeant l’exploitant à solliciter une prolongation. De plus, pour respecter le plafond de production d’électricité d’origine nucléaire établi par la nouvelle loi de transition énergétique, le démarrage de ce premier réacteur de nouvelle génération d’une puissance de 1.650 MW supposerait la mise à l’arrêt des deux réacteurs de 900 MW chacun du site de Fessenheim – à moins que l’exploitant propose une autre option. Au vu des aléas de la construction de l’EPR de Flamanville, la centrale alsacienne pourrait bénéficier d’un sursis.