CUMUL DE RESPONSABILITES EN CAS DE DOMMAGE CAUSE PAR UN MINEUR
Commentaire de Civ. 2ème 11 septembre 2014
Isabelle CORPART
Maître de conférences en droit à l’UHA
CERDACC
Lorsqu’un dommage est causé par un mineur, la responsabilité de ses parents peut être engagée sur la base de l’article 1384, alinéa 4 du Code civil mais cela n’exclut pas la possibilité d’agir contre le mineur lui-même en invoquant l’article 1382 du Code civil s’il a commis une faute à l’origine du dommage.
Mots clef : Responsabilité du fait personnel – Responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur – Dommage – Minorité – Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et autres infractions (FGTI) – Victime.
Pour se repérer
Un tribunal pour enfant déclare Sébastien B., mineur de 14 ans au moment des faits, coupable de blessures volontaires ayant entraîné une incapacité temporaire de plus de huit jours, commises sur la personne de Hicham A., mineur de 11 ans. Il ressort du dossier que Sébastien B. a volontairement projeté sur ce dernier de l’alcool à brûler, ce qui lui a provoqué des brûlures au cou, au visage et au thorax, représentant au total 15 % de la surface corporelle.
Statuant sur les intérêts civils, le tribunal condamne Sébastien B. et ses parents in solidum à verser aux époux A., représentants légaux de leur fils Hicham A., une indemnité provisionnelle dans l’attente des conclusions des experts. Une indemnisation est allouée ensuite sur la base du rapport d’un médecin, d’une part et d’un expert psychologue, d’autre part : 3 500 € du chef d’une incapacité temporaire totale de 256 jours, 25 000 € du chef des souffrances endurées, 18 000 € au titre du préjudice esthétique et 3 000 au titre du préjudice d’agrément. Après avoir indemnisé la victime, le FGTI exerce son recours subrogatoire à l’encontre de Sébastien B. et de ses père et mère.
Sébastien B. fait grief à l’arrêt de le condamner in solidum avec ses parents, M. Alain B. et Mme Catherine G., épouse B. Il se pourvoit en cassation prétendant que l’enfant mineur dont les parents sont solidairement responsables n’est pas tenu à indemnisation.
Pour aller à l’essentiel
Pour la Cour de cassation dans son arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 11 septembre 2014 (n° 13-16.897), la condamnation des père et mère sur le fondement de l’article 1384, alinéa 4 du Code civil ne fait pas obstacle à la condamnation personnelle du mineur dès lors que les conditions posées par l’article 1382 du Code civil sont remplies. En outre la minorité de Sébastien B. au moment des faits ne saurait empêcher qu’il puisse être condamné à indemniser la victime pour le dommage qu’elle a subi de sa faute (sous réserve que ses agissements fautifs soient démontrés). En conséquence, le mineur est condamné in solidum avec ses parents, tenus solidairement au regard de l’article 1384, alinéa 4.
Pour aller plus loin
Cette affaire repose sur la méconnaissance par le plaideur (et son avocat) de ses obligations : chacun doit réparation de la faute qu’il commet, fût-il mineur au moment des faits. Elle nous permet de rappeler que la mise en œuvre de la responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur n’exclut pas la possibilité de se retourner aussi contre l’auteur du dommage à partir du moment où la faute de l’enfant est établie et de le condamner in solidum avec ses père et mère.
Lorsque les conditions sont remplies, plusieurs responsabilités peuvent se cumuler (I). Tout l’intérêt de cet arrêt tient dans l’articulation des différentes responsabilités et dans le rappel d’une évidence : si l’enfant mineur a des droits, il a également des obligations. Ces principes généraux méritaient d’être rappelés (II).
I – Les responsabilités encourues en cas de dommage causé par un mineur
Dès lors qu’un enfant mineur commet un acte jugé comme la cause directe d’un dommage invoqué par la victime, plusieurs responsables peuvent être recherchés sur différents fondements et le FGTI peut exercer un recours subrogatoire contre les uns et les autres.
- La responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur
Tant que leur enfant est mineur et conformément à l’article 1384, alinéa 4 du Code civil, la responsabilité des parents est engagée dès lors que l’intéressé cause à autrui un acte dommageable.
En l’espèce, leur fils âgé de 14 ans au moment des faits (c’est au moment de la survenue du dommage qu’il convient de se placer : Civ. 2ème 25 oct. 1989, Bull. civ., II, n° 194) ayant été reconnu coupable de blessures volontaires sur la personne d’un autre mineur, les conditions de mise en œuvre de la responsabilité de M. Alain B. et de Mme Catherine G. étaient remplies. Ce point n’était pas en discussion.
On rappellera simplement que leur responsabilité est engagée même si leur fils n’a pas commis de faute, dès lors qu’il a commis un acte qui est la cause directe du dommage invoqué par la victime (Cass. ass. Plén. 9 mai 1984, Fullenwarth, Bull. civ., n° 4, D. 1984, 525, concl. Cabannes, note F. Chabas, JCP 1984, II, 20255, note Dejean de la Bâtie). Cette responsabilité n’est pas subordonnée à l’existence d’une faute de l’enfant (Civ. 2ème 10 mai 2001 , n° 99-11.287, D. 2851, rapport P. Guerder, note O. Tournafond, RTD civ. 2001. 601, obs. P. Jourdain ; Civ. 2ème 17 févr. 2011, Bull. civ., II, n° 47, JAC n° 114, mai 2011, obs. I. Corpart ; JCP 2011, n° 519, note Bakouche , RTD civ., 2011, 244, obs. P. Jourdain). Il faut simplement que l’enfant cohabite avec eux, ce qui n’était pas contesté au moment des faits.
- La responsabilité personnelle du mineur
Pour que la responsabilité de Sébastien B. soit engagée sur le fondement de l’article 1382 du Code civil et qu’il puisse faire l’objet d’un recours du FGTI, il importe que l’on démontre cette fois sa faute. En l’espèce, même s’il n’avait peut-être pas conscience des suites de ses agissements, il a bel et bien jeté volontairement de l’alcool au visage de sa victime. Sa faute est en effet suffisamment démontrée dans le dossier. Il est relevé qu’il ne s’agit pas d’un accident mais que l’auteur du dommage s’est rendu coupable de blessures volontaires.
- Le cumul des responsabilités
Après quelques errements en doctrine et en jurisprudence (pour un refus de cumul : Civ. 2ème 10 févr. 1971, n° 68-13.878, D. 1971, Somm. 199, note. C. Larroumet) quant au cumul des responsabilités du fait personnel et du fait d’autrui, la Cour de cassation rappelle dans cet arrêt que la mise en œuvre de la responsabilité des parents n’exclut pas celle du mineur, dès lors que sa faute est établie : « la condamnation des père et mère sur le fondement de l’article 1384, alinéa 4 du Code civil ne fait pas obstacle à la condamnation personnelle du mineur sur le fondement de l’article 1382 du Code civil ».
C’est bien là que réside l’intérêt de cet arrêt.
II – Les principes applicables en matière de responsabilité
L’occasion est donnée à la Cour de cassation de revenir sur quelques règles fondamentales en la matière lorsque l’auteur des faits est mineur. Il est intéressant de rappeler le fondement de la responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur sans occulter le rôle de ce dernier qui, s’il commet une faute, doit également assumer la portée de ses agissements.
- Le fondement de la responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur
Responsabilité du fait d’autrui, la responsabilité qui repose sur l’article 1384, alinéa 4 du Code civil donne l’assurance à la victime de se retourner contre des personnes plus solvables que le mineur et l’espoir d’être indemnisée. En effet, lorsque l’auteur des faits est mineur, par hypothèse insolvable, il est dans l’incapacité d’assumer lui-même les suites de ses actes. Par faveur pour la victime, il fallait rechercher qui pouvait assumer une telle responsabilité du fait d’autrui et une responsabilité « de garantie » a été mise à la charge des père et mère (En ce sens M. Planiol, G. Ripert et J. Boulanger, Traité élémentaire de droit civil, t. II, 3ème éd. N° 1107).
Les parents sont effectivement garants de cette indemnisation mais cela ne signifie pas pour autant que leur responsabilité soit la seule à pouvoir être engagée.
- Les obligations mises à la charge des mineurs, auteurs de faits dommageables
Depuis 1984, un mineur même non discernant peut être poursuivi en justice sur le fondement de l’article 1382 du Code civil (Cass. ass. plén. 9 mai 1984, Lemaire et Derguini, Bull. civ., n° 2 et 3, ). Il faut toutefois qu’il soit fautif sur la base de ce texte, alors que la responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur peut être encourue même si l’enfant n’a commis aucune faute à partir du moment où il est bien l’auteur du fait dommageable.
Le mineur, comme toute personne, doit répondre de ses agissements fautifs. Il reste exposé personnellement quand bien même ses parents répondent-ils de ses actes à sa place afin de garantir la victime contre son insolvabilité. En effet, si les droits des mineurs sont régulièrement rappelés, il ne faut pas oublier non plus qu’ils ont également des obligations, notamment celles de supporter personnellement les conséquences de leurs agissements. Ils doivent soit indemniser les victimes soit rembourser au FGTI les sommes versées.
La victime aurait pu agir contre lui et contre ses parents in solidum mais le FGTI peut aussi en l’espèce exercer un recours subrogatoire contre Sébastien B. Libre aux parents d’assumer seuls la charge de la dette (il est également admis que ces derniers puissent réclamer ensuite à leur enfant les sommes versées à la victime : Rouen, 7 mai 2003, Resp. civ. et assur. 2003, comm. 254, obs. C. Radé). Cependant, globalement, comme le reprécise la Cour de cassation, la minorité de l’intéressé « ne fait pas obstacle à sa condamnation à indemniser la victime pour le dommage qu’elle a subi ».
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Civ. 2ème 11 septembre 2014, n° 13-16.897
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique pris en sa première branche :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Rouen, 16 janvier 2013), que par jugement du 18 février 1993, un tribunal pour enfants a déclaré Sébastien X…, mineur de quinze ans, coupable de blessures volontaires ayant entraîné une incapacité temporaire totale de plus de huit jours, commises sur la personne de Hicham Y… ; que, statuant sur les intérêts civils, le tribunal a condamné Sébastien X… et ses parents in solidum à verser aux époux Y…, représentants légaux de leur fils mineur Hicham, une indemnité provisionnelle de 3 000 francs (457, 35 euros) et ordonné une expertise médicale de ce dernier ; que, le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et autres infractions (FGTI), après avoir indemnisé la victime, a exercé son recours subrogatoire à l’encontre de M. Sébastien X… et de ses père et mère ;
Attendu que M. Sébastien X… fait grief à l’arrêt de le condamner in solidum avec M. Alain X… et Mme Catherine Z… épouse X…, ces deux derniers étant condamnés solidairement, à verser au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions la somme de 56 380, 41 euros et de les condamner solidairement à verser à ce dernier la somme de 1 200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, alors, selon le moyen, que n’est pas tenu à indemnisation à l’égard de la victime l’enfant mineur dont les parents sont solidairement responsables ; qu’en l’espèce, pour condamner M. Sébastien X…, in solidum avec ses parents, à verser une somme au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions, subrogée dans les droits de la victime, la cour d’appel a affirmé que sa minorité au moment des faits ne faisait pas obstacle à sa condamnation à indemniser la victime pour le dommage qu’elle avait subi à la suite de la faute qu’il avait commise ; qu’en statuant ainsi, quand la responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur fait obstacle à ce que celui-ci soit personnellement tenu à indemniser la victime, la cour d’appel a violé les articles 1382 et 1384, alinéa 4, du code civil ;
Mais attendu que la condamnation des père et mère sur le fondement de l’article 1384, alinéa 4, du code civil ne fait pas obstacle à la condamnation personnelle du mineur sur le fondement de l’article 1382 du code civil ;
Et attendu que l’arrêt retient à bon droit que la minorité de M. X… ne fait pas obstacle à sa condamnation à indemniser la victime pour le dommage qu’elle a subi à la suite de sa faute et qu’il doit l’être in solidum avec ses parents lesquels, seuls, sont tenus solidairement ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Et attendu que la seconde branche du moyen n’est pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Sébastien X… aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. Sébastien X… ; le condamne à payer au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et autre infractions et à la SCP Barthélémy, Matuchansky, Vexliard la somme de 1 500 euros chacun.