compte rendu du colloque l expert au banc des accuses cerdacc 20 mai 2014

L’expert au banc des accusés ?

Colloque, Faculté de Droit de Mulhouse, 20 mai 2014

CERDACC

 

Karin Favro, Madeleine Lobe-Lobas, maîtres de conférences en droit HDR à l’UHA, CERDACC

 

L’intitulé de ce colloque se veut particulièrement provocateur car il s’agit d’attirer l’attention sur le rôle des experts et l’étendue de leur mission dès lors qu’ils constituent les référents d’une société complexe. Le point de départ de la réflexion est la surprenante affaire de l’Aquila dans laquelle le Tribunal italien de la ville des Abruzzes a condamné le 22 octobre 2012, sept  experts à six ans de prison pour « homicide par imprudence » pour ne pas avoir divulgué des informations sur l’éventualité d’un séisme. Par-delà l’affaire d’Aquila, la réflexion circonscrite dans le cadre du présent colloque aux domaines environnemental, sanitaire et médical, mérite d’être menée également en droit français car l’observation de récentes décisions de justice montrent que nos experts gagnent progressivement le banc des accusés.

La place de l’expert est au centre des préoccupations, dans une société où les réglementations sont techniques, disciplinaires et trop complexes, pour que les décideurs puissent les mettre en œuvre sans l’avis d’un sachant, d’un savant considéré comme un expert. Le souhait de réduire le risque et la volonté d’éloigner tout aléa de l’homme, affectent le fonctionnement normatif de notre société. Celle-ci se caractérise par une exigence croissante de sécurité à l’égard des populations, et tend vers l’extension de la couverture des risques par des mécanismes juridiques à mi-chemin entre l’assurance, la responsabilité et la solidarité. Le partage de la charge de risques souvent mal identifiés, exclus des mécanismes classiques d’assurance, qui permet d’indemniser rapidement les victimes n’écarte cependant pas la recherche de responsabilité. Cette démarche englobante est nécessaire mais insuffisante pour faire face à l’évolution de la nature des risques et leur perception qui implique approche interdisciplinaire que l’on retrouve aujourd’hui au sein des instances d’expertise, telles que l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) ou l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé). Le traitement de catastrophes et crises repose sur une connaissance précise de phénomènes scientifiques divers et le recours à l’expert s’agissant de la connaissance du risque, de sa prévention, de son évaluation et la recherche des responsabilités lorsqu’il se réalise, est inévitable.

Les opérations d’expertise prennent un relief particulier dans la prise de décision, qu’elle soit judiciaire, extrajudiciaire ou politico-administrative. Mais le titre et la profession d’experts ne sont pas reconnus en France. Or, la définition d’un statut pour l’expert ou d’un statut pour chaque catégorie d’experts, se pose d’autant plus d’acuité que des individus divers, toujours plus nombreux, se positionnent en qualité d’expert. Une Charte sur les recommandations sur les bons usages entre avocats et experts de justice, signée le 18 novembre 2005 entre la Fédération nationale des compagnies d’experts de justice et le Conseil national des barreaux, vient confirmer ô combien ce statut est attendu et d’ailleurs bien au-delà des seuls experts judiciaires pour lesquels le terrain est globalement balisé dans le cadre d’une procédure administrative d’inscription sur des listes d’experts. Pour les autres, la qualité d’expert voire la simple dénomination est sujette à caution. Tout savant peut-il se voir qualifier d’expert ? L’appréciation in concreto des situations démontre que cette qualité est mise à mal lorsque certains pré-requis ne sont pas respectés.

La définition d’un statut de l’expert permet également de le distinguer des simples conseillers mais aussi surtout des citoyens experts dont l’émergence est liée au développement des technologies de l’information.  En outre, la loi du 16 avril 2013 qui consacre le droit d’alerte en matière de santé publique et d’environnement met l’expertise au centre du dispositif sans pour autant définir dans cette perspective le statut de l’expert pourtant tant attendu. En dépit de l’intitulé du dispositif, il en est le grand oublié. La loi organise un régime de protection des lanceurs d’alerte, que l’on comprend comme étant les profanes, sans définir la place de l’expert professionnel qui s’en dissocie juridiquement. Il s’agit de mieux identifier l’expert dont la légitimité est de plus en plus remise en cause suite de nombreux scandales.

Même si le statut de l’expert n’est pas précisé, le recours à la compétence de l’expert dans le cadre de son rapport d’expertise, se définissant comme la production d’une connaissance spécifique dans la perspective de l’action, s’impose bien souvent au décideur. Dès lors que le rapport de l’expert a une influence sur la décision finale, se pose la question de la qualité de l’expert ainsi que de son expertise. En l’absence de réglementation, des normes ou des chartes, même si elles sont d’application volontaire, posent les fondements d’un système de référence permettant de garantir la fiabilité de l’expert.  La Charte nationale de l’expertise scientifique et technique a vu le jour le 3 mars 2010 conformément aux recommandations du Comité opérationnel « Recherche » du Grenelle de l’environnement. Elle doit être adoptée notamment par l’ensemble des organismes de recherche. Cette charte prend appui sur trois grands principes n’ayant rien de particulièrement novateurs hormis le dernier qui s’impose désormais. Il est question de transparence et d’encadrement de l’expertise, de publication des liens d’intérêts existants entre les experts et les parties concernées, et du traitement systématique de l’alerte environnementale et sanitaire pour les établissements signataires.

Les rapports entre l’un et l’autre vont dépendre des attentes de celui qui commandite l’expertise en posant des questions, en analysant les réponses. En tout état de cause, les conclusions expertales sont censées éclairer la décision sans la caractériser substantiellement. Toutefois, les hypothèses dans lesquelles en raison de la prépondérance des aspects techniques, le décideur a rendu sa décision en reprenant à son compte les conclusions de l’expert, ne sont pas rares. Ce qui est source de confusion entre le rôle de l’expert et du décideur. Dans cette hypothèse, le décideur peut se défausser sur l’expert qui n’a pas su, qui n’a pas pu ou qui n’a pas assez informé alors qu’en principe, la responsabilité pèse logiquement sur le décideur qui décide ou non d’exploiter l’avis de l’expert qui peut être couplé avec des informations provenant des lanceurs d’alerte.

L’expert est en principe lié au décideur par une obligation de moyen qui permet de renvoyer l’incertitude scientifique de l’expert, tout à fait légitime, à la certitude du décideur dans sa prise de décision. Mais les attentes du décideur à l’égard de l’expert, voire les attentes de la société ne sont pas neutres et peuvent se matérialiser par le passage d’une obligation de moyens à une obligation de résultat. La conséquence en est l’exercice d’actions en responsabilité contre l’expert. Les experts se retrouvent en situation de se défendre, le cas échéant devant les tribunaux.  Que ce soit devant les juridictions administratives ou judiciaires, les motifs conduisant à la mise en jeu de la responsabilité des experts, peuvent se circonscrire autour du manque de diligence, du manque de connaissance ou du manque d’indépendance. C’est donc a posteriori, lorsqu’il est question de réparer les dysfonctionnements du système que les qualités attendus d’un bon expert sont précisées dans la décision de justice. Ce colloque a eu pour ambition de comprendre si les mises en causes des experts sont justifiées d’une part, au regard des rapports qui se nouent entre l’expert et le décideur et de la situation de l’expert par rapport à la décision finale et d’autre part, du fait de l’absence d’un ou de statut(s) de l’expert.

Les intervenants, professionnels et universitaires spécialistes de la question traitée, ont été approchés par les membres du CERDACC à l’initiative de ce projet.

Karine FAVRO et Madeleine LOBE-LOBAS

Maîtres de conférences en Droit, HDR,

CERDACC, UHA