Table des matières
Compte-rendu de colloque
Les futurs du Droit de l’Environnement. Simplification, modernisation, régression ? La voie étroite
Auteur
Florence NICOUD
Blandine ROLLAND
Maîtres de conférences
Membres du CERDACC
Société Française pour le Droit de l’Environnement et Université de Nice
20 et 21 novembre 2014
La Société Française pour le Droit de l’Environnement a fêté ses 40 ans à l’occasion de son colloque national qui s’est tenu à la Faculté de Droit de l’Université de Nice. Le thème général en était « Les futurs du Droit de l’Environnement. Simplification, modernisation, régression ? La voie étroite ». Deux membres du CERDACC y ont assisté et vous en livrent un compte-rendu à deux voix.
Pour le 40e anniversaire de la Société Française pour le Droit de l’Environnement, cette association spécialisée dans la promotion du droit de l’environnement français, européen et international, a organisé son colloque annuel dans les locaux de la Faculté de Droit de Nice. Le colloque réunissait notamment des spécialistes en droit de l’environnement mais aussi d’autres matières connexes (philosophes, économistes, urbanistes..). On constate déjà depuis un bon nombre d’années le développement d’un discours sur la nécessaire simplification du droit, discours auquel n’échappe pas tant le droit de l’environnement que le droit de l’urbanisme ou encore le droit du travail, réputés être des droits alambiqués et souvent complexes. De la simplification, on glisse alors tout naturellement à la modernisation, terme ambigu car non défini et souvent susceptible de multiples définitions et interprétations.
1. Exposés introductifs
« De la complexité de l’idée même de modernisation du droit de l’environnement-Quelques réflexions juridiques perplexes », Véronique Labrot, Maître de conférences HDR à l’Université de Brest.
L’auteur s’interroge sur ce mouvement de fond de modernisation du droit de l’environnement. Or les termes sont souvent antinomiques. En effet, la modernisation est marquée par l’industrialisation qui provoque d’inévitables dégâts sur l’environnement. Mais d’un autre côté, la modernisation du droit viserait elle à simplifier la vie de l’homme. Modernisation et simplification sont en réalité deux termes très proches. En pratique et du point de vue des gouvernants, la simplification du droit viserait à une plus grand lisibilité et effectivité du droit, notamment du droit de l’environnement réputé pour être souvent complexe, car fondé sur des réalités environnementales qui s’imposent comme des complexes (écosystèmes, biodiversité..). Face à cela, le juriste est confronté à deux interrogations majeures :
- souvent décrit comme étant le droit de la post-modernité, comment un droit déjà post-moderne peut-il alors pouvoir être modernisé ?
- En voulant rendre ce droit plus accessible, plus lisible, il convient néanmoins de ne pas oublier que par essence il s’agit d’un droit ayant un objet premier complexe : la protection du milieu naturel.
Dans tous les cas, la modernisation nécessaire de ce droit ne doit pas aboutir à une régression de ce dernier.
« Complexité du droit de l’environnement et complexité du vivant : le point de vue du philosophe », Catherine Larrère, Professeur émérite, Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Dans le domaine de la protection de la biodiversité on est passé d’un régime principalement d’interdiction à un régime de protection et d’encadrement du vivant, qui s’est notamment traduit par l’édiction de la loi Barnier de 1995 ou de la loi de 2006 sur les parcs nationaux. De ce fait, l’intervention de la norme juridique se développe et ce mouvement de protection s’accompagne d’une prolifération de textes législatifs. Ainsi, le régime des normes dans cette matière s’est beaucoup compliqué ces dernières années, de la complexité on passerait alors à la complication du droit. Montesquieu louait d’ailleurs dans l’Esprit des Lois la complexité de la justice, c’est une façon de prendre en compte la liberté. Il constatait que les régimes soucieux de la liberté de leur citoyen étaient le plus souvent des régimes complexes. Alors, l’auteur s’interroge : Peut-on avoir une complexité des normes prenant en compte la diversité des citoyens et du vivant ou bien n’est que de la complication ?
« La simplification du droit de l’environnement est-elle soluble dans la démocratie ? », Patrice Duran, Professeur à l’ENS Cachan.
La question essentielle ici posée est de savoir si on peut simplifier le droit par la démocratie. Aujourd’hui face à la « dénationalisation du citoyen », on a du mal à cerner qui est réellement le public des politiques publiques et donc qui sont ces acteurs devant participer aux politiques publiques. Dans le même sens, le droit s’internationalise de plus en plus, et il devient de plus en plus difficile d’envisager des sanctions à cette règle, car alors se pose le problème de savoir qui est l’instance qui fera appliquer la règle. Enfin, comment juristes et politiques peuvent-ils gérer des questions environnementales alors que le temps du politique se trouve être le temps de l’urgence, fondé notamment sur la pratique des sondages.
« Ordre économique mondial et exigence de simplification du droit de l’environnement », Mohamed Salah, Professeur à l’Université de Nouakchott (Mauritanie).
Le droit régule aujourd’hui des rapports sociaux complexes et les menaces pesant sur l’environnement ont un caractère global. Face à l’ampleur de la mission, on peut s’interroger sur le point de savoir si l’objet de ce droit serait véritablement simplifiable. Ainsi, le bilan des tentatives de simplification de ce droit reste pour le moment mitigé. En effet, cette simplification se réalise au niveau de l’Etat territorial alors même que les enjeux en cause demeurent transfrontaliers. De même, la simplification serait au service prioritairement des entreprises alors même que l’environnement concerne une pluralité d’acteurs.
2. L’élaboration du droit de l’environnement
Madame Agnès Michelot, Présidente de la SFDE, présente les futurs du droit international de l’environnement dans le contexte de mondialisation. Le droit international de l’environnement évolue dans l’univers contraint du droit international (notion de souveraineté des États). On peut espérer qu’il pourra s’affranchir de ces contraintes. À ce titre, le droit des investissements ou le recours à l’arbitrage peuvent être des leviers pour un meilleur respect du droit de l’environnement. À plus long terme, un nouveau paradigme juridique pourrait apparaître avec notamment la question du droit des générations futures.
Puis Madame le Professeur Agathe Van Lang traite du rôle de la soft law dans la simplification du droit de l’environnement. Le droit souple constitue une manifestation du pluralisme juridique. Il accompagne l’élaboration du droit de l’environnement. En effet, on assiste à une structure tripartite du droit qui devient managérial (objectifs, moyens et évaluation). Pour autant, elle considère qu’il n’est pas un vecteur de la simplification du droit de l’environnement mais bien plutôt un facteur de complexification !
Il revient à Monsieur Raphaël Brett, ATER, de s’interroger sur la thèse selon laquelle la démocratie écologique numérique est une modernisation en trompe l’œil. La participation des citoyens est actuellement recherchée à travers l’utilisation des outils numériques. Cette participation présente un certain nombre d’avantages : avantage quantitatif, amélioration des arguments développés par le public, gain de coûts. Mais à l’inverse il convient de relever ses défauts : fracture numérique, contrôle exclusif par l’administration, absence de véritable dialogue, effet limité sur la décision finale. Enfin elle évince la confrontation directe et le véritable débat public.
3. Le contenu des normes environnementales
à propos du contenu des normes environnementales, quels sont instruments juridiques pour la modernisation du droit de l’environnement s’interroge Madame le Professeur Sylvie Caudal de l’Université Lyon 3. Elle propose un classement des instruments juridiques qui sont intrinsèquement modernes. Les principes sont des normes juridiques de droit dur mais à contenu assez flou. Leur particularité est d’être relatifs et supposer une confrontation avec d’autres principes. Les études d’impact viennent ensuite ainsi que les actes unilatéraux.
Madame Delphine Misonne s’interroge quant à elle sur le point de savoir si les mutations du droit européen de l’environnement sont encadrées par un principe de non régression. Le règlement serait un instrument de simplification face au chaos de 28 transpositions différentes des directives. Cependant l’élaboration et la mise en œuvre d’un règlement donne lieu aussi à un haut degré de complexité. Il peut faire l’objet de dérogations sans nombre en faveur de tel ou tel État. En outre, les règlements s’autodétruisent et sont constamment révisés ce qui est source d’insécurité. La question est bien de savoir si la protection de l’environnement est simplifiable. Ces difficultés sont mises en perspective avec le principe de non régression qui n’est pas affirmé en tant que tel dans le Traité de l’UE. Mais les textes fondamentaux de l’UE prévoient une ambition de poursuivre un niveau élevé de protection de l’environnement. Ensuite la question est celle de la résistance des États membres lors de la réception du droit de l’UE avec la possibilité d’introduire une clause de sauvegarde.
La journée se conclut par une réminiscence des débuts de la Société Française pour le Droit de l’Environnement avec l’évocation de leurs souvenirs par ses fondateurs et ses deux premiers présidents, les Professeurs Michel Prieur, Jean Untermaier et Gilles Martin. Madame Agnès Michelot, actuelle présidente, évoque les projets d’avenir.
Le colloque se poursuit le lendemain avec Madame Meryem Deffairi qui évoque le recours aux instruments et concepts économiques : facteur de simplification ou de modernisation du droit de l’environnement ? Elle relève une évolution régénératrice du droit de l’environnement. Le droit de police administrative agit pour protéger des ressources sans s’occuper de leur valeur. Un choix de politique publique consiste alors à utiliser des instruments et concepts économiques. Cependant, cette démarche est plutôt réductrice pour l’environnement. En effet, ces instruments et concepts économiques ne donnent qu’une valeur pécuniaire ou économique mais non d’autres valeurs par exemple philosophiques ou découlant des intérêts collectifs de l’environnement. On en revient par conséquent à des politiques publiques imposées par le haut. Les futurs du droit de l’environnement devraient donner lieu à une articulation entre politiques publiques imposées et recours aux concepts économiques.
Madame Carole Hermon de l’Université de Toulouse s’attache au domaine particulier de la nécessité de simplifier le droit pour le secteur agricole. Il convient d’inviter les agriculteurs à prendre en compte l’environnement. En matière rurale, ce n’est pas l’absence de droit mais sa profusion qui est remarquable. Certains textes sont tellement techniques qu’il faut un logiciel pour s’assurer de leur respect par les agriculteurs ! Face au réel défaut d’écriture et d’articulation des règles de droit rural et de droit de l’environnement, il faut promouvoir la réécriture du droit avec une idée de simplification, par exemple à travers la nouvelle notion d’agroécologie. Cette notion pourrait venir tempérer la conception actuelle de l’agriculture productiviste.
Un autre exemple particulier est présenté par Madame Angèle Hermitte, le recours au principe de participation en matière de déchets nucléaires. Elle expose son expérience relative à l’organisation d’une « conférence de citoyens » à propos du site de Sigeo où il est prévu d’enfouir des déchets nucléaires à grande profondeur.
Madame le Professeur Marina Teller de l’Université de Nice s’interroge sur les nouvelles formes de normalisation à travers le cas de la RSE. La RSE constitue un laboratoire des formes alternatives de normalisation (chartes éthiques, labels, certification). Elle entraîne d’une part la reconfiguration du rôle de l’entreprise et de ses acteurs et d’autre part la reconfiguration des sources et des instruments du droit.
Ces diverses illustrations se sont conclues par la présentation de la notion de cohérence : entre modernisation et régression du droit de l’environnement, par Monsieur Vincent de Briant de l’Université Paris Est. Il expose une vision technique de la cohérence comme la liaison étroite ou l’adhérence entre deux éléments. La cohérence en droit de l’environnement est porteuse de modernité ou de modernisation (exigence de cohérence en matière d’aménagement, de logement, d’urbanisme …). Cependant un arrêt du Conseil d’Etat (CE, 20 déc. 2013, FNE), décide qu’une charte de mise en cohérence en matière de parc naturel régional, est inopposable aux tiers. L’orateur propose par ailleurs de considérer la cohérence comme la continuité territoriale excluant la possibilité d’enclaves à l’intérieur d’un parc naturel.
4. Le suivi et la mise en œuvre des normes environnementales
Madame Adélie Pomade, chercheur associée à l’Université catholique de Louvain traite de la simplification du droit de l’environnement et l’environnement du droit. Une simplification peut être issue du droit lui-même ou de la sphère sociétale. Nous assistons à une phase de co-construction de la norme juridique à venir. Des instruments de participation existent en amont dans la phase d’élaboration de la norme juridique mais aussi en aval dans le cadre d’une norme déjà applicable. À ce titre, le débat public, l’« initiative citoyenne européenne » et la science participative sont évoquées.
Ensuite Monsieur le Professeur François-Guy Trébulle de l’Université Paris 1 recherche les voies de l’effectivité du droit de l’environnement. Il note le recul de l’État et le recul de la police administrative en matière de protection de l’environnement. À ce titre, les acteurs de l’effectivité du droit de l’environnement et du suivi de la mise en œuvre des normes sont présentés : inspecteurs des ICPE, auxiliaires de contrôle (organismes agréés et accrédités pour les contrôle des ICPE, organisme tiers indépendant pour la vérification du reporting social, sociétal et environnemental, bureaux d’études, contrôleurs et diagnostiqueurs), et l’exploitant lui-même dans le cadre de l’auto-surveillance. Me Huglo au cours du débat rajoutera aussi le rôle de l’assureur dans la prévention des accidents. Mais ce système n’est viable que si le contrôle a porté ses fruits. L’orateur plaide donc pour une culture de l’alerte, une véritable culture de la responsabilité de l’exploitant et également de la responsabilité de l’État.
Ce beau colloque s’est enfin conclu par une table ronde présentant des pratiques du droit de l’environnement.