CHUTE DE PONEY : QUELLE RESPONSABILITE ?
Commentaire de CA Rennes 19 mars 2014
Isabelle Corpart, maître de conférences en droit privé à l’UHA, CERDACC
Le propriétaire d’un poney est responsable des dommages causés par son animal, sauf à démontrer que le cavalier a les pouvoirs de direction, de contrôle et d’usage sur le poney.
Pour se repérer
Chantal L.-S. est tombée d’un cheval appartenant à son père Jean-Pierre S. le 1er mars 2011. Le poney qui venait pourtant d’un centre équestre, et avait l’habitude d’être monté, est parti rapidement au galop quant elle l’a monté et il s’est cabré. Sa cavalière est tombée et il est retombé sur elle.
Gravement blessée, elle présente une paraplégie flasque de niveau lésionnel T12 pour laquelle elle demande une prise en charge à la CRAMA (Caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles) de Bretagne.
Sa demande est entendue le 20 novembre 2012 par le tribunal de grande instance de Rennes qui ordonne à la caisse d’indemniser la victime, lui fait verser une indemnité provisionnelle de 25 000 euros et nomme un expert médical.
La CRAMA fait appel du jugement.
Pour aller à l’essentiel
Conformément à l’article 1385 du Code civil, le propriétaire d’un animal, ou celui qui s’en sert, pendant qu’il est à son usage, est responsable du dommage que l’animal a causé, soit que l’animal fût sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé.
La victime qui ne pratique pas l’équitation ayant chuté d’un poney appartenant à M. S. n’avait ni la capacité ni le pouvoir d’en disposer à son gré. Il n’est dès lors pas établi qu’elle avait les pouvoirs de direction, de contrôle et d’usage qui caractérisent la qualité de gardien de l’animal. En sa qualité de propriétaire du poney, son père en était resté le gardien et sa responsabilité est engagée sur le fondement de l’article 1385 du Code civil.
Par ailleurs, la victime ne commet pas de faute d’imprudence dans la mesure où le poney venait d’un centre équestre où il était monté régulièrement.
Pour aller plus loin
En cas d’accident causé par un cheval, il convient de rechercher qui est responsable. Il s’agit du gardien du cheval, généralement son propriétaire. Chacun est en effet responsable des animaux qu’il a sous sa garde (C. civ., art. 1385). Le texte vise le propriétaire, en l’occurrence Jean-Pierre S., toutefois il peut également s’agir de celui qui s’en sert.
La responsabilité est ainsi fondée sur l’obligation de garde, corrélative aux pouvoirs de direction, de contrôle et d’usage qui la caractérisent (Cass. 2ème civ., 17 mars 1965, JCP 1965, II, 14436, Esmein). Dès lors si l’on avait pu démontrer que Chantal L.- S. exerçait ces pouvoirs sur le poney au moment de l’accident, elle aurait été considérée comme gardienne de l’animal. Si au contraire, le propriétaire est gardien, il est tenu d’indemniser la victime.
En l’espèce rien ne permet d’établir que la victime avait les pouvoirs de direction, contrôle et usage sur le cheval. C’était seulement la seconde fois qu’elle montait ce cheval et elle ne pratiquait pas les sports équestres. Elle n’avait pas la capacité d’en disposer à son gré.
La présomption de responsabilité de l’article 1385 du Code civil cède toutefois devant la preuve d’une faute de la victime.
Il ressort néanmoins du dossier que lorsque la victime avait monté le cheval une première fois celui-ci s’était comporté normalement ; de plus sa nièce l’avait monté le jour de l’accident juste avant elle sans encombre.
Chantal L.-S. n’a en conséquence pas fait preuve d’imprudence, le cheval ayant été donné à son père par le directeur d’un centre équestre. Il avait l’habitude d’avoir des cavaliers inexpérimentés. De son côté, la victime accompagnait régulièrement ses enfants dans un centre équestre et elle les aidait à s’occuper de leurs chevaux.
Il n’est pas davantage possible de soutenir qu’elle a accepté les risques inhérents à l’équitation. En effet, les risques de chute sont prévisibles et normaux dès lors que l’on pratique l’équitation. Néanmoins le fait de monter sur un cheval n’emporte pas acceptation d’un risque exceptionnel lié au fait qu’un cheval perde l’équilibre, tombe et écrase son cavalier.
Il en irait autrement si la victime avait participé à une course ou à un concours hippique.
Les juges de la cour d’appel de Rennes concluent donc le 19 mars 2014 (RG : n° 12/08251) à la confirmation du jugement.
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Cour d’appel de Rennes, 19 Mars 2014, RG : n° 12/08251
FAITS ET PROCEDURE
Le 1er mars 2011, à PLOUMOGUER (29), Chantal LABAT-SALAUN est tombée d’un cheval qui appartient à Jean-Pierre SALAUN, son père, assuré au titre de sa responsabilité civile par la société CAISSE REGIONALE D’ASSURANCES MUTUELLES AGRICOLES BRETAGNE PAYS DE LOIRE (CRAMA).
Elle a été gravement blessée et présentait une paraplégie flasque de niveau lésionnel T12.
Par courriers des 6 mai et 7 juillet 2011 elle a demandé à la CRAMA de prendre en charge la réparation de son préjudice corporel. Par courriers des 30 juin et 8 juillet 2011 la CRAMA a refusé sa garantie.
Le 20 septembre 2011 Chantal LABAT-SALAUN a assigné la CRAMA en garantie devant le tribunal de grande instance de RENNES sur le fondement de l’article 1385 du code civil , ainsi que la CAISSE DE RETRAITE ET DE PREVOYANCE DES INFIRMIERS MASSEURS KINESITHERAPEUTES PEDICURES PODOLOGUES ORTHOPHONISTES ET ORTHOPTISTES (CARPIMKO).
Par jugement du 20 novembre 2012 le tribunal de grande instance a :
– dit que la CRAMA est tenue d’indemniser Chantal LABAT-SALAUN des préjudices qu’elle a subis à la suite de l’accident dont elle a été victime le 1er mars 2011 sur le fondement de l’article 1385 du code civil ,
– ordonné une expertise médicale confiée au Docteur Jean-Pierre LE LAY et sursis à statuer sur les demandes des parties jusqu’au dépôt du rapport d’expertise,
– alloué à Chantal LABAT-SALAUN une indemnité provisionnelle de 25 000,00 euros et rejeté sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ,
– ordonné l’exécution provisoire du jugement,
– déclaré le jugement commun et opposable à la CARPIMKO.
Le 11 décembre 2012 la CRAMA a fait appel du jugement.
Elle expose ses moyens et ses demandes dans ses dernières conclusions notifiées le 7 mars 2013 auxquelles il est renvoyé en application de l’article 455 alinéa 1 du code de procédure civile .
Elle demande à la cour d’infirmer le jugement et de débouter Chantal LABAT-SALAUN de toutes ses demandes.
A titre subsidiaire elle demande à la cour de prononcer un partage de responsabilité d’au moins 50 % et ne s’oppose pas à la demande d’expertise et au paiement d’une indemnité provisionnelle de 25 000,00 euros.
Chantal LABAT-SALAUN expose ses moyens et ses demandes dans ses dernières conclusions notifiées le 29 avril 2013 auxquelles il est renvoyé en application de l’article 455 alinéa 1 du code de procédure civile .
Elle demande à la cour de confirmer le jugement, sauf en ce que le Docteur Jacques QUILLIEN a été désigné comme expert à la place du Docteur LE LAY, et de condamner la CRAMA à lui payer la somme de 3 000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile .
La CARPIMKO n’a pas constitué avocat.
MOTIFS DE L’ARRET
Aux termes de l’article 1385 du code civil le propriétaire d’un animal, ou celui qui s’en sert, pendant qu’il est à son usage, est responsable du dommage que l’animal a causé, soit que l’animal fût sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé.
En l’espèce le propriétaire du cheval est Jean-Pierre SALAUN. Mais Chantal LABAT-SALAUN se servait du cheval, qu’elle montait, quand l’accident a eu lieu.
Elle soutient que Jean-Pierre SALAUN en avait conservé la garde du cheval.
Les déclarations par écrit de la victime, de Jean-Pierre SALAUN et de leurs proches établissent les circonstances dans lesquelles l’accident du 1er mars 2011 a eu lieu.
Le cheval, qui est un poney, dépendait auparavant d’un centre équestre. Il avait été donné en janvier 2011 à Jean-Pierre SALAUN, qui l’avait accepté pour tenir compagnie à son cheval et à son âne.
Chantal LABAT-SALAUN, qui ne pratique pas habituellement l’équitation, contrairement à ce que la CRAMA soutient, avait monté le poney une première fois le 27 février 2011, comme deux de ses amis.
Le 1er mars 2011, dans l’après-midi, elle s’est rendue avec ses deux enfants, chez ses parents où se trouvait sa nièce. Elle est allée, avec celle-ci, qui pratique l’équitation, s’occuper des chevaux, parqués dans un pré à proximité de la maison. Après que sa nièce ait monté le poney, elle-même est montée.
Le cheval est alors parti brusquement au galop et s’est cabré. Chantal LABAT-SALAUN est tombée et le cheval est retombée sur elle, la blessant gravement.
Il y a lieu de relever que Chantal LABAT-SALAUN n’avait pas l’habitude de faire du cheval, que c’était la seconde fois qu’elle montait le poney de son père et qu’elle devait le monter dans le pré où il était parqué, à proximité de la maison paternelle.
Si elle avait l’usage du poney, c’était à titre ponctuel, alors qu’elle n’avait ni la capacité, ni le pouvoir d’en disposer à son gré.
Il n’est donc pas établi qu’elle avait sur le poney à la fois les pouvoirs de direction, contrôle et d’usage qui caractérisent la qualité de gardien de l’animal.
Jean-Pierre SALAUN, en sa qualité de propriétaire du poney, en était resté le gardien et sa responsabilité est engagée sur le fondement de l’article 1385 du code civil .
La CRAMA soutient que Chantal LABAT-SALAUN a accepté les risques inhérents à l’équitation et qu’elle n’est pas fondée à réclamer l’indemnisation de son préjudice.
Mais si le risque de chute est un risque prévisible et normal encouru par celui qui monte sur un cheval, le risque d’être écrasé par un cheval qui a perdu son équilibre et qui tombe, n’est pas un risque normal. Le fait de monter sur un cheval n’emporte pas acceptation d’un tel risque.
La CRAMA soutient également que Chantal LABAT-SALAUN a commis des fautes et qu’elle est responsable pour partie du dommage qu’elle a subi.
Elle invoque le fait que Chantal LABAT-SALAUN a bridé trop fortement le poney quand il est parti au galop.
Mais, d’une part, elle se fonde sur une déclaration écrite faite à sa demande par Chantal LABAT-SALAUN le 10 mars 2011, seulement neuf jours après l’accident, alors que Chantal LABAT-SALAUN était toujours hospitalisée et sous le choc des graves conséquences de sa chute. Et d’autre part, les causes pour lesquelles le cheval est parti au galop, avant que Chantal LABAT-SALAUN ne le bride par réflexe, restent indéterminées.
Le défaut de maitrise invoqué par la CRAMA n’est pas donc pas établi.
Elle fait enfin valoir que Chantal LABAT-SALAUN a été imprudente en montant le poney.
Mais celui-ci venait d’un centre équestre où il était monté de façon habituelle. Par ailleurs Chantal LABAT-SALAUN, si elle n’est pas une cavalière confirmée, accompagnait régulièrement ses enfants dans un centre équestre et les aidait à s’occuper de leurs chevaux. Elle avait déjà monté le poney quelques semaines avant les faits et le poney s’était comporté normalement. Enfin, avant qu’elle ne monte sur le poney sa nièce l’avait elle-même monté sans problème.
Dans ces conditions, il n’est pas établi qu’en voulant monter à nouveau le poney, elle a commis une faute d’imprudence.
Le jugement sera donc confirmé pour avoir dit que la CRAMA est tenue d’indemniser Chantal LABAT-SALAUN du préjudice qu’elle a subi à la suite de l’accident du 1er mars 2011.
Ni la mesure d’expertise, ni l’allocation d’une indemnité provisionnelle de 25 000,00 euros, au cas où la condamnation de la CRAMA à indemniser Chantal LABAT-SALAUN serait confirmée, ne sont contestées. Le jugement sera également confirmé sur ces deux dispositions, le remplacement de l’expert étant acquis et n’ayant pas à être constaté par la cour.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire,
Confirme le jugement déféré,
Y ajoutant,
Déclare l’arrêt commun à la CAISSE DE RETRAITE ET DE PREVOYANCE DES INFIRMIERS MASSEURS KINESITHERAPEUTES PEDICURES PODOLOGUES ORTHOPHONISTES ET ORTHOPTISTES,
Condamne la CAISSE REGIONALE D’ASSURANCES MUTUELLES AGRICOLES BRETAGNE PAYS DE LOIRE à payer à Chantal LABAT-SALAUN la somme de 2 000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ,
La condamne aux dépens.