caracterisation et evaluation du prejudice ecologique cass crim 22 mars 2016 n 13 87 650

Caractérisation et évaluation du préjudice écologique (Cass. crim., 22 mars 2016, n° 13-87.650)

 

Benoit Steinmetz

Maître de conférences HDR en Droit privé – Université de Haute-Alsace

Cerdacc EA 3992

Dans une décision en date du 22 mars 2016 (pourvoi n° 13-87.650), la Chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle que le préjudice écologique consiste en l’atteinte directe ou indirecte portée à l’environnement et que la remise en état prévue par l’article L. 162-9 du Code de l’environnement n’exclut pas une indemnisation de droit commun que peuvent solliciter, notamment, les associations habilitées, visées par l’article L. 142-2 du même Code. La Cour souligne par ailleurs qu’il incombe aux juges du fond de chiffrer le préjudice écologique dont ils ont reconnu l’existence, en recourant, si nécessaire, à une expertise.

 

Les fondements juridiques de l’atteinte au milieu naturel

Le principe général de droit communautaire du Pollueur-payeur, que l’on retrouve notamment dans la Directive n° 2004/35 sur la responsabilité environnementale du 21 avril 2004, a été repris en droit français dans la loi LRE du 1er août 2008, sous l’article L.162-9 du Code de l’environnement.

Ce dernier précise que l’état initial désigne l’état des ressources naturelles et des services écologiques qui aurait existé au moment du dommage environnemental, si ce dernier n’était pas survenu, et envisage les réparations primaire et complémentaires, ainsi que la réparation compensatoire.

La réparation primaire désigne toute mesure par laquelle les ressources naturelles et leurs services retournent à leur état initial ou s’en approchent. Lorsque la réparation primaire n’aboutit pas à ce retour à l’état initial ou à un état s’en approchant, des mesures de réparation complémentaire doivent être mises en œuvre afin de fournir un niveau de ressources naturelles ou de services comparable à celui qui aurait été fourni si le site avait été rétabli dans son état initial. Elles peuvent être mises en œuvre sur un autre site, dont le choix doit tenir compte des intérêts des populations concernées par le dommage. 

Les mesures de réparation compensatoire compensent les pertes intermédiaires de ressources naturelles ou de services survenant entre le dommage et la date à laquelle la réparation primaire ou complémentaire a produit son effet. Elles peuvent être mises en œuvre sur un autre site et ne peuvent se traduire par une compensation financière.

L’article L.162-9 du Code de l’environnement vient s’ajouter à l’article L. 110-1 du Code de l’environnement qui pose le principe selon lequel « les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur », mais aussi à l’article 4 de la Charte de l’Environnement précisant que « toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement, dans les conditions définies par la loi ».

Ce texte vient surtout s’ajouter au préjudice écologique pur, dont la prise en compte a été validée par la jurisprudence judiciaire à de nombreuses reprises (voir sous B. Steinmetz, Le procès de l’Erika, chant du cygne du préjudice écologique pur devant les tribunaux judiciaires ? Droit de l’environnement, juin 2010, n° 179, p. 196) et peut se définir comme le préjudice résultant d’une atteinte aux actifs environnementaux non marchands, réparable par équivalent monétaire.

Comme le souligne la jurisprudence, ce préjudice objectif et autonome s’entend de toute atteinte non négligeable à l’environnement naturel, à savoir, notamment, l’air, l’atmosphère, l’eau, les sols, les terres, les paysages, les sites naturels, la biodiversité et l’interaction entre ces éléments, qui est sans répercussion sur un intérêt humain particulier, mais affecte un intérêt collectif légitime. Il est universel, touche les générations actuelles et futures et nul ne peut se prévaloir d’un droit exclusif sur le patrimoine naturel. Ainsi qu’en dispose l’article L. 110-1 du Code de l’environnement, « les espaces, ressources et milieux naturels, les sites et paysages, la qualité de l’air, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques auxquels ils participent » font partie du patrimoine commun de la Nation.

Le préjudice écologique renvoie au prix de l’atteinte à l’environnement et se différencie du préjudice économique subi par ceux qui en exploitent les ressources (par exemple les pêcheurs, les agriculteurs, les forestiers…), mais aussi des frais et des sommes engagées pour sécuriser ou dépolluer le site, ainsi que du préjudice moral, constitué soit par une atteinte directe à l’image et à la réputation d’une collectivité locale, soit par l’atteinte directe à un intérêt collectif défendu par une association.

La réparation du préjudice écologique pur

La prise en compte du préjudice écologique pur se heurte fréquemment à deux écueils : la démonstration et l’acceptation d’un préjudice personnel d’une part, l’évaluation du dommage d’autre part.

La Cour de cassation apporte plusieurs précisions utiles sur ces deux points dans un arrêt du 22 mars 2016 (Cass. Crim., 22 mars 2016, pourvoi n° 13-87.650).

En l’espèce, la société Total raffinage marketing avait été reconnue coupable de rejet en mer ou eau salée de substances nuisibles pour le maintien ou la consommation de la faune ou de la flore et de déversement de substances entraînant des effets nuisibles sur la santé ou des dommages à la faune ou à la flore suite à la pollution de l’estuaire de la Loire après une rupture de tuyauterie de la raffinerie de Donges.

La Cour casse l’arrêt de la Cour d’appel de Rennes qui déboutait La ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) de sa demande en réparation, au motif que le préjudice n’était pas évalué et que son caractère personnel n’était pas démontré du fait de la prise en compte de frais de fonctionnement de l’association dans le chiffrage du préjudice allégué (CA Rennes, 27 sept. 2013).

Pour ceux qui en doutaient encore, la Cour de cassation souligne également « que la remise en état prévue par l’article L. 162-9 du code de l’environnement n’exclut pas une indemnisation de droit commun que peuvent solliciter, notamment, les associations habilitées, visées par l’article L. 142-2 du même code ».

En l’occurrence, c’est bien sur ce fondement de droit commun, impliquant la démonstration d’un fait générateur, d’un préjudice écologique pur et d’un lien de causalité, que la demande en réparation s’appuyait, et non sur l’article L. 162-9 du Code de l’environnement. Dès lors que les trois éléments ci-dessus étaient démontrés, il appartenait donc à la juridiction de fond de prononcer la réparation intégrale du préjudice et d’estimer le montant des dommages et intérêts.

Le chiffrage des dommages et intérêts par les juges du fond

La Cour de cassation souligne en des termes explicites qu’il incombait à la Cour d’appel de « chiffrer, en recourant, si nécessaire, à une expertise, le préjudice écologique dont elle avait reconnu l’existence, et consistant en l’altération notable de l’avifaune et de son habitat, pendant une période de deux ans, du fait de la pollution de l’estuaire de la Loire ».

Ce rappel est tout à fait classique et on le retrouve fréquemment en matière de réparation du préjudice corporel.

La détermination des dommages et intérêts s’impose au juge dès lors qu’il a reconnu l’existence d’un préjudice. Ne pas le faire expose à la cassation pour contradiction de motifs (voir par exemple en matière d’indemnisation d’une victime de l’amiante : Civ. 2ème, 24 mai 2006, pourvoi 05-18.049). A l’inverse, il n’appartient pas à la Cour de cassation de se prononcer sur l’existence ou non d’un préjudice, les modalités de calcul et la fixation du montant de la réparation qui relèvent de la compétence souveraine des juges du fond (que l’on distingue du pouvoir discrétionnaire ou semi-discrétionnaire des juges du fond ; cf. Ass. Plén., 26 mars 1999, pourvoi 95-20.640).

L’appréciation par les juges du fond des modalités d’évaluation proposées par les parties civiles

La Cour de cassation relève que l’insuffisance ou l’inadaptation du mode d’évaluation du préjudice proposé par la LPO ne permet pas d’écarter le droit à réparation et qu’il incombe aux juges du fond de corriger, le cas échéant, les modalités de calcul des dommages et intérêts.

Là aussi, la position de la Cour de cassation est classique, avec néanmoins une spécificité qui était la distinction entre le préjudice matériel et le préjudice écologique pur. En l’espèce, les juges du fond considéraient qu’à partir du moment où les modalités de calcul de la réparation incluaient des frais de fonctionnement de l’association, il ne s’agissait plus de réparer un préjudice écologique pur, mais un préjudice matériel personnel.

Ceci est tout à fait juste et correspond parfaitement à la notion de préjudice écologique pur. Pour autant, l’insuffisance ou l’inadaptation des modalités de calcul n’entraîne pas un rejet de la demande en réparation, mais une modification par les juges du fond de ce calcul, modification qui relève à nouveau de l’appréciation souveraine des juges du fond.