BAIGNADE EN MER HORS FORFAIT TOURISTIQUE
Commentaire de CA Paris, 30 mai 2014, RG n° 13/04277
Isabelle Corpart, maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace, CERDACC
En réservant un séjour en bord de mer dans un Club Méditerranée, un touriste victime d’une noyade en mer ne peut pas réclamer réparation aux organisateurs, la baignade en mer ne faisant pas partie des activités comprises dans le forfait souscrit et aucune obligation d’information ou de sécurité n’ayant été violées.
Mots-clef : baignade en mer – noyade – obligation d’information – obligation de sécurité – professionnels du tourisme – responsabilité de plein droit (non) – réparation – victime
Pour se repérer
M. X. est parti en vacances en Corse en août 2005 avec le Club Méditerranée. Lors de son séjour, lors d’un bain de mer, il est victime d’un accident et se noie. Grâce à un massage cardiaque effectué par les sauveteurs, il est maintenu en vie mais se retrouve hospitalisé jusqu’en septembre 2005, dont une partie du temps en réanimation. Les conséquences financières de la noyade étant très importantes, M. X. et son assureur, la Compagnie Assurances Banque populaire prévoyance assignent le Club Méditerranée en réparation des dommages.
Pour aller à l’essentiel
L’article L. 211-16 du Code du tourisme instaure une responsabilité de plein droit à l’égard des professionnels du tourisme. Toutefois ce texte est écarté lorsque l’accident ne survient pas dans le cadre du forfait souscrit par le touriste. En l’espèce, la baignade en mer étant une activité libre non encadrée et le touriste se trouvant sur une page publique extérieure au village de vacances, la responsabilité du Club Méditerranée ne peut pas être engagée sur le fondement de ce texte.
Elle ne l’est pas davantage pour violation de l’obligation d’information et de sécurité inhérentes au contrat signé par M. X. D’une part, des panneaux précisaient que la plage n’était pas surveillée, d’autre part, un bulletin météo quotidien était affiché au sein du village aussi le club n’a-t-il manqué à aucune de ses obligations contractuelles pour les juges de la Cour d’appel de Paris le 30 mai 2014 (RG n° 13/04277).
Pour aller plus loin
Différentes raisons justifient l’exclusion de la responsabilité du Club Méditerranée. En effet, l’accident s’est produit sur une plage ouverte aux touristes qui séjournaient dans le village, néanmoins tout le monde pouvait accéder à la plage qui n’était pas privative. Le fait qu’elle jouxte le village de vacances ne saurait suffire à engager la responsabilité du club, pas davantage que le fait que des transats y soient mis à disposition des vacanciers.
La noyade de M. X. est également survenue durant une activité libre, à savoir en dehors de l’exécution du contrat. Il ressort clairement du dossier que la brochure remise aux vacanciers vante la situation d’un village en bord de mer et décrit les activités proposées parmi lesquelles ne figure pas la baignade en mer. Dans la mesure où cette activité était hors forfait, la responsabilité de plein droit du club en tant qu’agence de tourisme ne peut pas être retenue sur le fondement de l’article L. 211-16 du Code de tourisme pour l’accident dont a été victime M. X. Les agences de voyage ne sont effectivement responsables de plein droit que pour les dommages survenus à l’occasion de l’une des prestations fournies dans le cadre du forfait acheté par le client.
Le défaut de surveillance de la plage ne peut pas non plus être reproché au club, mais sans doute pouvait-on rechercher la responsabilité de la commune.
Enfin, M. X. était parfaitement informé à la fois du caractère non surveillé de la plage et du bulletin météo. Il suffisait qu’il en prenne connaissance au bar ou au restaurant. Il a choisi de se baigner le jour de l’accident en toute connaissance de cause (accident dont la cause exacte est demeurée indéterminée), malgré des conditions météorologiques difficiles.
En conséquence le manquement des organisateurs à une obligation contractuelle d’information ou de sécurité n’est pas démontré en l’espèce et leur responsabilité ne peut pas être retenue non plus sur le fondement de la responsabilité contractuelle (C. civ., art. 1147).
Le club n’a pas non plus failli à son obligation d’assistance après la noyade car des secouristes étaient présents et ont pu intervenir très rapidement.
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CA Paris, 30 mai 2014, RG n° 13/04277
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES:
M X… qui avait réservé un séjour en Corse auprès de la société Club Méditerranée, (CLUB MED), a été victime le 23 août 2005 d’une noyade en mer sur la partie sud de la plage publique de Cargèse. Les conséquences de la noyade qui a nécessité un massage cardiaque, un séjour en réanimation et une hospitalisation jusqu’au 23 septembre 2005 ont été très importantes. M X… et son assureur la Cie ASSURANCES BANQUE POPULAIRE PREVOYANCE ont assigné en responsabilité le CLUB MED, sollicité une mesure d’expertise judiciaire et appelé à la procédure le courtier en assurance la société MARSH en sa qualité d’assureur de la société CLUB MEDITERRANNEE.
Par jugement en date du 22 janvier 2013 le tribunal de grande instance de Paris a mis hors de cause la société MARSH, a condamné le CLUB MEDITERRANEE à réparer les conséquences dommageables pour M X… de l’accident survenu le 23 août 2005 à hauteur des deux tiers et avant dire droit a nommé le docteur COHEN en qualité d’expert aux fins d’évaluer le préjudice corporel de M X…, accordant une provision de 20 000 euros à ce dernier et la somme de 17 598,78 euros à la CPAM des Yvelines.
Le tribunal a écarté les dispositions de l’article L 211-16 du code du tourisme instaurant une responsabilité de plein droit à l’égard des professionnels du tourisme au motif que l’activité au cours de laquelle s’était produit l’accident était une activité libre non encadrée et sur une plage publique jouxtant le village mais à l’extérieur de celui-ci et il a retenu la responsabilité du CLUB MED en raison d’un défaut d’information et d’un manquement à son obligation contractuelle de sécurité.
Le CLUB MED a interjeté appel de cette décision et dans ses conclusions signifiées le 30 juillet 2013 il demande à la cour d’écarter des débats les pièces communiquées par M X… et qui n’ont pas été produites simultanément avec ses conclusions, de confirmer le jugement en ce qu’il a mis hors de cause la société MARSH et a écarté les dispositions de l’article L 211-16 du code du
tourisme, de l’infirmer en ce qu’il a condamné le CLUB MED pour manquement à son obligation d’information et de débouter M X… et la CPAM de leurs demandes, subsidiairement de dire et juger qu’il ne peut être condamné qu’à la réparation d’une perte de chance pour M X… d’éviter l’accident s’il avait été mieux informé, perte de chance qui ne saurait être évaluée à plus de 25% des préjudices résultant de la noyade et qui s’appliquera également à la créance de la CPAM.
Il soutient que l’accident s’est produit sur une plage publique et pendant une activité libre en dehors de l’exécution du contrat, que la surveillance et la réglementation des baignades, s’agissant d’une plage publique ne lui incombait pas mais relevait de la responsabilité éventuelle de la commune, que le défaut d’information sur les dangers de la baignade en mer lorsque la météo est mauvaise n’est pas démontré, la cause exacte de la noyade étant au surplus demeurée indéterminée, que M X… parfaitement informé du caractère non surveillé de la plage et du bulletin météo affiché quotidiennement entre les accès bar et restaurant dans l’enceinte du village a choisi de se baigner en toute connaissance de cause, qu’il n’est pas démontré que le Club aurait failli à son obligation d’assistance après la noyade à l’origine d’un quelconque retard dans les secours puisque des secouristes étaient présents et sont intervenus très rapidement en attendant la prise en charge par hélicoptère.
Dans leurs conclusions du 30 juillet 2013 contenant appel incident M X… et son assureur la société Assurances BANQUE POPULAIRE PREVOYANCE sollicitent la confirmation du jugement en ce qu’il a retenu la responsabilité du CLUB MED et a ordonné une mesure d’expertise actuellement en cours mais son infirmation en ce qu’il a écarté l’application de l’article L 211-16 du code du Tourisme et à défaut de constater que l’accident est la conséquence directe d’un manquement du CLUB MED à ses obligations contractuelles d’information et de sécurité à l’origine de son entier préjudice, très subsidiairement de confirmer le jugement.
Ils soutiennent que la baignade, activité vantée par le CLUB MED dans sa brochure publicitaire fait partie des activités offertes par le CLUB sur une plage qui présentait l’apparence d’une plage privée notamment en raison de la présence de transats appartenant au CLUB MED et de la surveillance exercée par les GO, subsidiairement sur le fondement de l’article 1147 du code civil que le CLUB a manqué à ses obligations d’information et de sécurité en omettant de mettre en place malgré des conditions météorologiques difficiles un panneau d’information à l’entrée de la plage et de mettre en garde par l’intermédiaire des animateurs présents sur la plage les clients du CLUB MED sur les dangers de la baignade ce jour-là , qu’il a également manqué à son devoir d’assistance et de prise en charge du noyé, que son imprudence n’est pas démontrée, que son préjudice ne peut être réduit à une perte de chance alors que l’absence d’information et le manquement du CLUB MED à son obligation de sécurité sont directement à l’origine de l’accident dont il a été victime.
Dans ses conclusions signifiées le 30 juillet 2013 la CPAM des Yvelines demande à la cour de lui donner acte de ce qu’elle s’en rapporte quant à la responsabilité du CLUB MED dans les conséquences de l’accident dont a été victime M X… , de condamner le CLUB MED à lui payer à titre provisionnel la somme de 26 398,18 euros en remboursement des prestations en nature par elle servies et subsidiairement de confirmer le jugement qui a condamné le CLUB MED à lui verser la somme de 17 598,78 euros à titre provisionnel , outre une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION:
Sur la recevabilité des pièces de M X…:
Considérant que les pièces litigieuses ont été communiqués en temps utile et que le défaut de communication simultanée des pièces et des conclusions n’est pas sanctionné par l’irrecevabilité des premières en application de l’article 906 du code de procédure civile;
que la demande tendant à voir écarter des débats les pièces litigieuses sera rejetée;
Sur la responsabilité du CLUB MED:
Considérant qu’en application des dispositions de l’article L 211-16 du code du tourisme les agences de voyage sont responsables de plein droit à l’égard de l’acheteur des dommages survenus à l’occasion de l’une des prestations fournies dans le cadre du forfait touristique qu’elles vendent;
que la société CLUB MEDITERRANEE ne conteste pas qu’elle a vendu à M et MMe X… un forfait touristique soumis aux dispositions du code du tourisme;
que la brochure versée aux débats relative au séjour au CLUB MED de Cargèse en Corse qui vante la situation du village au bord d’une plage et décrit l’ensemble des activités libres ou encadrées offertes par le Club de Cargèse, ne mentionne pas la baignade en mer au titre des activités comprises dans le forfait vendu à M X…;
qu’il s’agit effectivement d’une activité que tout un chacun peut pratiquer sur la plage publique de Cargèse sans avoir acheté un séjour au CLUB MED;
que la circonstance que le CLUB MED ait aménagé la partie de la plage attenante au village en y installant notamment des transats ainsi que la présence d’animateurs du Club sur cette partie de plage ne permettent pas de considérer que la baignade en mer faisait partie des activités libres ou encadrées offertes par le Club Méditerranée dans le forfait touristique vendu à M X…;
que ce dernier ne soutient pas davantage que lors de l’achat de son séjour au village de Cargèse la baignade en mer a été un élément déterminant de son choix de séjourner au CLUB MED;
que c’est donc à juste titre que le tribunal a écarté la responsabilité de plein droit du CLUB MEDITERRANEE dans l’accident dont a été victime M X…;
Considérant qu’il appartient à M X… qui recherche la responsabilité du CLUB MED sur le fondement des dispositions de l’article 1147 du code civil et invoque le non respect par ce professionnel du tourisme de son obligation d’information et de sécurité vis à vis de ses clients de démontrer que le CLUB MED a manqué à ses obligations;
que M X… reproche au CLUB MED d’avoir disposé des transats sur cette partie de la plage attenante au village et sur laquelle se trouvaient des animateurs du village mais que la cour relève qu’il n’a pas été précisé à quel titre les GO se trouvaient sur les lieux ce jour-là alors que le CLUB avait pris soin de rappeler que la plage n’était pas surveillée par l’apposition de panneaux sur les lieux:
que la cour relève en outre que le CLUB MED avait informé ses membres de ce que les activités nautiques étaient suspendues et qu’un bulletin météo est affiché quotidiennement dans l’enceinte du Club ;
que la rédaction par la direction juridique du CLUB MED postérieurement à l’accident d’une note interne préconisant de signaler à l’entrée de la plage les risques météo et la dangerosité de la mer ne constitue pas une reconnaissance de responsabilité;
qu’il est enfin reproché au CLUB MED un défaut d’assistance et une carence dans les suites de l’accident mais que cette faute qui n’est pas davantage démontrée sur le seul fondement contractuel invoqué n’a pas contribué à la réalisation du dommage dès lors que M X… a été pris en charge immédiatement par un secouriste et un anesthésiste ayant assisté à la noyade et qui ont donné les premiers secours comme l’indique le rapport de gendarmerie;
que le manquement du CLUB MED à ses obligations contractuelles d’information et de sécurité n’est pas établi;
qu’en conséquence le jugement qui a retenu un défaut d’information du CLUB MED , condamné ce dernier au versement de provisions et ordonné une mesure d’expertise sera infirmé;
Vu l’article 700 du code de procédure civile;
Vu l’article 696 du code de procédure civile;
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement, par décision contradictoire:
-Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a mis hors de cause la société MARSH,
Statuant à nouveau,
– Déboute M X… et la société ASSURANCES BANQUE POPULAIRE PREVOYANCE de l’intégralité de leurs demandes,
– Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamne M X… et la société ASSURANCES BANQUE POPULAIRE PREVOYANCE aux entiers dépens de première instance et d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.