Un petit rappel pour ceux qui n’ont pas ou pas bien connu les années d’Action directe. C’ était une organisation terroriste d’extrême gauche née à la fin des années soixante-dix et qui faisait l’apologie de la lutte armée. Après l’amnistie de juin 1981, Action directe se reconstitue autour d’un noyau dur, proche du groupe allemand Fraction armée rouge avec lequel elle fusionne en 1985. Mais l’arrestation et la condamnation en 1987 et 1988, pour les assasinats de Georges Bess et René Audran, de ses principaux membres portent un coup d’arrêt au mouvement.
Ce matin Georges Cipriani 60 ans, l’un des quatre membres d’AD est sorti de sa prison après 23 ans de cellule dans le cadre du régime de semi-liberté. Voici un article que j’ai lu il y a deux ans. Je l’ai conservé sur mon disque dur parce que je le trouve à la fois bien écrit et très juste. Je ne me souviens plus ni où je l’ai lu ni qui en est l’auteur.
Il y a des billets qu’on a envie d’écrire comme on lance une bouteille à la mer. Pour affirmer certes ce que l’on pense mais pour accueillir aussi, peut-être, d’autres réponses aux mêmes interrogations. On peut communiquer une conviction et en même temps n’être sûr de rien. C’est cela que j’aime tout particulièrement dans un blog : ce dialogue à retardement qui vient propager ses effets bien en amont, quand tout est dit mais que le doute a toujours droit de cité dans l’esprit du rédacteur.
Mercredi 28 février 2007 Le Monde, récemment, a publié un article sous la signature de Jean-Baptiste de Montvalon : « Le soutien aux anciens d’Action directe s’élargit« . Le chapeau nous apprenait également que « 150 personnes se sont réunies pour réclamer la libération des quatre militants« .
Sans dérision aucune, j’avoue que j’ai été rassuré. Ce « soutien élargi » réduit à 150 personnes, parmi lesquelles trois personnalités dont la présence n’étonne pas – Dominique Grange, une chanteuse militante, Alain Geismar et Gérard Miller -, n’est pas à ce point pléthorique qu’il doive conduire à questionner la santé de notre démocratie. On n’a donc trouvé que 150 partisans de la libération de coupables de deux assassinats commis en 1985 et 1986 !
Sur un autre plan, et pour manifester que mon approche, pour être sans concession, n’est pas non plus exempte d’équité, je trouve tout à fait normal qu’une des condamnées ait été remise en liberté à cause de son état de santé. Elle est morte aujourd’hui. Une autre, à plusieurs reprises, a formulé une demande de suspension de peine en raison de sa pathologie et il ne serait pas indécent de la satisfaire enfin.
Pour l’essentiel, je voudrais m’attacher à analyser la situation des quatre militants d’Action directe (AD) en montrant sa grande différence avec celle des criminels de droit commun.
Ils ont tout à fait le droit de ne pas renier leur folie et de refuser une repentance à la suite des tragédies qu’ils ont causées. Il est cependant piquant de constater que les mêmes qui avaient été scandalisés par l’arrogance de Maurice Papon restant droit dans ses dénégations n’ont jamais fait le même reproche aux accusés d’AD, qui sans doute bénéficiaient de l’aura suspecte qui s’attache chez nous aux pires agissements, pour peu qu’on ait l’habileté de les colorer d’idéologie subversive. Alors qu’à mon sens, l’absence d’indulgence doit précisément tenir à cet habillage politique.
Lorsqu’Alain Geismar s’interroge de la manière suivante : « La loi, si elle veut être respectable et respectée, doit être la même pour tous. Pourquoi appliquer une sévérité d’exception aux détenus d’Action directe ? », il croit émettre une réflexion de bon sens qui pourrait se résumer au refus de deux poids, deux mesures. Il me semble qu’il commet une erreur d’appréciation. Pour AD, il ne s’agit pas du même poids ni de la même mesure que ceux que l’assassinat « classique » appelle, et ce, pour une double raison.
L’assassinat « ordinaire« , celui qui dans une vie conduit à vouloir, à préparer et à perpétrer la mort d’autrui, derrière son apparente maîtrise reste toujours, dans les profondeurs de l’être, un crime du désespoir et d’une forme de panique. Imbécile ou intelligent, il y a un moment où le meurtre prémédité vous apparaît absurdement comme le seul moyen de résoudre un noeud de difficultés devant lesquelles on se sent totalement impuissant. La mort désirée d’autrui est le remède aberrant qu’on a cru trouver à sa propre angoisse devant une réalité qui vous dépasse et qu’on ne rattrape, du bout de l’horreur, que par le crime. Les assassinats d’AD ne sont pas, dans leurs tréfonds, des crimes de l’angoisse et du désespoir. Ils constituent au contraire le défi que lancent des personnes assurées de leur bon droit, campées dans un orgueil dément, bardées de certitudes meurtrières, murées dans des tempéraments à la fois rigides et sans merci, justiciers malades et exécutants sans pitié, sûres en tout cas de détenir la vérité et d’être légitimes en tuant. Ce sont des crimes de l’arrogance et du mépris. Ce qui les inspire n’est pas une intime fragilité mais un conscient sentiment de supériorité. Rien à voir, donc, avec les assassinats du commun des accusés.
La seconde raison se rapporte aux tragédies sociales suscitées par ces militants d’AD. Leur ambition allait bien au-delà de la mort de Georges Besse et de René Audran. Elle visait, par ces crimes, à saper les fondements d’une société et d’un Etat pour y introduire le venin d’une malfaisance sans pareille. L’assassin « ordinaire » est enfermé dans la relation qui le lie à sa future victime et il demeure stupéfait lorsqu’on évoque l’ordre public et le trouble porté à la vie collective. Dans les crimes d’AD, il y a au contraire la perversion de s’en prendre, au-delà de la victime, à l’ensemble d’une communauté pour briser net les aspirations démocratiques qui récusent par principe le sang et la mort. Constituer l’assassinat comme une contradiction revendiquée et magnifiée, c’est accepter une condamnation et une exécution de la peine qui ne vous prendront pas pour un accusé et un condamné ordinaires.
Les crimes d’AD ont un poids spécial et une mesure singulière. Leur aune n’est pas celle des autres transgressions. Le recours à l’argument d’humanité, la compassion qu’inspirerait le sort de ces militants, une durée d’enfermement suffisante, aucune de ces considérations ne me paraît décisive. Contrairement à Alain Geismar, je pense qu’ils ont droit justement à « une sévérité d’exception« .
Ce ne serait pas faire preuve d’égoïsme mais de lucidité que de se pencher sur d’autres victimes. Des vraies.
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