Université Concordia, Montréal
Sécurité et Politique
Visions │Enjeux │Tensions
La notion de « sécurité » a occupé, dès la genèse de l’Etat moderne jusqu’à nos jours, et occupera toujours une place prioritaire, au cœur des discussions politiques et des grands enjeux de politiques publiques, tant pour ceux qui détiennent le pouvoir que pour la société. La question ne sera jamais clôturée, car il s’agit d’une notion qui se ramifie avec les besoins des sociétés, lesquels apparaissent d’ailleurs paradoxalement comme une conséquence de leurs évolutions. La conceptualisation et l’encadrement de la sécurité deviennent alors nécessaires.
Ce n’est pas par hasard que l’édition 2015 du Congrès de la Société Québécoise de Science Politique (SQSP) qui s’est tenue à l’Université Concordia, à Montréal, du 20 au 22 mai 2015, a porté sur la thématique de la sécurité. Le Congrès, qui est un événement majeur pour le partage des savoirs dans le monde de la science politique, a accueilli plusieurs ateliers couvrant une grande variété de sujets relatifs aux enjeux fondamentaux de la sécurité. Cela confirme que la notion de sécurité a de multiples facettes (I). Il est important de souligner, et notamment à la veille des prochaines négociations climatiques qui auront lieu à Paris en décembre 2015, que la protection de l’environnement contre les effets néfastes des changements climatiques acquiert une dimension encore plus réelle et sécuritaire, mettant aussi en question la sécurité juridique (II). Le rôle du droit est inévitablement interrogé par ces problématiques.
I- Sécurité à multiples facettes
La sécurité a de multiples facettes, de multiples définitions. Il s’agit d’une notion pluridisciplinaire, intemporelle, voire intergénérationnelle. Elle touche tant à la personne physique qu’à la personne morale. Elle est plurielle, mais ce qu’elle nécessite est unique : c’est son maintien.
Il est possible de lier plusieurs thématiques à la notion de sécurité. On parle de la sécurité de la personne, mais aussi de celle de la personne détenue dans les institutions de réclusion (prisons, centres de rétention administrative, hôpitaux psychiatriques) contre l’enfermement punitif et le durcissement de leurs conditions de réclusion. On parle de la sécurité du système international, mais aussi de celle des petites puissances comme acteurs du système international. On justifie les interventions internationales par le maintien de la sécurité et de la paix, face au terrorisme et aux guerres asymétriques. La sécurité devient également importante pour le processus de reconstruction « post-conflit ». Cela donne aussi naissance à l’apparition d’une responsabilité d’une autre nature, celle de protéger.
Des questions d’ampleur planétaire font l’objet de travaux relatifs à la sécurité : la sécurité énergétique, la sécurité financière (l’endettement), la sécurité climatique, etc. Les problématiques régionales et locales deviennent une des préoccupations englobées dans la notion de sécurité : les diversités sous l’angle de la sécurité (les faits religieux, les politiques d’asiles) ; la sécurité linguistique des minorités. Parfois, la recherche du maintien de la sécurité commence en un endroit donné et se propage en dépassant les frontières. On parle dès lors de nouvelles frontières de la sécurité : la criminalité transfrontalière, la sécurité sanitaire (les épidémies SIDA et Ebola sont interprétées comme des menaces pour la paix par le Conseil de Sécurité de l’ONU, par les résolutions nos 1308, 1983, 2177).
La peur, d’après Hobbes, comme institution de l’Etat, justifie le régime sécuritaire et nécessite l’adoption de dispositifs juridiques particuliers et le développement de nouvelles stratégies politiques.
II- Sécurité juridique et changement climatique
La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), dans son article premier, définit les changements climatiques comme des « changements qui sont attribués directement ou indirectement à une activité humaine altérant la composition de l’atmosphère mondiale et qui viennent s’ajouter à la variabilité naturelle du climat observée au cours de périodes comparables » (Changements climatiques 2007, Rapport de synthèse, Un rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, pp. 77-78). Le changement climatique, en tant que menace reconnue, constitue un risque pour toute l’humanité. Ayant fait l’objet de négociations à une époque où la part d’origine humaine dans ces changements était très contestée, les changements climatiques ne constituent désormais plus un champ d’étude réservé aux études scientifiques, mais aussi aux études sociale, politique, voire juridique. Cette prise en considération par d’autres domaines d’étude confirme la dimension anthropique des changements climatiques. Elle se traduit sous deux formes : le rôle de l’homme dans la genèse des facteurs concourant à la production des émissions des gaz à effet de serre (GES), y compris aux changements climatiques, ainsi que les effets néfastes de ces derniers sur l’homme et l’environnement qui l’entoure.
La protection de l’environnement contre les effets néfastes des changements climatiques nécessite une action planétaire. Le droit international de l’environnement en matière des changements climatiques a pour but la protection et la sécurisation, dans le sens d’un certain développement durable, de l’environnement, et de la réduction par les mécanismes appropriés des effets néfastes des changements climatiques. Cet objectif de sécurité environnementale se traduit par la multiplication des textes applicables dans ce domaine, ainsi que par l’apparition de nouvelles règles, de nouvelles institutions et de nouveaux dispositifs pour le fonctionnement du système juridique. L’instabilité et l’imprévisibilité juridique émergent en raison de la présence de multiples textes de différente intensité normative et de l’apparition de multiples acteurs ayant des intérêts pour la plupart du temps divergents (Alexandre-Charles Kiss, « Les traités-cadre : une technique juridique caractéristique du droit international de l’environnement », in Annuaire français de droit international, volume 39, 1993, p. 796). Le maintien de la sécurité environnementale face aux changements climatiques met en cause, de ce fait, la règle générale de la sécurité juridique. D’après le rapport du Conseil d’Etat, pour parvenir à un niveau où la sécurité juridique est assurée, « les normes édictées doivent être claires et intelligibles, et ne pas être soumises, dans le temps, à des variations trop fréquentes, ni surtout imprévisibles » (Conseil d’Etat, Sécurité juridique et complexité du droit, Rapport public 2006, La Documentation française, p. 281). Néanmoins, le contexte général créé par le régime conventionnel du droit international de l’environnement nous a montré que la stabilité dans les politiques et les mesures à suivre par les Etats parties à la structure conventionnelle est relative. Le caractère soft law du droit international de l’environnement accentue cet état d’instabilité dans la détermination des actions nationales par un fondement juridique.
Pour la suite des négociations, ce qui est attendu du régime international des changements climatiques est d’aboutir à « un accord applicable à tous, juridiquement contraignant et ambitieux » (extrait du discours de Laurent Fabius, lors de la présentation du Rapport du GIEC, 30 septembre 2013), à une « neutralité carbone ». Toutefois, pour certains Etats (Barack Obama a clairement affirmé que si un accord serait possible en 2015, il ne serait ni juridiquement contraignant, ni à la hauteur des enjeux), il est préférable de retenir un instrument juridique souple qui invite les Etats à définir et annoncer, de manière unilatérale, leurs propres engagements (réduction d’émissions, financements, etc.). Le seul moyen du contrôle du non-respect serait le modèle dit de « name & shame ». La sécurité juridique serait dès lors fondée sur une sorte d’ « honneur étatique ».
La sécurité environnementale face à la crise des changements climatiques nécessite une prise en considération complète à tout niveau, par une approche interdisciplinaire, et intergénérationnelle. La sécurité juridique ne constitue qu’un composant parmi d’autres, dépendant toujours de la réalité du fait. En dernier lieu, même si la sécurité juridique est maintenue, les injustices environnementales et/ou écologiques demeurent toujours dans la nature, de façon tant climatique qu’économique (Agnès Michelot, « A la recherche de la justice climatique – Perspectives à partir du principe de responsabilités communes mais différenciées », in Changements climatiques et défis du droit, Christel Cournil et Catherine Colard-Fabregoule (sous la dir.), Actes de la journée d’études du 24 mars 2009, Université Paris Nord 13, Centre d’Etudes et de recherches administratives et politiques CERAP, Bruylant, Bruxelles, 2010, pp. 192-195).
Quel rôle à jouer pour le droit ?
Le traitement des enjeux liés à la notion de sécurité par le droit commence tout d’abord par l’encadrement et la définition du problème concerné, car le droit a une tendance à réglementer les domaines où la certitude règne (Hervé Arbousset et Marie-France Steinlé-Feuerbach, « Incertitude, climat et droit français », in Climat et risques Changements d’approches, Denis Lamarre (sous la dir.), Lavoisier, Paris, 2008, p. 96). Une fois que la certitude est établie, le droit commence à exposer théoriquement des solutions pour répondre aux problématiques posées. Quant à la pratique, le choix de l’échelle d’action constitue la deuxième étape. Cependant, les questions concernées par la sécurité sont en général multidimensionnelles. Elles ne concernent plus seulement une partie du monde, au contraire, chaque événement prend une dimension planétaire après son apparition. Cela est aussi la conséquence de notre société actuelle, qui est à la fois celle du risque et celle de l’information. Tout circule concomitamment dans le temps et dans l’espace. Dans cet état des causes, le niveau international permet de constater le problème et de le cerner. Toutefois, ce niveau, dans la pratique, devient inopérant. C’est la raison pour laquelle, l’inefficacité du système juridique actuel fait émerger la question du retour au niveau local. Le niveau local constitue la plupart du temps le niveau d’action le plus pertinent. Penser à d’autres mécanismes extra-juridiques devient ainsi nécessaire, sans négliger le rôle crucial du droit.
Le recours au droit confirme, d’une part, l’existence des phénomènes liés aux changements climatiques comme un fait réel (certitude). D’autre part, il est la preuve de la recherche des solutions plus conséquentes et contraignantes (incertitude). Le préambule de la CCNUCC stipule que « le caractère planétaire des changements climatiques requiert de tous les pays qu’ils coopèrent le plus possible et participent à une action internationale efficace et appropriée, selon leurs responsabilités communes mais différenciées, leurs capacités respectives et leur situation sociale et économique ». Le droit international de l’environnement doit, par conséquent, s’adapter aux changements planétaires. Le droit ne constitue qu’un composant parmi d’autres, dépendant toujours de la réalité du fait.